par Bernard Girard | [débat] |
DRAMES humains, familles séparées, enfants éloignés de leur mère, libertés rognées, principes démocratiques oubliés, montée de la xénophobie, du racisme et du Front national... le coût de la lutte contre l'immigration est exorbitant. Le moins qu'on puisse dire est que ses bénéfices ne sont pas à la hauteur. Le gouvernement Balladur pensait avoir résolu le problème avec les lois Pasqua. On découvre qu'il faut remettre la main à la pâte, aller plus loin, faire plus et pire. Sans plus de chances de réussite. Loin de réguler les mouvements migratoires, répression et fermeture des frontières sont inefficaces. Bien plus, elles multiplient les effets pervers et vont à l'encontre des objectifs affichés.
Ces politiques jettent dans la clandestinité, et donc dans l'illégalité, ceux qui veulent franchir nos frontières. Ce faisant, elles fabriquent de la délinquance et facilitent la fraude fiscale. Un commerçant trompe d'autant plus volontiers le fisc qu'il trouve des fournisseurs qui lui vendent des produits sans factures. Pour échapper au fisc, ces fabricants ont besoin d'une main d'oeuvre qui accepte de travailler au noir : les immigrés sans papiers n'ont pas d'autre choix. Ils n'ont aucun droit, pas même celui de se défendre, de porter plainte contre un patron qui « oublie » de les déclarer, les paie en dessous des minima légaux et ne respecte pas le droit du travail. Telle qu'elle est aujourd'hui menée, la lutte contre l'immigration nous prive de l'une des meilleures armes contre les fraudeurs : la résistance des travailleurs.
En réduisant la mobilité des immigrés, elle va directement à l'encontre de ses objectifs. Les réfugiés économiques sont à la recherche d'un pays qui leur donne la possibilité de s'enrichir, d'exploiter au mieux leurs capacités, leur force de travail. Ils n'ont pas d'attaches et se déplacent facilement. La fermeture des frontières maintient chez nous des gens qui iraient tenter leur chance ailleurs s'ils savaient pouvoir revenir en cas d'échec. Elle les empêche de rentrer chez eux et d'informer ceux restés au pays de la difficulté de vivre dans une société en crise. On perd ainsi l'un des meilleurs moyens de réguler les flux migratoires : le retour d'expérience de ceux qui ont tenté l'aventure et en savent le prix.
Ces politiques sont inefficaces lorsqu'elles pérennisent des régimes dictatoriaux. En limitant le droit d'asile politique, en fermant les portes à ceux que l'on menace, que l'on torture et assassine, on enlève aux victimes l'un de leurs meilleurs moyens de défense : la fuite. À interdire nos portes aux Algériens que brutalisent gouvernement et intégristes, aux Yougoslaves, aux Rwandais ou aux Zaïrois, nous nous rendons complices des ennemis de la démocratie.
Ces politiques nous privent des avantages de l'immigration. Tout au long de ces quarante dernières années, cette immigration, aujourd'hui si décriée, a été un facteur de croissance. Elle peut le redevenir. Les immigrés apportent leur mobilité, leur dynamisme et leur esprit d'entreprise à nos économies qui en manquent : ils acceptent des emplois que d'autres refusent... Ils nous font profiter de compétences acquises (et donc financées) ailleurs et de leurs contacts commerciaux. L'immigration rapporte en général plus au pays d'accueil qu'elle ne leur coûte.
Il a fallu des décennies aux économistes pour convaincre politiques et opinions des inconvénients du protectionnisme et des avantages de la libre circulation des biens. Plus personne aujourd'hui ne doute des vertus du libre échange et de l'ouverture des frontières. Ce qui vaut pour le commerce des marchandises vaut pour les hommes : la liberté de circuler est plus efficace que toutes les interdictions.