Le principe d'égalité, outil de renforcement de la liberté de circulation
L'égalité n'a pas pour effet une uniformisation générale de toutes les situations. Les revendications du droit à la différence auraient vite fait de réapparaître. Plus particulièrement, elle ne saurait effacer la distinction entre un national et un étranger, de même qu'elle ne peut empêcher un État qui tient cette possibilité de sa souveraineté, de réglementer l'entrée et ensuite le séjour des personnes qui ne sont pas ses ressortissants, mais demandent à vivre sur son territoire. Mais, à l'instar des autres droits et libertés, le principe d'égalité est une règle générale et les limitations qui lui sont apportées par telle ou telle réglementation spécifique sont dans la position étroite de toute restriction. Cela implique qu'elles soient justifiées. Cette nécessité a été évoquée plus haut à propos de la liberté en général. Nous la retrouvons à cette étape du raisonnement qui nécessite alors d'être mené en deux temps : a) les libertés (dont la liberté internationale de circuler) peuvent être limitées si l'État a des raisons valables de le faire. Toute restriction devant être compatible avec les autres droits reconnus dans le Pacte, la compatibilité avec le principe d'égalité est exigée; b) ce principe lui-même (l'égalité) ne peut subir d'atteinte que pour des raisons justifiées. Cela double l'exigence de vérification qui s'exerce sur le pouvoir de l'État. En application du droit international, il lui est possible pour des motifs précis, d'interdire l'accès du territoire à telle catégorie de personnes et non à telle autre, mais il faut avancer pour cela des motifs vérifiables. Le projet de loi du gouvernement de Lionel Jospin s'engage dans cette voie. Il propose une large ouverture pour les intellectuels, chercheurs, entrepreneurs et une quasi-fermeture pour les personnes n'entrant pas dans cette catégorie. Étrange politique « de classe » pratiquée par un gouvernement de gauche qui reconnaît aux seuls nantis le droit de passer les frontières. Rompant de la sorte avec l'égalité, le gouvernement méconnaît l'obligation de dire quels dangers il prétend par là épargner à ses nationaux : l'intérêt national est dans ce cas un prétexte trop sommaire. Toute discrimination proposée restreint les libertés de certains (il faut s'en justifier), mais ce faisant viole le principe d'égalité (il faut encore s'en justifier). Parce qu'il y a double violation des droits fondamentaux des explications substantielles doivent être données. Une allusion approximative au chômage supposant grossièrement que tous les emplois sont substituables, ne fait pas l'affaire 1. Les droits universels de l'être humain méritent mieux que cela. Les justifications doivent être puisées dans les nécessités d'une société démocratique ainsi que la Commission nationale consultative des droits de l'homme l'a opportunément souligné. Il n'y a pas ou plus de droit régalien de l'État qui ne soit limité par ces nécessités 2. S'il est un progrès de notre temps, dans les principes (plus que dans les réalités où il a peu pénétré), c'est celui-là. On voit de la sorte comment le principe d'égalité se met en travers de l'équilibre entre les libertés individuelles d'une part et les droits souverains de l'État de l'autre. Ce faisant, il permet de repousser l'exercice des droits de l'État à leur place d'exception et il dégage alors la règle (les libertés) de l'embuscade où elle semblait tombée.
1 Voir pour des développements sur ce point, plus bas, chapitre 6.
2 Note d'orientation du 3 juillet 1997, citée plus haut, page 26.