par Charles Condamines | [débat] |
« ON peut prendre toutes les décisions administratives possibles, on ne résoudra le problème de l'immigration, de l'Est comme du Sud, que par le développement des pays d'origine. » Ces fortes paroles sont de Charles Pasqua. Du temps où il était ministre de l'intérieur et faisait voter les lois qui portent son nom.
Il y a là comme une évidence. Trop oubliée et à présent polluée.
Même en érigeant un mur de Berlin au milieu de la Méditerranée, même en multipliant les assauts de notre police contre nos propres sanctuaires, on ne pourra tout simplement pas décourager la farouche énergie de ceux qui n'ont rien à perdre en tentant de franchir à tout prix les frontières. Il en sera ainsi tant que les disparités entre différents espaces socio-économiques resteront aussi gigantesques. Comme le déclarait récemment le président sénégalais Abdou Diouf, on n'arrête pas le fleuve avec les bras.
Il faut donc agir à la source, au niveau des causes. Le remède contre l'immigration, c'est le développement. Plus de coopération pour moins d'immigration. Même les partisans les plus zélés de la « France aux Français » semblent partager cette conviction.
Et voilà comment le ministère de la coopération en est venu à apporter son concours à celui de l'intérieur. Par exemple, en finançant des projets d'aide au retour. Ceux-ci n'ont pas eu le succès espéré. Les immigrés « bénéficiaires » les ont d'abord perçus comme autant de manières de racheter à bas prix leurs titres de séjour ou de donner une décence « humanitaire » à des décisions équivoques. Et bien plus rarement comme une chance offerte de pouvoir contribuer sur place au développement de leurs pays d'origine.
Ou encore en relançant dans les zones présentant un gros risque migratoire des projets de développement susceptibles de « dissuader la population d'aller chercher l'Eldorado dans les couloirs du métro parisien ». C'est ce que M. Godfrain, ministre délégué à la coopération, s'apprête à faire au Mali les 23 et 24 septembre.
Dans tous les cas, la contribution que les immigrés eux-mêmes apportent déjà au développement ou à la survie de leurs communautés et pays d'origine est soit passée sous silence soit même carrément déclarée nuisible.
Or cette contribution est souvent considérable et toujours vitale pour ses bénéficiaires. Globalement, chaque année, les immigrés vivant dans les pays riches d'Occident (OCDE) transfèrent vers leurs pays d'origine des montants plus importants que toute l'aide publique au développement réunie. Au Maroc ou aux Philippines, ces apports constituent la première source de devises. En France, deux immigrés sahéliens sur trois sont membres d'associations ayant pour objectif explicite de venir au secours de leurs villages d'origine. Et membres très actifs puisque tous les mois ils cotisent à hauteur de 150 à 200 francs pour construire une école, approvisionner un dispensaire en médicaments ou irriguer un champ de riz. Sans compter les secours de toutes sortes envoyés directement aux familles.
S'agissant de développement, il importe assurément de savoir combien il faut de gouttes d'eau pour faire pousser un grain de riz. Mais il importe aussi de parler la langue du coin et de savoir où et comment sont enterrés les ancêtres. Tout cela, les immigrés originaires de ces régions le savent mieux que quiconque. Il y a donc pour le moins un manque à gagner a vouloir une coopération avec le Mali sans et à plus forte raison contre les immigrés maliens. Surtout si on la veut plus efficace pour améliorer les conditions de vie des plus démunis.
Contrairement aux apparences, cette valorisation de la contribution des immigrés au développement de leurs pays d'origine n'est pas un obstacle à leur meilleure intégration ici. C'est quand ils sont pleinement reconnus et encouragés dans leur légitime préoccupation pour ceux des leurs qui sont restés au pays qu'ils sont aussi moins enclins à développer des logiques de ghetto. Actuellement, ils ont souvent l'impression qu'au ministère de la coopération, au Fonds d'action sociale et ailleurs on leur demande d'oublier leur pays en leur disant qu'on s'en occupera mieux nous-mêmes.
Il y a quelque corruption morale à invoquer les valeurs de la coopération et de la solidarité internationale pour justifier la lutte contre l'immigration et les immigrés. D'un point de vue plus politique, mobiliser l'armée pour chasser les immigrés de chez nous et envoyer le ministre de la coopération pour les aider là-bas, c'est, à coup sûr, perdre sur les deux tableaux à la fois : celui de l'intégration et celui de la coopération.
Certaines associations françaises de solidarité internationale, certaines municipalités et même certains conseils régionaux (notamment celui d'Ile-de-France) ont heureusement compris l'intérêt qu'il y avait à se concerter avec ces nouveaux partenaires de la coopération internationale » (c'est ainsi que se trouvent qualifiés les migrants dans un récent rapport de l'OCDE).
Il y a là des chantiers certainement moins spectaculaires et fracassants que ne le sont les charters. Mais ils sont davantage porteurs d'un avenir commun possible.