Pour les sans-papiers

entretien avec Monique CHEMILLIER-GENDREAU [débat]


L'Humanité dimanche, n° 395, du 9 au 15 octobre 1997, propos recueillis par Dany Stive.


Monique Chemillier-Gendreau, juriste et membre du collège des médiateurs, a signé, avec seize autres personnalités, un texte qui interpelle le gouvernement.

Pourquoi signer encore un texte pour la régularisation des immigrés ?

Parce qu'il est encore temps que le gouvernement règle mieux ce problème. Il manque d'abord une active pédagogie en direction de l'opinion publique, qui ignore les données de faits indiscutés, à savoir que l'immigration est stable depuis plus de vingt ans. Que les immigrés sont en France autour de 3 millions, ce qui n'est pas énorme. Après l'arrêt officiel de l'immigration, en 1974, le patronat a continué à utiliser des recruteurs pour faire venir des clandestins. Ce volant de main-d'oeuvre sans papiers, s'ajoutant aux nombreux Français eux-mêmes employés au noir, a permis de pousser l'ensemble des travailleurs vers toujours plus de précarité.

Par ailleurs, la façon dont les services de préfecture traitent les immigrés est très souvent inadmissible : grossière, rude et prête à en rajouter par rapport aux exigences règlementaires. Nous avons perdu la valeur de l'hospitalité, ce qui est grave pour notre santé morale.

Pourtant le changement de ministre de l'Intérieur a du faire bouger les choses ?

Je fais la différence entre la politique de Chevènement et celle de Debré-Pasqua. Il y a des avancées dans le projet de loi. Mais les situations humaines sont reglées trop lentement. Il y a un peu plus de 100.000 demandes et, en quatre mois, très peu de régularisations.

Quelle serait, selon vous, une bonne loi ?

Nous avons une base excellente avec la note d'orientation de la commission nationale des droits de l'homme du 3 juillet dernier. Elle rappelle les principes internationaux, parmi lesquels la liberté de circulation et le principe d'égalité. Le droit international reconnait qu'un Etat peut, s'il a pour cela des raisons valables, limiter cette liberté par la loi. L'Etat doit donc démontrer de quel danger il veut protéger ses habitants, en entravant les libertés des étrangers. L'argument du chômage donné en vrac n'est pas recevable. On ne peut entrer à moitié dans cette logique. Si les emplois sont "nationalisés", il faut chasser tous les étrangers. Mais les Français de l'étranger seront chassés par réciprocité et il ne faut plus encourager nos jeunes à la mobilité internationale. C'est absurde. Il faut encadrer avec souplesse les mouvements internationaux de personnes qui, spontanément, ne sont pas des déferlantes, et ne pas laisser interférer la question des étrangers et la question économique.