COPAF
Réponse à Monsieur Cuq
Début Avril 1996, le rapport de Monsieur le Député H. Cuq, Situation et devenir des foyers de travailleurs immigrés jetait dans la consternation et le dépit nombre de résidents de foyers, d'associations gestionnaires d'immigrés et de Français préoccupés du logement social.
Le COllectif Pour l'Avenir des Foyers (COPAF) d'immigrés africains s'est organisé en réaction à ce rapport fondamentalement idéologique, politicien, dans lequel les auteurs font à l'évidence un abcès de fixation injustifié et diffamatoire sur les résidents de quelques foyers d'Africains du Sud-Sahel.
Certes, nous nous félicitons de l'intérêt porté par le Premier Ministre et les Parlementaires au logement des immigrés isolés résidant en foyers. Les constats sur les changements que connait l'immigration dans sa structure démographique et urbaine rendent effectivement cruciaux les besoins de logement social accessible et de qualité, lequel devient un des points clé, incontournable, de l'insertion.
De même, nous rejoignons, sans ambiguités, les appels lancés par le rapporteur de la Commission, Monsieur Cuq, sur l'urgence et l'impérieuse nécessité de réhabilitations et de constructions de certains foyers notamment ceux habités par des Africains du Sud-Sahel.
Mais en même temps, en raison de la partialité des points de vue, du manque de concertation valables avec les résidents de foyers et leurs représentants, de la manipulation de documents présentés, d'erreurs d'analyse manifestes, de la technique insidieuse et constante de l'amalgame et des stéréotypes en vue d'attiser chez le lecteur la peur d'un chaos - que le gouvernement va justement éviter ! - nous sommes contraints de rappeler quelques données de contexte, de perspectives et de conditions préalables à la mise en oeuvre d'initiatives concernant le logement des travailleurs immigrés en foyers on non.
Nous compléterons notre diagnostic de propositions provisoires concrètes [2] susceptibles d'allier les normes urbaines classiques aux modes de vie et aux aspirations africaines. Nos propositions iront dans le sens requis par le Premier Ministre, c'est à dire dans celui du renforcement de relations citoyennes loyales d'immigrés africains avec la population française.
Ce faisant et en privilégiant un droit de réponse d'Africains du Sud-Sahel en foyers, nous nous garderons de procéder par comparaisons avec d'autres résidents immigrés de foyers; nous ne voulons pas autoriser qui que ce soit à favoriser de nouvelles discriminations notamment en opposant les nationalités maghrébines et africaines; et ce d'autant que nous estimons que les techniques de présentation du rapport Cuq, notamment celles de zooms répétés et focalisés à souhait sur les foyers africains, créent abusivement ce type de discrimination entre les Maghrébins assagis et dociles et les Africains de l'Ouest "à la nuque raide", peu manipulables parce que collectivement soudés. A la limite, pour les premiers, le problème de la vie en foyers se résumerait aujourd'hui à leur "vieillissement", pour les autres, l'essentiel apparaitrait, selon le violent réquisitoire de Monsieur Cuq, dans l'illégitimité de leurs choix de modes vie et d'association.
L'omission est d'autant plus surprenante que l'auteur, issu des renseignements généraux, est habitué, par profession, à remonter filiations et filières.
Une légion étrangère de main d'oeuvre
En y prêtant attention, et en se limitant à un survol rapide,
Monsieur Cuq aurait appris que les immigrés, anciens colonisés,
constituèrent durant les "Trente glorieuses" une véritable
légion étrangère de main d'oeuvre indispensable à
l'expansion, c'est à dire une troisième force[3]
, agissant sur les fronts les plus dangereux de la reconstruction et de la
modernité françaises.
