Immigration et souveraineté nationale
par Monique Chemillier-Gendreau (*) |
[débat]
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du mercredi 26 février 1997 (Débat).
[Le Gouvernement a oublié que les dérives fascisantes commencent toujours par des mesures contre les étrangers. Le résultat de Vitrolles l'a opportunément rappelé.] Avec le projet de loi contre lequel s'insurge une partie importante du peuple, des droits et libertés supérieurs à toute loi et internationalement reconnus sont entamés : pour les Français celui de recevoir qui l'on veut sans contrôle ou celui d'épouser quelqu'un d'une autre nationalité et pour les étrangers le droit de vivre en famille, de recevoir l'asile lorsqu'on est persécuté, de recevoir des soins, de poursuivre des études. Abusant de la souveraineté nationale qui lui a été confiée, le pouvoir se justifie d'un mot : il faut maîtriser l'immigration. Le pays anesthésié par la « crise » a vu là longtemps une évidence et en se réveillant pose enfin les questions capitales.
- Y a-t-il une menace migratoire à nos frontières ? Les prévisions dans ce domaine sont aléatoires comme l'avait bien montré la fausse annonce d'une « invasion » de Russes après la chute du Mur de Berlin.
- L'immigration s'accroît-elle dangereusement ? Selon l'INSEE, elle est stable depuis 20 ans et il y a en France à peine 5% de la population composée d'étrangers. Vouloir réduire cette proportion, ce serait modifier l'identité et l'image de notre pays.
- Les moyens juridiques et policiers sont-ils adéquats ? Inefficaces, ils développent l'immigration clandestine et leur mise en oeuvre favorise les violations des droits de l'homme et le racisme. Loin de combattre le Front national ils encouragent sa progression.
- La France est-elle prête à accepter la réciprocité en dissuadant les jeunes Français de partir à l'étranger et en accueillant les Français de l'étranger qui seraient contraints au retour ? Cela mérite d'être examiné en tenant en compte du fait qu'il y a actuellement 1.600.000 français à l'étranger.
- A-t-on bien ciblé les mesures contre les employeurs de travailleurs clandestins ? S'est-on attaqué à leurs réseaux de rabatteurs, passeurs, logeurs ? La seule mesure efficace n'est-elle pas de régulariser les travailleurs une fois entrés afin que les employeurs n'aient plus avantage à les attirer puisqu'ils auraient les mêmes garanties que tous les travailleurs ?
- L'immigration est-elle toujours une charge ? Ne contribue-t-elle pas aussi à la richesse du pays d'accueil ? Tout apport de population est en soi une richesse à condition que l'on laisse aux populations toutes les chances d'être créatrices ce qu'elles ne peuvent pas faire lorsqu'elles sont pourchassées.
- [Enfin sait-on que les immigrés contribuent au développement de leurs pays d'origine davantage que le gouvernement par sa politique de coopération ? Cette dernière a jusqu'ici bien peu mené au développement alors que les immigrés et leurs associations participent à des projets efficaces.
Ainsi il n'y a pas de fondement rationnel à ce qui se prépare. Le Gouvernement et sa majorité abusent de la souveraineté nationale pour masquer leur incompétence à résoudre la crise et immigrés et exclus sont victimes ensemble d'une politique de concentration des richesses.]
(*) Membre du Collège des médiateurs pour les Africains sans-papiers.