le 11 octobre 1999
OBJET : Éloignement des étrangers en situation irrégulière
Les statistiques nationales élaborées à partir des données que vous me transmettez font apparaître que l'activité en matière d'éloignement des étrangers se situe depuis plusieurs mois à un niveau anormalement bas. La baisse porte aussi bien sur les décisions prises que sur leur exécution. Le taux d'exécution, quant à lui, ne reste stable que si l'on ne tient pas compte des arrêtés de reconduite à la frontière par voie postale. Or ces arrêtés ont été, en proportion, nombreux ces derniers mois.
L'explication de ce mouvement réside principalement dans l'incidence de la mise en oeuvre, par vos soins, de ma circulaire du 24 juin 1997 relative au réexamen de la situation de certaines catégories d'étrangers en séjour irrégulier. Dans certains cas, le réexamen a très naturellement conduit à suspendre la prise ou l'exécution de mesures contre des étrangers dont vous étiez par ailleurs appelés à réexaminer la situation. En outre, vous avez été amenés à affecter prioritairement les effectifs des bureaux des étrangers au séjour, au détriment de l'éloignement. Enfin, le début de l'application des dispositions nouvelles de l'ordonnance du 2 novembre 1945 issues de la loi du 11 mai 1998 a pu prolonger l'incidence des deux phénomènes qui viennent d'être évoqués.
L'opération de réexamen s'est achevée pour l'essentiel à la fin de l'année 1998. Conformément à son objectif et conjuguée avec les dispositions nouvelles, elle a permis de régler les situations individuelles de façon plus conforme qu'auparavant au droit des individus au respect de leur vie privée et familiale.
En contrepartie, les étrangers qui, désormais, ne remplissent pas les conditions d'obtention d'un titre de séjour doivent être effectivement éloignés. La prise en compte accrue des intérêts et des droits des étrangers dans la nouvelle législation rend légitime une telle démarche ; le souci d'une politique gouvernementale équilibrée en matière d'immigration la rend également nécessaire.
Or les étrangers en situation irrégulière ont des possibilités réelles, aujourd'hui, de pouvoir se maintenir sur le territoire. J'observe à ce titre que près de la moitié des personnes qui n'ont pas été régularisées en 1997 et 1998 n'ont été l'objet d'aucun arrêté de reconduite. Les possibilités ouvertes par la loi du 11 mai 1998 l'expliquent, mais seulement en partie. Il y a donc un risque d'affaiblir la portée de la règle de la République, ce que je ne souhaite nullement, en même temps qu'une menace, par cette action d'insuffisante portée, de renforcer l'immigration irrégulière, vite informée des réalités pratiques du comportement des autorités de ce pays. S'agissant par exemple de l'Algérie, il ne serait pas justifié que la politique d'élargissement des visas que j'appelle de mes voeux, et dont j'ai dit aux autorités algériennes qu'elle est effective, ne trouve pas sa contrepartie dans l'éloignement des Algériens en situation irrégulière.
Le propos de cette instruction n'est pas de détailler à nouveau les différents obstacles à l'exécution des mesures d'éloignement. L'état de la question est bien connu de vous ; il n'a que peu varié. Mais il veut souligner qu'une action efficace en la matière doit être conçue comme une action méthodique et organisée portant sur tous les stades de la procédure, de telle sorte que chacun d'entre eux s'en trouve amélioré.
Vous devez veiller en particulier aux séquences suivantes :
Tout en évitant le risque de contrôles systématiquement sélectifs, vous rappellerez aux services de police et de gendarmerie la nécessité d'effectuer des vérifications répétées dans les endroits qu'ils vous auront indiqués comme étant ceux où se concentrent les irréguliers. Ces vérifications seront fondées ou bien sur l'article 8 (2ème alinéa) de l'ordonnance de 1945, ou bien sur les dispositions des articles du code de procédure pénale relatifs au contrôle d'identité. A cet égard, vous devez motiver et mobiliser les services de police compétents pour procéder aux interpellations, qui sont actuellement en nombre insuffisant. Il a été fait montre d'une grande circonspection durant la régularisation. Il convient d'y mettre fin car elle n'est plus justifiée.
