CIRCULAIRE DU 11 OCTOBRE 1999

Lettre à Lionel Jospin

19 novembre 1999 [bok.net/pajol]




Monsieur le Premier Ministre,

Monsieur le Ministre de l'intérieur vient de publier une circulaire qui se veut une réponse à la situation des étrangers non régularisés.

Partant d'un constat selon lequel le nombre de mesures de reconduites à la frontière et leur exécution seraient particulièrement bas, le ministère de l'intérieur appelle ses services à user de tous les ressorts que leur offre la législation pour mieux assurer l'éloignement des étrangers non régularisés.

Cette logique conduit le ministère de l'Intérieur à demander aux forces de l'ordre d'ouvrir ce qu'il faut bien appeler, au delà des précautions de style, une traque au faciès et à désigner les lieux de cette traque : voici donc revenu, enocre plus fortement, le temps ou les forces de police quadrillent un quartier au prétexte qu'il accueille des personnes d'origine étrangère et où utiliser les transports en commun devient, pour peu que l'apparence s'y prête, synonyme de contrôle répété.

En fait tout étranger devient, parce qu'étranger, un suspect qu'il faut ficher : au mépris des engagements qu'il avait pris, le ministre de l'Intérieur se propose de mettre en oeuvre le fichier des empreintes des demandeurs de titres de séjour.

Ficher, traquer, arrêter et, enfin, interner : ce sont des familles entières, femmes et enfants inclus, que le ministre de l'Intérieur se propose d'enfermer dans des centres de rétentions dont il faut augmenter le nombre et dont certains deviendraient quasiment clandestins, recevant des personnes bénéficiant des "normes minimales", c'est-à-dire, en réalité, ne bénéficiant d'aucun droit.

Dans cette lutte, peu importe les conséquences : que nombre d'algériens soient en danger s'ils sont renvoyés en Algérie, parfois parce qu'ils ont refusé l'offre de collaboration que leur ont faite divers services policiers français, n'intéresse visiblement pas le ministère de l'Intérieur.

Tous les services de l'Etat sont alors priés de marcher au même pas et de ne pas entraver les ordres du ministre de l'Intérieur : loin de garantir les libertés individuelles, l'Institution judiciaire est priée de se plier aux désideratas de celui-ci au moyen d'une circulaire appelée à unifier la jurisprudence dans le sens souhaité !

Les autorités consulaires étrangères sont aussi appelées, au mépris de leur souveraineté, à satisfaire aux injonctions du ministère de l'Intérieur.

Désignant l'ennemi, le ministre de l'Intérieur en désigne aussi les complices : ce sont les organisations qui aident les étrangers qui doivent lui être signalées au même titre que les personnes connues pour leur violence !

Nous voulons dire notre profonde inquiétude mais aussi notre révolte. Nous n'acceptons pas que plusieurs dizaines de milliers de personnes soient ainsi pourchassées et nous n'acceptons pas plus que le gouvernement de la République s'engage dans une voie où le simple fait d'aider ces personnes à faire respecter leurs droits est marqué du sceau de la violence ou de l'illégalité.

Il ne peut y avoir un état de droit à deux vitesses, selon qu'il concerne les citoyens français ou les étrangers résidant en France; nous savons bien que ce sont les droits de tous qui sont en péril lorsque les droits élémentaires de quelques uns qui sont méprisés.

Le ministre de l'Intérieur revient ainsi, jusqu'à la caricature, à un traitement policier et répressif d'une situation que la politique menée par le gouvernement a créée.

L'ensemble des associations, de nombreuses organisations politiques et syndicales et la Commission Consultative des Droits de l'Homme n'ont cessé de rappeler que les critères de régularisation devaient prendre en compte étroitement la volonté d'intégration que manifeste une demande de titre de séjour.

A l'inverse, c'est un arbitraire incohérent qui a été appliqué quotidiennement dont le seul but semble être non de régulariser et d'intégrer ceux et celles qui ont manifesté cette volonté d'intégration mais d'expulser de notre territoire un nombre significatif de personnes.

L'effet d'annonce ainsi recherché ne trompera personne. De tous côtés, y compris chez les promoteurs de loins antérieures encore moins acceptables, vient l'affirmation que c'est une réponse politique et non policière qu'appelle cette situation.

Le gouvernement doit prendre en compte cette réalité. Nous vous serions reconnaissant de bien vouloir nous accorder un entretien afin qu'un dialogue puisse s'établir et qu'une solution soit enfin trouvée pour qu'il soit mis un terme à la situation de non droit dans laquelle sont enfermées quelques dizaines de milliers de personnes.

Nous vous prions de croire, Monsieur le Premier Ministre, en l'assurance de notre haute considération.


SIGNATAIRES : Act UP - Agir ensemble pour les DH - AIDES Fédération - AMF - ATF - ATMF - ATTF - CGT - CIEMI - CIMADE - CNAFAL - Coordination française pour le droit de vivre en famille - Coordination nationale des Sans-Papiers - CSL -Droits devant !! - Emmaüs - FASTI - France Libertés - FSU - FTCR - GISTI - LCR - Les Verts - LDH - LO - MRAP - Observatoire des libertés publiques - PCF - Syndicat de la magistrature - SAF - SNPM - Sud-PTT".