par Pascal Bonitzer | [débat] |
REALISME ou angélisme : telle serait aujourd'hui, paraît-il, l'alternative quant aux lois sur l'immigration.
Ali, malade du sida, est expulsé en Tunisie, où on ne pourra plus le soigner par trithérapie ; son état s'est déjà aggravé. C'est du réalisme. « Non contentes de le renvoyer alors qu'il était en traitement, les autorités françaises ont révélé sa maladie à sa famille », souligne Libération du 4 mars. C'est du réalisme.
M. Pandraud, à l'Assemblée nationale, pour soutenir l'une des plus abjectes dispositions de la loi Debré, celle permettant l'expulsion des irréguliers, même atteints de maladies graves, s'est écrié : « Je fais passer la délinquance avant la maladie. » C'est du réalisme.
M. Pandraud sait fort bien, car les réalistes ne sont pas naïfs, que sous le nom de délinquants il désigne dans la plupart des cas des personnes dont les lois Pasqua ont rendu la situation intenable, qui travaillent et vivraient normalement, si on ne les en empêchait pas par toutes les tracasseries et humiliations dont l'administration française, depuis Vichy et la guerre d'Algérie, est capable.
Depuis Vichy et la guerre d'Algérie, on n'avait pas vu ces séparations par la force de parents et d'enfants, d'enfants placés à la DASS parce que leurs parents sont expulsés, ces malades conduits à l'étranger et à la mort sans que la médecine ait son mot à dire devant la police, ces hommes et ces femmes emmenés, non en wagons, mais en charters, non enchaînés, mais scotchés, ces infamies par centaines, par milliers, pour les plus basses et les plus vaines considérations électorales.
Depuis Vichy et la guerre d'Algérie... Messieurs les réalistes, qui trouvez la comparaison indécente, messieurs les réalistes, qui invoquez la fermeté quand elle s'exerce sur les victimes - les étrangers en situation irrégulière - mais qui ne ferez rien pour démanteler les réseaux et filières qui en profitent, c'est en tout angélisme que nous crachons sur votre hypocrisie, votre pusillanimité, vos calculs à courte vue, à vue de sondages et de législatives.
De toutes parts montent les tentations d'en appeler à un pouvoir sans états d'âme, cimenté par la haine de l'étranger et qui légitimera, systématisera, accomplira au grand jour ce que vous, messieurs les réalistes, faites déjà petitement, au coup par coup, honteusement.
Ces tentations croissent. Elles croissent d'autant plus, on le sait, que les « réalistes » au sein de l'Etat de droit y cèdent, « par réalisme ».
Ce n'est pas de l'angélisme que d'inverser le mouvement. C'est une nécessité. Plus qu'une nécessité : une urgence.