par Fodé Sylla | [débat] |
LES difficultés du combat mené par les « Africains de Saint-Ambroise », comme la presse les a nommés, illustrent la crise que traverse le mouvement antiraciste, aujourd'hui divisé dans la voie à suivre pour obtenir une modification des lois Pasqua. Certains se sont engagés dans une logique jusqu'au-boutiste revendiquant la régularisation de tous les sans-papiers. La position est politiquement correcte, mais son efficacité est pour le moins discutable ; la faible participation aux dernières manifestations en est le signe flagrant. Au-delà de l'échec de ces rassemblements, c'est le potentiel du mouvement antiraciste, sa crédibilité, qui s'est trouvée atteinte, alors même qu'un durcissement des lois Pasqua est en préparation au ministère de l'Intérieur.
Loin de mobiliser l'opinion publique, l'attitude de ces organisations offre aujourd'hui à certains une opportunité pour justifier de nouvelles remises en cause des droits des étrangers vivant en France. C'est une impasse que nous redoutions et qui nous amène à poser publiquement le débat. L'action du mouvement antiraciste est-elle condamnée à devenir un simple témoignage, à demeurer minoritaire ? Ou, au contraire, pouvons-nous convaincre la majorité de nos concitoyens de l'inefficacité et du caractère liberticide des politiques d'immigration menées par les différents gouvernements depuis dix ans ?
Depuis près de dix ans, chaque aménagement sur le séjour des étrangers s'est traduit par une régression des droits, les acculant à une précarité toujours plus grande. À chaque étape, nous avons dénoncé ces dérives. Des immigrés réguliers deviennent du jour au lendemain des clandestins, des mères expulsées sont séparées de leurs enfants, des travailleurs sans papiers sont exploités dans des conditions inhumaines..., cependant l'opinion publique se mobilise peu. Les français seraient-ils devenus indifférents à ces atteintes aux droits de l'homme ? Je ne le crois pas. Il me semble plutôt que beaucoup de nos concitoyens sont sensibles à la détresse des familles étrangères, mais qu'ils sont aussi inquiets face à la pression migratoire.
La formule de Michel Rocard sur la « misère du monde » [la France doit savoir en prendre fidèlement sa part...] semble être devenue un point de consensus. Nier cette réalité et accuser de racisme tous ceux qui ne vous suivent pas relève plus du terrorisme intellectuel que de l'action militante.
Se révolter contre l'injustice, ce n'est pas uniquement signer des pétitions et clamer des grands principes. C'est avant tout agir pour changer réellement les choses et obtenir les modifications législatives permettant enfin aux immigrés de vivre dignement et de sortir de la crainte permanente de l'expulsion. Car, jusqu'à preuve du contraire, en démocratie, pour changer la loi, il faut être majoritaire.
En dix ans d'existence, SOS-Racisme a connu des périodes fastes, mais aussi des combats difficiles. Forts de cette expérience, nous avons appris que les meilleurs sentiments ne mènent nulle part s'ils ne s'appuient pas sur une réflexion et des réponses de fond aux difficultés auxquelles la société est confrontée. Nous savons aujourd'hui combien l'action médiatique peut être un formidable levier pour mobiliser l'opinion, mais aussi que les victoires télévisuelles sont les plus éphémères. Voilà pourquoi, depuis que je suis président de SOS-Racisme, j'ai volontairement privilégié l'action de terrain pour que nous soyons en capacité d'apporter des propositions concrètes et efficaces.
Oui, je l'écris ici, j'en ai assez de toutes ces bonnes consciences qui font leurs choux gras sur le jugement des actions de SOS-Racisme. Non pas que nous refusions la critique parfois utile, mais il est clair que certains reprochent à SOS-Racisme ce qu'ils n'osent pas dire aux responsables politiques.
Notre rôle est de mener le débat public, d'agir sur les consciences, mais les décisions ne nous appartiennent pas. Si le Front national existe encore aujourd'hui, c'est avant tout parce que les politiques d'intégration n'ont pas été menées.
Oui, l'immigration ne doit pas être le paravent d'une nouvelle radicalité sociale pour tous ceux qui sont en manque de projet de société. Ainsi, certains signent aujourd'hui des pétitions charitables pour les immigrés comme une session de rattrapage social après s'être opposés aux mobilisations des salariés à l'automne dernier. Cette charité-là, les immigrés n'en veulent plus, car ils savent qu'elle n'est qu'hypocrisie.
Voilà pourquoi je m'adresse à l'ensemble du mouvement antiraciste et au-delà à tous ceux qui sont attachés aux droits de l'homme et à la démocratie pour qu'une nouvelle réflexion commune se fasse. Existe-t-il une alternative à la double impasse de l'« immigration zéro » ou des frontières grandes ouvertes ? Comment sortir les banlieues du ghetto dans lequel elles s'enfoncent un peu plus chaque jour ? Quelles nouvelles politiques internationales pour véritablement aider le tiers-monde acculé aux pires désespoirs ?
Voilà les questions auxquelles nous sommes confrontés. Ayons le courage de les aborder sans dogmatisme, sans tabous. C'est là le seul chemin qui nous permettra de convaincre les Français. Oui, il y a urgence à clarifier un débat politique trouble. Alors que le gouvernement souhaite de nouveau restreindre ce qu'il reste de droits aux immigrés, il serait temps de savoir de qui on parle véritablement. Banlieue, violence, terrorisme, sécurité, clandestins... le mot immigré est attaché à tant de maux, qu'on ne peut nier qu'il assume, aujourd'hui, le rôle de bouc-émissaire de la crise. Moins on agit sur le terrain du chômage, plus on vote de lois sur l'immigration. Il nous faut démonter cette mécanique et présenter des contre-propositions.
Alors que l'idéologie du FN ne cesse de progresser dans notre pays, que de nombreux observateurs constatent une augmentation du racisme, il est plus que temps que toutes les associations se ressemblent pour préparer une riposte efficace. Une course de vitesse est désormais engagée avec le Front national. Pour l'intérêt de ceux que nous défendons, il est temps que le mouvement antiraciste reprenne la voie de l'efficacité. Ainsi, l'action collective reprendra tout son sens, elle nous mènera à de nouvelles victoires pour redonner toute sa réalité à l'intégration et à la citoyenneté.