Rendu le soir du 22 août 1996 (paru dans La Croix du 24 août 1996) | [qui est concerné ?] |
La faculté de régulariser prend tout son sens si on la rapproche du principe selon lequel l'administration doit procéder à un examen particulier de chacun des cas sur lesquels elle est amenée à se prononcer. Si donc le demandeur de régularisation a un droit, c'est celui de voir son propre cas donner lieu à examen et, éventuellement, à réexamen lorsqu'un élément nouveau apparaît dans sa situation.
À ces règles générales s'ajoutent, pour le traitement des situations sur lesquelles le Conseil d'État est consulté, les considérations de droit suivantes :
L'administration n'a l'obligation ni de rejeter une demande de régularisation ni de l'accueillir.
Toutefois, son pouvoir d'appréciation est plus limité, comme il sera dit plus loin, lorsque le demandeur peut faire valoir un droit distinct : le droit à une vie familiale normale.
Dans la généralité des cas évoqués, l'autorité administrative prend sa décision en opportunité. Mais elle ne peut refuser le séjour et, par voie de conséquence, prendre une mesure autoritaire d'éloignement à l'égard des demandeurs, lorsque sa décision peut avoir des conséquences d'une gravité exceptionnelle sur la situation personnelle de ceux-ci : le juge administratif annule alors de telles mesures comme entachées d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ces conséquences. Tel est notamment le cas lorsque est sérieusement en cause l'état de santé des intéressés.
La durée de séjour en France n'a pas normalement à être prise en compte par l'administration.
Il y a lieu, cependant, de faire un cas à part des étrangers se trouvant dans la situation prévue à l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, qui interdit de prendre une mesure autoritaire d'éloignement à l'égard de ceux qui justifient résider habituellement en France depuis plus de quinze ans ou régulièrement depuis plus de dix ans.
Le gouvernement, dans sa circulaire aux préfets en date du 9 juiillet 1996, a montré sa préoccupation devant des situations dans lesquelles le refus de séjour ne peut déboucher sur une mesure de reconduite à la frontière. Certes, la circulaire du 9 juillet 1996 ne traite, dans un sens favorable à l'octroi d'un titre de séjour, que du cas des parents d'enfants français. Mais le même raisonnement peut s'appliquer à celui, mentionné à la même place dans l'ordonnance, des personnes qui comptent, selon les cas, quinze ou dix ans de résidence.
Dans plusieurs des situations mentionnées dans la demande d'avis, le principe du droit à une vie familiale normale peut trouver à s'appliquer.
Énoncé à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, il a également été dégagé par le Conseil constitutionnel du 10e alinéa du préambule de la Constitution de 1946. Le Conseil d'État exerce, pour sa part, en particulier dans le contentieux de l'attribution des titres de séjour et dans celui des reconduites à la frontière, un contrôle de proportionnalité entre les buts en vue desquels les mesures critiquées sont prises et le droit de personnes qui en font l'objet au respect de leur vie familiale.
Cette matière est affaire de cas d'espèce. Mais il faut du moins retenir que le droit dont il s'agit s'apprécie indépendamment des règles énoncées par l'ordonnance du 2 novembre 1945.
Il est d'autant plus utile que le gouvernement exerce, dans les situations où ce droit est en cause, l'examen individuel qui lui incombe de toute façon, que les mesures de régularisation éventuelles cessent alors de relever de l'opportunité pour se situer sur le terrain de la légalité.