CIRCULAIRE DU 11 OCTOBRE 1999
Réponse du Comité de Défense des Droits des Sans papiers 59 (Lille)
Comité de Défense des Droits des Sans-Papiers
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DERNIÈRES NOUVELLES DE LA CHASSE AUX MÉTÈQUES
Une circulaire du ministre de la police rappelle aux préfets que la chasse aux métèques continue. Par une circulaire datée du 11 octobre dernier, le ministre de la police rappelle quelques règles nécessaires pour éviter, dit-il, le "risque d'affaiblir la portée de la règle de la République", tant il est vrai "que près de la moitié des personnes qui n'ont pas été régularisées en 1997 et 1998 n'ont été l'objet d'aucun arrêté de reconduite" explique notre ministre défenseur de la loi républicaine. Et pour mieux préciser son propos, le ministre précise : "S'agissant par exemple de l'Algérie, il ne serait pas justifié que la politique d'élargissement des visas que j'appelle de mes vux, et dont j'ai dit aux autorités algériennes qu'elle est effective, ne trouve sa contrepartie clans l'éloignement des Algériens en situation irrégulière. "
Et de rappeler quelques principes de défense de la République.
l'interpellation
"Tout en évitant le risque de contrôles systématiquement sélectifs, vous rappellerez aux services de police et de gendarmerie la nécessité d'effectuer des vérifications répétées dans les endroits qu'ils vous auront indiqués comme étant ceux où se concentrent les irréguliers"
Le ministre de la police le rappelle, les contrôles "au faciès" sont illégaux, mais rien n'empêche de contrôler les lieux considérés comme point de rassemblement des "irréguliers". Ainsi pourra-t-on contrôler en toute légalité républicaine ceux que l'on soupçonne d'être des "irréguliers". La récréation est finie, précise la circulaire, le temps de la régularisation est passé et l'on peut de nouveau interpeller et expulser.
l'identification
Afin d'éviter une "absence d'identification" qui "rend difficile l'éloignement", la circulaire rappelle qu'il existe des fichiers qu'il faut savoir tenir à jour et utiliser. En particulier, le ministre de la police souhaite « faire progresser la mise en uvre du fichier des empreintes de demandeurs de titres de séjour prévu par l'ordonnance de 1945". Rappelons que ce dernier fichier fut mis en place par le précédent ministre de la police et fut contesté par l'opposition de l'époque qui ignorait qu'elle viendrait au gouvernement plus vite que prévu. Ainsi le ministre de la police d'aujourd'hui reprend à son compte les points des lois antérieures que le gouvernement actuel s'est empressé de ne pas abroger. Enfin, le ministre insiste sur la nécessité de se "rapprocher de l'administration pénitentiaire" afin de mieux faire fonctionner la double peine.
les relations avec les consulats étrangers
Dénonçant linsuffisance des délivrances de laissez-passer par les consulats de certains pays, le ministre de la police rappelle que les ambassadeurs des pays étrangers fournisseurs de "Sans-Papiers" doivent comprendre qu'ils ne doivent pas faire obstructions aux mesures d'expulsion; la collaboration avec les autorités françaises participe, selon notre ministre, de "la nécessité d'améliorer ce qui n'est rien d'autre que l'exigence de protection qu'ils doivent à leurs propres concitoyens". Après cette magistrale leçon de civisme donnée aux ambassadeurs, le ministre de la police rappelle à ses troupes comment ils doivent "veiller à établir une relation personnelle de confiance avec le consul concerné et ses services, de sorte que vous puissiez résoudre les difficultés ». Ainsi ambassades et consulats doivent obéir aux injonctions du ministre de la police et faciliter les expulsions de leurs 'Propres concitoyens" dans l'intérêt même des expulsés. On ne saurait témoigner plus grand mépris envers les diplomates.
les procédures juridictionnelles
Mais le ministre de la police ne s'en prend pas qu'aux seuls diplomates. Il apparaît à la lecture de la circulaire que la justice n'a pour fonction que pour permettre à la police d'accomplir ses basses besognes. Les procédures sont lourdes et risquent de diminuer l'efficacité des expulsions. Si "dans la grande majorité des cas, le juge administratif confirme le point de vue de l'administration", il arrive que ce ne soit pas le cas, ce qui désorganise la bonne marche de l'administration. C'est pour cela que notre ministre de la police, qui se voudrait aussi ministre de la justice, précise :
" Quant aux décisions du juge judiciaire relativement au maintien en rétention, mon objectif est qu'elle puissent faire l'objet d'une instruction pénale du Garde des Sceaux."
On ne saurait mieux dire. le Garde des Sceaux doit donner ordre aux juges de ne pas entraver la machine à expulser. Il faut bien que police se fasse.
la rétention et le transfert des étrangers à éloigner
Si la circulaire reconnaît les droits des étrangers dans les centres de rétention, c'est pour expliquer aussitôt que "le renforcement des droits ne doit pas être perçu comme une renonciation à l'éloignement". Pour notre ministre de la police il semble bien que les droits ne sont là que pour mieux permettre l'application des mesures d'expulsion. Le droit n'est plus que la machine qui permet de légitimer les atteintes aux Droits de l'Homme.
l'exécution matérielle de l'éloignement
Il paraît que certaines compagnies aériennes rechignent lorsqu'il y trop d'expulsions, position inconciliable avec celle d'un ministre de la police qui tient à son quota d'expulsés.
