La subordination de la question migratoire à l'idéologie
La gauche socialiste, une fois au pouvoir, est prise à son tour dans la spirale, même si elle n'atteint jamais la cohérence répressive qui caractérise la droite. Elle s'empare bientôt de la distinction réguliers/irréguliers (déclaration de François Mitterrand au Conseil des ministres du 31 août 1983) et en tire les mêmes conséquences pratiques. Au nom d'une insertion des premiers dont les voies et moyens politiques restent vagues, elle s'engage dans des contrôles massifs pour repérer les seconds au risque de développer des pratiques policières. Elle ne règle par là évidemment ni la question de l'immigration clandestine, ni celle de l'intégration des étrangers en situation régulière, puisque les causes des maux sont ailleurs. Elle ne s'en trouve pas mieux en termes d'image dans l'opinion. Il lui reste la fuite en avant. Dans les moments où elle perd le pouvoir, elle se fait le témoin prudent de la politique de la droite, cette prudence atteignant des sommets au cours de l'été 1996 et du durcissement de la lutte des Africains de Saint-Bernard. L'équilibre délicat consiste à tirer profit des excès de la répression droitière sans s'aventurer à promettre une politique radicalement différente. Lorsque la gauche revient aux affaires, elle met en place des mesures dans l'ensemble plus modérées, sans se libérer de la racine idéologique qui l'unit à la droite sur cette question. Cette racine est précisément identifiable. Elle tient à un interdit, peu à peu rendu très puissant parce qu'il rallie toutes les forces politiques parlementaires : personne ne doit s'écarter du consensus imposé par le Front national autour du danger migratoire qui ne se discute pas. Demander qu'on établisse la preuve d'un péril au nom duquel est engagée la répression est impossible. Mettre en doute ce danger, pas nécessairement pour le nier, mais seulement pour exiger qu'on en vérifie l'existence, est assimilé à de l'angélisme. Telle était l'accusation portée par la droite contre les pétitionnaires des premiers mois de 1997. Telle est encore l'accusation portée par la gauche après le 1er juin 1997 contre ceux qui contestent les fondements de sa politique. Le changement de gouvernement n'a pas eu de conséquences de ce point de vue (ce qui ne revient pas à dire qu'il n'a pas eu de conséquences du point de vue des mesures prises). Il reste interdit de douter de la force de la pression migratoire et l'angélisme est convoqué à nouveau pour discréditer ceux qui demandent que l'on vérifie d'abord ce qu'il y a à « maîtriser » avant de passer au déploiement de la force inefficace et coûteuse que cela nécessite. Cet interdit général a pesé jusqu'à l'intérieur du Collège des médiateurs pour les Africains de Saint-Bernard. Il n'a pas été facile de s'y interroger sur la réalité de ces flux potentiels massifs.