Les étrangers savent qu'une absence d'identification rend difficile l'éloignement. Je vous rappelle à cet égard toute l'importance d'une inscription rapide, au fichier des personnes recherchées et sur AGDREF (Application Gestion des Dossiers des Ressortissants Étrangers en France), des arrêtés d'expulsion et de reconduite à la frontière pris en votre nom. Je souhaite par ailleurs faire progresser la mise en oeuvre du fichier des empreintes de demandeurs de titres de séjour prévu par l'ordonnance de 1945. Dans cette attente, il vous appartient, au moins pour les étrangers soumis à incarcération qui doivent être éloignés, de vous rapprocher de l'administration pénitentiaire pour obtenir d'elle, outre les informations sur la date de sortie prévisible, les renseignements les plus utiles sur l'identité de l'étranger. Je vous rappelle que la circulaire du 18 mai 1999, que j'ai signée avec le garde des Sceaux, vous donne les indications nécessaires pour faciliter la coopération entre services à cet égard. J'observe d'ailleurs que certains d'entre vous ont pris d'eux-mêmes des initiatives qui tendent à renforcer les liens avec l'administration des établissements pénitentiaires installés dans leur département. Elles ont déjà montré leur efficacité.
Les taux moyens de délivrance de laissez-passer par les consulats de certains pays sont tout à fait insuffisants. Surtout, ils font apparaître une grande variété d'attitudes, non pas seulement par pays, mais aussi selon les consulats. J'ai, en ce qui me concerne, appelé personnellement l'attention des ambassadeurs des pays concernés sur la nécessité d'améliorer ce qui n'est rien d'autre que l'exigence de protection qu'ils doivent à leurs propres concitoyens. Ce message est et sera rappelé chaque fois que l'occasion s'en présente, notamment dans le cadre des relations bilatérales. Mais cela ne suffit pas. Vous devez veiller à établir vous-même une relation personnelle de confiance avec le consul concerné et ses services, de telle sorte que vous puissiez résoudre les difficultés. Là aussi, certains d'entre vous ont pris les initiatives nécessaires. Il a été instauré par ailleurs, pour certains États, une procédure de saisine des ambassades dans l'hypothèse de mauvais vouloir des consulats.
Elles sont lourdes pour vos services. Mais la loi reconnaît, comme il est normal, aux étrangers le droit de contester la mesure qui les frappe. L'expérience montre que, dans la très grande majorité des cas, le juge administratif confirme le point de vue de l'administration. Toutefois, la défense de celui-ci doit être assurée avec continuité. Mes services se tiennent à votre disposition pour vous assister dans les contentieux les plus délicats. Quant aux décisions du juge judiciaire relativement au maintien en rétention, mon objectif est qu'elles puissent faire l'objet d'une instruction pénale du Garde des Sceaux, compte tenu des divergences de jurisprudence observables en la matière.
L'organisation de la rétention administrative doit permettre aux étrangers d'exercer effectivement les droits qu'ils tiennent de la loi. Un décret sera pris prochainement à cette fin et vous recevrez à cet égard les instructions qui conviennent. Mais, comme en matière de visas, le renforcement des droits ne doit pas être perçu comme une renonciation à l'éloignement. C'est parce que ces droits sont mieux assurés que vous devez lever les hésitations qui peuvent accompagner la notification d'une décision de reconduite.
Le bureau de l'éloignement de la direction centrale de la police aux frontières se tient à votre disposition pour vous aider dans cette tâche. Il vous appartient de lui fournir les informations les plus précises. La politique des quotas menée par certaines compagnies aériennes et la faible disponibilité des vols pour certaines destinations sensibles, notamment vers l'Afrique, peuvent rendre particulièrement difficile l'exécution d'un éloignement. Il est donc nécessaire, dans de tels cas, que vous saisissiez le plus tôt possible la police aux frontières et que vous utilisiez la totalité du délai de rétention dont vous disposez.
Les efforts pour rendre plus efficaces les mesures d'éloignement que vous ordonnez sont donc multiples. Ils concernent des services très divers. C'est pourquoi il me paraît nécessaire que, dans la quinzaine de départements où les étrangers en situation irrégulière sont les plus nombreux, vous puissiez faire le point, deux fois par an environ, des données en la matière et des mesures à prendre, entouré non seulement des services de la préfecture mais aussi des services de police compétents, notamment de sécurité publique, du procureur de la République, de l'administration pénitentiaire, de la gendarmerie nationale, des douanes, ainsi que de toute personne dont le concours vous paraîtrait nécessaire. Je suis disposé à prendre en considération toute suggestion qui vous aura paru efficace en ce domaine. Mais j'attache aussi du prix à ce que, dans les derniers mois de l'année 1999, une augmentation significative du nombre d'éloignements effectifs et du taux d'exécution des mesures intervienne. Je m'en entretiendrai avec ceux d'entre vous qui sont les plus concernés à une prochaine occasion.
Vous voudrez bien me rendre régulièrement compte de votre action en la matière, de vos initiatives, de vos éventuelles difficultés et des résultats obtenus.
Jean-Pierre CHEVÈNEMENT