La circulaire du 11 octobre, signée Chevènement
et révélée par "Libération",
inaugure l'ouverture d'une chasse intense aux sans-papiers.
De la première phrase, constatant que "les statistiques
nationales" des expulsions effectives sont d'un "niveau
anormalement bas", à la dernière demandant
des comptes-rendus réguliers sur les "résultats
obtenus", tout dans cette circulaire vise à faire
du chiffre en matière de reconduites à la frontière.
Pour Chevènement comme pour ses prédécesseurs,
c'est au nombre de reconduites qu'on mesure la qualité
d'un ministre de l'Intérieur. Il se veut performant à
l'approche du débat budgétaire.
Déjà en 1996, Debré affichait son tableau
de chasse: officiellement 11611 reconduites exécutées
(soit 27,2% des reconduites prononcées); mais devant le
Parlement, lors du vote du budget, il en revendiquait 14701, soit
31%. On était, il est vrai, à la veille du débat
sur la loi Debré. A son tour, Chevènement veut prouver
ses qualités d'expulseur, lui qui prévoyait 12000
reconduites par an. Pour l'instant, les chiffres le déçoivent
et il espère en communiquer de "meilleurs" courant
novembre. Selon les préfets, 20% des reconduites prononcées
ont été exécutées. S'il ne dépasse
pas largement les 10000, ce sera le chiffre le plus bas depuis
l'entrée en vigueur des lois Pasqua.
"Efficacité"
Si ce chiffre importe tant à Chevènement, c'est
que l'un des objectifs de sa loi est d'augmenter l'efficacité
des expulsions, notamment grâce à l'allongement de
la durée de rétention administrative. Or, il reconnaît
lui-même que les arrêtés de reconduite ont
été "en proportion nombreux ces derniers mois",
notamment par voie postale, mais pas assez suivis d'effet à
son goût. C'est pourquoi il ordonne aux préfets de
"motiver et mobiliser les services de police compétents
pour procéder aux interpellations, qui sont actuellement
en nombre insuffisant". Et pas de détail, pas de "circonspection".
Bien sûr, une précaution oratoire hypocrite recommande
d'éviter "le risque de contrôles systématiquement
sélectifs", autrement dit au faciès. Mais le
ministre ordonne des "vérifications répétées"
là "où se concentrent les irréguliers".
Les foyers, les préfectures, les lieux d'occupation ou
les locaux qui abritent les collectifs de sans-papiers seront
particulièrement visés, et Chevènement veut
nous faire croire que les policiers ne cibleront pas particulièrement
les noirs et les Arabes. Comment ne pas voir la contradiction
entre cette disposition et les négociations que le préfet
a accepté d'ouvrir sans préalable avec les grévistes
de la faim et le collège des médiateurs à
Saint-Denis? Chevènement ne se contente pas de donner des
ordres aux préfets. Il tient E.Guigou pour sa subalterne.
Pour forcer tous les juges à maintenir les sans-papiers
en rétention, il réclame "une instruction pénale
du garde des Sceaux". Réaction immédiate de
l'Union syndicale des magistrats qui refuse qu'on considère
les juges comme "des machines à avaliser les décisions
des préfets", et du Syndicat de la magistrature qui
dénonce un "dérapage inacceptable" et
l'ouverture d'une "phase ultra-répressive". Chevènement
distribue même des mauvais points aux ambassadeurs des pays
dont les consulats rechignent à délivrer les laissez-passer
qui accélèrent l'expulsion. Il appelle les préfets
à établir "une relation personnelle et de confiance
avec le consul concerné" et annonce "une procédure
de saisine des ambassades" contre les consuls peu coopératifs.
Par exemple, l'augmentation prévue du nombre des visas
accordés aux Algériens exige "sa contrepartie
dans l'éloignement des Algériens en situation irrégulière".
Le droit d'asile a toutes les chances d'être la principale
victime de ce genre de marchandage. Rien d'étonnant pour
un gouvernement partenaire commercial des dictatures. Pour ménager
Khatami et les intérêts de Total, Chevènement
a bien fait arrêter des dizaines d'opposants iraniens. Explication
cynique de Védrine: "En quoi la démocratie
avancera plus vite dans les pays qui achèteront des Boeing
plutôt que des Airbus?"
La dernière circulaire Chevènement n'est pas une
simple "gesticulation", comme l'a imprudemment déclaré
Jean-Pierre Alaux, responsable du Gisti. De nombreux signes ont
confirmé ce durcissement. Réunis en coordination
le 31octobre, les collectifs de sans-papiers l'ont mesuré:
"Depuis une semaine, nous avons noté une cascade d'arrestations
et des tentatives d'intimidation des collectifs de sans-papiers.
Jeudi 28octobre, un fonctionnaire des renseignements généraux
s'est présenté au siège national pour "avoir
des informations sur la réunion de dimanche", l'AG
du 31octobre de la coordination nationale. Notre camarade Romain
Binazon [...] est maintenant frappé d'une peine de 3 ans
d'interdiction du territoire à titre principal". En
riposte, la coordination appelle à des manifestations devant
les préfectures et sous-préfectures le jeudi4novembre,
et à un rassemblement le même jour à 18heures
près du ministère de l'Intérieur, place Saint-Augustin.
Ne laissons pas Chevènement faire du chiffre en jouant
avec la vie des sans-papiers pour atteindre ses sinistres objectifs.
Emmanuel Sieglmann