Troisième collectif des
Sans-papiers de Paris


21 ter, rue Voltaire
75011 Paris

 
Paris, le 1er octobre 1996

MÉMORANDUM

 

I.

Lors de l'entrevue du 12 septembre 1996 au Centre de Réception des Étrangers de la rue d'Aubervilliers, l'exposé des délégués du 3ème Collectif a permis à chacune des personnes présentes d'apprécier la réalité sociale et humaine que ce collectif représente. Ses membres - qui sont au nombre de plusieurs centaines et appartiennent à plus de vingt nationalités différentes - ne sont pas des clandestins. Au reste, l'immense majorité d'entre eux est déjà connue de l'administration. Ils sont venus en France parce que, dans leur pays d'origine, la misère et/ou l'oppression leur rendaient la vie invivable. Dans leur grande majorité, ils sont entrés en France de façon régulière, par exemple avec un visa et/ou en demandant à bénéficier du droit d'asile, et dans un premier temps ils ont également séjourné dans le pays de façon régulière. C'est ensuite seulement qu'ils ont été repoussés dans l'illégalité, parce que l'asile leur a été refusé ou que leur titre de séjour leur a été retiré, notamment à partir de 1993 sous l'effet des lois dites Pasqua.

Malgré cela, ils s'efforcent de mener une vie normale. Chaque fois que cela leur est possible, la plupart d'entre eux travaillent de façon régulière et se font déclarer à la Sécurité Sociale. Ils paient leurs loyers et leurs charges ; ils déclarent leurs revenus et paient l'impôt quand ils y sont assujettis. Leurs enfants vont à l'école ; ils y apprennent la langue et la culture française ; ils s'y imprègnent des valeurs de la République. Bref une seule chose les distingue des citoyens ordinaires : l'administration leur refuse leurs papiers.

Mais, du fait de ce refus, ils se heurtent dans leur vie quotidienne à d'innombrables difficultés et subissent tracasseries sur tracasseries ; de plus, ils sont soumis à toutes sortes de chantages à la délation et à l'expulsion, et ils sont souvent contraints d'accepter, de leur employeur ou de leur propriétaire, des conditions de travail et de vie proches de l'esclavage. C'est pour sortir de cette situation insupportable qu'ils demandent des papiers.

 

II.

Certes il n'appartient ni à l'administration ni aux simples citoyens de modifier ou d'abroger la loi. Mais chacun convient aujourd'hui - et notamment les plus hautes autorités morales et spirituelles de ce pays - que les lois en vigueur concernant les étrangers contiennent, non seulement de nombreuses lacunes, mais aussi quantité de dispositions contradictoires, qui les rendent dans la pratique inapplicables. Il suffit de rappeler le cas des personnes que l'administration refuse de régulariser alors que la loi interdit de les expulser, et qui sont ainsi contraintes de vivre dans le vide juridique et social. Du fait de ces lacunes et de ces contradictions, l'application de la loi devient entièrement incohérente et arbitraire : d'une semaine sur l'autre, d'une préfecture à l'autre, des dossiers identiques sont traités de façon complètement différente, sans qu'aucune explication compréhensible soit fournie aux intéressés.

Du coup, les sans-papiers sont plongés dans l'incertitude la plus totale. Ils ont le sentiment d'être livrés pieds et poings liés à l'humeur et au caprice du fonctionnaire qui examine leur cas. Cette situation engendre chez eux une tension et une angoisse qui acculent beaucoup d'entre eux au désespoir.

De son côté, l'administration se trouve empêtrée dans des difficultés inextricables, et elle s'expose tous les jours à être désavouée par la justice, comme on le voit ces derniers temps.

Finalement, l'ensemble du dispositif se révèle chaque jour plus inopérant et plus absurde. Pour des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants, il engendre la peur, l'humiliation et la détresse ; il crée dans la société une zone de discrimination et de non-droit qui tend à s'étendre, et dont les sans-papiers ne sont que les premières victimes, comme en témoignent aussi bien la prolifération des arrêtés municipaux visant les SDF que les contrôles-brimades infligés aux jeunes. En outre, l'image de la France à l'étranger est gravement ternie, comme tous ceux qui voyagent en Europe et dans le monde peuvent s'en rendre compte, et comme le montre mieux encore la résolution votée par le Parlement Européen le 18 septembre 1996.

Toutes les parties en présence - l'administration comme les sans-papiers - ont donc intérêt à sortir de la situation présente. C'est la raison pour laquelle nous présentons les propositions suivantes.

 

III.

Pour résoudre la crise actuelle, il faut soumettre l'application de la loi et le traitement des dossiers à des règles simples, claires, transparentes, lisibles pour tous. Ceci est parfaitement possible, à l'intérieur même du cadre légal en vigueur : en matière de régularisation, l'avis du Conseil d'État du 22 août 1996 donne à l'administration une très large liberté d'appréciation. En effet, consulté par le gouvernement sur toute une série de situations qui correspondent exactement à celles des membres de notre collectif, le Conseil d'État répond :

"La régularisation, par définition, est accordée dans l'hypothèse où le demandeur d'un titre de séjour ne bénéficie pas d'un droit, sinon il suffirait qu'il le fasse valoir. Au contraire, l'autorité administrative a le pouvoir d'y procéder, sauf lorsque les textes le lui interdisent expressément, ce qu'ils ne font pas dans les cas mentionnés dans la demande d'avis."

Autrement dit, aucune catégorie n'est irrégularisable ; toutes les situations sont susceptibles de régularisation.

Pour ce qui est de notre collectif, nous proposons donc la procédure suivante :

  • 1. Les membres de notre collectif relèvent de trois grandes situations-types, dont chacune constitue une base suffisante de régularisation.

  • 2 Pour chacune de ces rubriques, deux séries d'arguments peuvent être invoquées en faveur de la régularisation :

     

    IV.

    Nous proposons donc qu'en un premier temps, la discussion s'engage sur les trois situations-types que nous avons distinguées. L'examen des trois situations-types devrait constituer une première étape et être conduite à son terme avant tout examen des dossiers individuels.

    Il faut souligner en effet que beaucoup des membres de notre collectif relèvent de deux ou même des trois situations-types à la fois. C'est par exemple le cas des familles dont les parents ont été déboutés du droit d'asile, qui séjournent en France depuis six ou huit ans et qui ont donné de multiples preuves de leur volonté d'insertion. Dans des cas semblables, la régularisation s'impose à plus forte raison.

    Lorsqu'un accord de principe sera intervenu sur ces trois situations-types, nous produirons les dossiers correspondant à chacune d'elles ; le traitement de ces dossiers pourra être considérablement accéléré, puisqu'il suffira de s'assurer qu'ils s'inscrivent bien dans le cadre de la situation-type en question.

    Enfin, il est bien évident que, pour nous, la régularisation signifie l'attribution d'une carte de résident. C'est la seule manière d'empêcher que les problèmes de régularisation se renouvellent périodiquement.

    En ce qui concerne la méthode, nous présentons trois propositions complémentaires :

    D'emblée, il sera nécessaire que l'administration renonce à un certain nombre de pratiques qui empêchent le déroulement normal du processus de régularisation :

    Nous demandons à la Préfecture d'exercer un contrôle très strict pour éviter ce type d'abus, qui conduisent d'ailleurs bien souvent la justice à désavouer l'action préfectorale.