"Mais J'attache aussi du prix à ce que, dans les derniers mois de l'année 1999, une augmentation significative du nombre d'éloignements effectifs et du taux dexécution des mesures intervienne. "
Ainsi l'efficacité d'une politique d'immigration se juge au taux d'expulsions réussies. Qu'importent alors les Droits de l'Homme pour un ministre qui, pour éviter que la police ne se place au dessus du droit, propose que le droit se soumette à la police. On voit ainsi à l'oeuvre les conceptions républicaines si souvent affichées par notre ministre de la police. Mais le ministre de la police ne se contente pas de demander aux Préfets d'ignorer les Droits de l'Homme, il faut encore que participent au grand'oeuvre ministériel, à côté des services de la préfecture, 'les services de police compétents, notamment de sécurité publique, du Procureur de la République, de l'administration pénitentiaire, de la gendarmerie nationale, des douanes, ainsi que toute personne dont le concours vous paraîtrait nécessaire". Ainsi la République dans son ensemble doit participer à cette opération de "salubrité" que propose le ministre de la police, l'expulsion de ceux qui sont en situation irrégulière et que l'administration n'a pas jugés dignes d'être régularisés.
Il paraît que le ministre de la police est ministre d'un gouvernement de gauche. De quelle gauche s'agit-il? Depuis quand la chasse aux métèques dont notre ministre de la police se veut un organisateur efficace est devenue une pratique de gauche? La circulaire du 11 octobre n'engage pas le seul ministre de la police. Le silence des autres ministres vaut approbation et signifie aujourd'hui que la chasse aux métèques participe des valeurs républicaines. Le chevènement qui nous gouverne, non seulement s'affirme un digne successeur d'une tradition xénophobe qui a malheureusement pris trop de place dans l'histoire de la République, niais encore il exige que toute la gauche se plie à ses désirs. Si le gouvernement se montre assez lâche pour accepter de céder aux désirs du ministre de la police, si certains membres de ce gouvernement marquent leur accord avec une politique qui est, en fin de compte, marquée par une idéologie d'extrême-droite, il importe que ceux qui, par leur vote, ont permis à ce gouvernement d'exister, rappellent à nos ministres quils n'ont pas voté pour que se développe une xénophobie d'Etat. Que ceux des ministres qui sont en accord avec cette xénophobie d'Etat, à commencer par le ministre de la police, soient mis hors du gouvernement et qu'ils rejoignent leurs amis idéologiques. Quant à ceux qui se taisent par lâcheté ou par opportunisme, qu'ils se réveillent et qu'ils retrouvent le sens des valeurs républicaines. La politique du gouvernement donne l'impression que, pour sauver leur impuissance face aux forces financières qui dominent aujourd'hui sous prétexte de mondialisation, impuissance que reconnaissait il y a peu le premier ministre, il reste à prendre des mesures de rétorsion contre les premières victimes de ces forces financières, à commencer par les étrangers résidant en France. Il est vrai que le ministre de la police déclarait il y a peu à la tribune de l'Assemblée Nationale :
"Pourquoi faut-il maîtriser les flux migratoires? Parce qu'il existe hors de nos frontières ce que Karl Marx appelait une immense armée industrielle de réserve. Ne pas maîtriser les flux migratoires serait s'abandonner aux forces du marché et des marchands de main doeuvre qui exerceraient une pression illicite sur le marché du travail."
et pour préciser son propos, le ministre ajoutait:
"Ilfaut aider le gouvernement à résister à la mondialisation libérale. "
Le ministre de la police, se rappelant ses anciens engagements politiques pour mieux les détourner, fait dire à Marx que le meilleur moyen de lutter contre l'exploitation de l'homme par l'homme est de supprimer les exploités, ainsi les exploiteurs n'auront plus personne à exploiter et le capitalisme finira. Qu'un tel personnage soit ministre d'un gouvernement qui se dit et se veut de gauche en dit long sur cette fin de siècle qui veut consacrer la victoire mortifère du libéralisme le plus anti-humain. Devant la circulaire du 11 octobre il nous semble nécessaire que ceux qui se réclament de la gauche et qui pensent que celle-ci n'existe que si elle pense et agit selon ses propres valeurs, sachent prendre leurs distances face à un gouvernement qui a oublié ses principes et qui compte aujourd'hui dans ses propres rangs, non pas des adversaires politiques, mais des ennemis. Si ce gouvernement se veut de gauche, qu'il se débarrasse de son ministre de la police et de ceux qui l'approuvent et le soutiennent, et qu'il retrouve la volonté politique d'agir et de penser à gauche.
Ce siècle nous a appris combien l'attitude d'un Etat envers ses métèques exprime la façon dont cet Etat respecte la démocratie. La politique chevènementesque est un mauvais coup contre la démocratie, il importe qu'il y soit mis fin.
Lille Novembre 1999
Comité de Défense des Droits des Sans papiers 59