par Monique Chemillier-Gendreau membre du collège des médiateurs

[injustifiable]

L'autonomie des flux migratoires par rapport au développement

Dès lors, sous l'effet du mouvement des sans-papiers, le discours est devenu : travaillons à contenir les flux migratoires par des politiques de développement adaptées 1. Or, cela est illusoire, la coopération économique n'étant pas une variable de contrôle de ces flux 2. Ceux-ci répondent, je l'ai rappelé plus haut, à des motivations diverses et rarement simples. Il y a les migrations de désespoir, celles qui n'ont pour objectif que la survie la plus immédiate. Cette errance-là « ...trace ses pistes d'une région d'extrême pauvreté à une autre, d'une zone de risques extrêmes à une autre 3 ». Ces mouvements sont le fait de populations parfois innombrables. Elles ne menacent pas l'Europe, encore moins la France, compte-tenu de sa position géographique. De cela nul ne prétendra que nous ayons à nous protéger. Si nous avons l'impérieux devoir international de contribuer à enrayer les causes de cette insupportable détresse humaine, c'est sans relations avec la question migratoire telle qu'elle se pose relativement aux pays occidentaux. Il y a, très différentes, les migrations de promotion. C'est une toute autre itinérance qui ne s'inscrit pas nécessairement dans le malheur, bien que la misère ou le peu d'horizon économique ou politique puissent en être la cause. Ces parcours sont le fait d'individus (même s'ils peuvent être nombreux) et non de masses déferlantes. Chacun est porté par une volonté de promotion sociale. Cela va d'un projet d'études ou de formation au souci de gagner quelques salaires qui permettent non seulement de faire vivre ceux qui sont restés au pays, mais de revenir un jour avec de quoi construire une maison ou monter une entreprise. Les destinations sont préférentiellement les pays développés. Mais quel lien y a-t-il entre l'amélioration des politiques d'aide et de coopération, cette nécessité incontournable de l'équilibre international, et la fixation dans leurs pays de ceux qui composent ces migrations, celles précisément qui nous concernent ? Peut-on d'ailleurs considérer la France seulement comme pays de destination ? En encourageant les jeunes français pris dans l'étau du chômage à tenter leur chance ailleurs, le gouvernement efface la distinction entre pays d'accueil et pays de départ et ruine ainsi l'idée, pourtant utilisée, que la montée du développement s'accompagne de la fixation mécaniste des populations sur leur territoire. Et dans ce raisonnement inexact, il faudrait encore dire quel niveau de développement devra atteindre le pays d'origine pour que de tels projets de départ perdent leur raison d'être ? La question n'est résolument pas pertinente car l'intensité des migrations n'est pas une caractéristique du sous-développement qui cesse avec celui-ci. Et l'on observe des migrations de démarrage qui accompagnent les changements positifs dans l'orientation d'une économie. Faire l'amalgame entre tous ces flux de déplacements humains quelles que soient les différences de nature entre eux, et conclure hâtivement qu'ils seraient endigués par quelques mesures favorables à l'amélioration du bien-être, est difficilement recevable. L'on s'entête cependant à proposer différentes variantes de la coopération qui auraient pour résultat supposé d'entraver des flux d'entrées que l'on persiste à imaginer menaçants.

1 Ce discours a d'abord été tenu par Charles Pasqua alors qu'il était Ministre de l'Intérieur. Il a été repris par Jacques Godfrain, Ministre de la Coopération à l'occasion du mouvement des sans papiers. Il est aujourd'hui, sous une forme plus nuancée, un élément de la politique du gouvernement de Lionel Jospin qui a chargé Sami Naïr, conseiller au cabinet de Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'Intérieur, de préparer un rapport sur ce sujet. Le Monde. 16-17 novembre 1997.

2 Yann Moulier-Boutang. Avis proposé au Collège des Médiateurs dans le cadre de la préparation des Assises tenues en novembre 1996.

3 Claude Valentin-Marie. « L'Union européenne face aux déplacements de populations : les raisons d'État face aux droits des personnes ». Op. Cit. Page 40.