par Robert Badinter | [débat] |
I est fâcheux dans une démocratie de voir méconnue la loi régulièrement votée par le Parlement. Mais il est dommageable pour la République que la loi engendre des situations injustes ou humainement déplorables. Tel est pourtant le cas aujourd'hui s'agissant du sort des sans-papiers réfugiés dans l'église Saint-Bernard.
Sans doute, il appartient à ce gouvernement comme à tout autre de veiller à l'application de la loi. Il y est d'ailleurs d'autant plus tenu vis-à-vis de sa majorité que c'est elle qui l'a voulue. Mais face à ces grévistes de la faim et à ceux qui en sont étroitement solidaires, le gouvernement ne peut lancer une action violente sans risque de susciter l'irréparable. Si l'État de droit ne saurait être l'État de faiblesse, il ne doit recourir à la force que lorsqu'elle est nécessaire pour protéger les personnes et les biens. Or aucun des occupants de l'église Saint-Bernard n'attente à la propriété et aux droits de quiconque. Et les seules personnes dont l'intégrité physique est menacée, ce sont les grévistes de la faim eux-mêmes.
Dès lors, la situation ainsi créée paraît ne pouvoir déboucher que sur une issue dommageable. Car soit le gouvernement use de la force, avec tous les périls qu'une telle intervention implique. Et la probabilité est grande d'une extension et d'une aggravation du conflit à des situations identiques qui naîtront d'une réaction de solidarité de la part d'autres sans-papiers ou de ceux qui soutiennent leur cause. Ce ne sera plus alors un, mais plusieurs foyers d'incendie que le gouvernement, pompier devenu pyromane, devra éteindre. Soit le gouvernement cèdera et régularisera la condition de tous ceux qui lui ont résisté. Il apparaîtra alors comme ayant capitulé et non pas comme ayant voulu régler les conséquences injustes d'une législation mal venue. Et l'on mesure la portée d'un tel précédent.
Reste, pour dénouer la crise actuelle, une seule voie : celle de la médiation. Je souhaiterais à cet égard préciser les conditions nécessaires pour qu'une telle médiation réussisse.
L'autorité des médiateurs et donc le succès de la médiation dépend d'abord de la confiance que leur font toutes les parties intéressées au conflit. Il n'y a de médiation possible que lorsque les médiateurs ont été choisis, ou au moins acceptés, par les parties. C'est-à-dire que le collège actuel de « médiateurs », quelles que soient leurs qualités personnelles et le dévouement dont ils ont fait preuve, ne peut satisfaire à cette condition. Ils sont en effet les représentants des sans-papiers, leurs avocats auprès des pouvoirs publics et de l'opinion. Mais ils ne pourraient jouer le rôle de médiateur que s'ils étaient acceptés comme tels par le gouvernement et à l'évidence, même si on peut le regretter, le gouvernement n'est pas disposé à le faire.
D'autres initiatives, nées de la conscience de la gravité de la crise, ont évoqué le recours à des parlementaires de la majorité pour jouer les messieurs bons offices. L'intention est louable. Mais l'on imagine mal certains de ceux qui ont voté et avec quel enthousiasme ces lois se constituer en guérisseurs des maux que leur application engendre. Mieux vaudrait pour eux convaincre leur majorité d'en modifier le contenu. Et l'on sait quelles sont à cet égard les inclinations de nombre de leurs collègues.
Ainsi suggérerai-je de recourir à la plus classique et à la plus efficace formule de médiation. Que le gouvernement nomme une personnalité dont l'autorité morale et la compétence sont reconnues, qu'une autre soit choisie par le collège des « médiateurs » parmi celles qui jouissent de la confiance des organisations humanitaires et de défense des immigrés, que ces deux personnalités en désignent une troisième, réputée pour son expertise et son autorité dans le domaine si complexe de la législation sur les étrangers.
Ces trois personnes, réunies en une commission de médiation, seront les plus aptes à résoudre le conflit actuel et avancer en connaissance de cause la solution la plus juste, au cas par cas, pour chacun des sans-papiers. Point n'est besoin pour atteindre le but recherché que leurs propositions aient la force exécutoire de décisions de justice.
Une procédure transparente, l'écoute attentive de chacun, la volonté de respecter les principes fondamentaux du droit et les considérations d'humanité conduiront à des solutions équitables, acceptées par tous les esprits raisonnables. Il n'est que temps de mettre en oeuvre un tel processus. Car à défaut d'y recourir, et quelle que soit l'issue du conflit, nous en connaissons par avance le vainqueur : l'extrême droite.