Sans compter les immigrés du secteur rural, en 1970, au dire de Monsieur Fontanet, Ministre de l'emploi, les immigrés toutes nationalités confondues représentaient jusqu'à 20% des effectifs ouvriers du secteur industriel[4]. Ils constituaient une main d'oeuvre recherchée et prisée parce que robuste, jeune, immédiatement disponible à peu de frais; les Africains avaient la côte; c'étaient de bons "petits nègres", peu remuants, cherchant avant tout à s'assurer un travail, acceptant de subir, pour un salaire minimum, des conditions de pénibilité, d'horaires invraisemblables, de menaces pour la santé (mines/usines chimiques/zones dangereuses de la Régie...) et d'abris-logement dérisoires. Leur seul souci c'était déjà de recevoir, avec le salaire nécessaire à la survie et développement des leurs restés au village, la reconnaissance de leur mode de vie communautaire.
Des Français de cette époque attiraient déjà l'attention de leurs concitoyens et des politiques sur les drames de logements de fortune dans les bidonvilles, les meublés, les garnis, les caves, les baraques de chantiers, les cours accolés à l'usine, les ateliers désaffectés et bricolés à la hâte pour ces immigrés d'Afrique de l'Ouest ; ils faisaient aussi remarquer que dans la hiérarchie des malheurs c'étaient les Africains qui se trouvaient, dans ces années là, les plus mal lotis. Ces derniers acceptaient en partie ces invraisemblables conditions estimant qu'elles étaient provisoires, que très tôt ils retourneraient au village et seraient remplacés sur la terre d'exil-France par un de leurs frères. Leur insertion n'était pas à l'ordre du jour pas plus que pour les Français de cette époque. Sur le grand chantier de la reconstruction, chacun se considérait comme inséré par ses capacités de travail et de productivité.
Les foyers d'hébergement furent aménagés; ils tenaient compte de la dimension de cet exil dit "provisoire" en se contentant d'offrir des logements ressemblant plus à des campements qu'à des habitats mais qui paradoxalement devenaient des lieux de rencontre et d'accueil des communautés africaines où tout nouvel arrivant trouvait immédiatement l'entraide qui lui était indispensable.
En 1974, les directives et lois sur l'arrêt de l'immigration bloquèrent de façon définitive, la noria migratoire. Cette date coïncidait (est-ce un hasard ?) avec les premières grandes sécheresses des années 73-74 qui ont terriblement affecté le Sud-Sahel et désorganisé une économie villageoise de plus en plus dépendante de l'immigration.
Les terribles reportages d'époque sur la famine au Sahel marquée par la chute durable de la pluviométrie, sur la désertification galopante de zones africaines dûe à IO années de sécheresse ininterrompue contraignirent à de nouvelles immigrations et à des séjours plus longs que prévus, et par contre-coup à un autre type de cohabitation. Le logement, tout autant que les aspects communautaires de services, de partage et de projets liés à la situation africaine prirent alors une toute autre importance. Tandis que jusqu'à la fin des années 70, les plus vifs conflits et luttes avec les logeurs - à la SONACOTRA et dans les foyers d'associations patronales - avaient été menées principalement par les Algériens, les Africains commencèrent à s'avancer, eux aussi, sur le terrain de la revendication; ils le firent en un premier temps, par une appropriation collective originale des lieux et de réglementations proche de ce que certains pensaient être de l'"autogestion".
Les résultats s'en suivirent. Et l'Histoire nous dira sans doute un jour que les interventions financières de ces immigrés du Fleuve - fruit de toutes leurs économies rassemblées - permirent d'éviter en leur pays respectifs la famine et la dérive meurtrière de luttes intestines comme il advint en Ethiopie, au Rwanda...[5]
Avec les années 80 débutent de fortes réductions d'aides accordées aux organismes gestionnaires; les communautés africaines répliquent en accroissant leur autonomie et créant des associations loi I90I : "La loi 1901 a changé quelque chose...ça permet d'être une association reconnue dans la société où nous vivons et ça permet aussi une ouverture des gens de la société française."
Dans les années 80 également, se dessine, en foyers, une autre forme de médiation et de liens communautaires. Les regroupements familiaux nombreux en région parisienne et le fait que les foyers et leurs résidents soient de plus en plus tenus en marge accélèrent la mutation: les regroupements communautaires en week-ends et les jours de fête, les associations villageoises pour la survie et le développement des villages d'origine jouent un rôle régulateur de plus en plus apprécié ; ils créent des repères autour desquels s'organisent en des formes nouvelles une vie sociale et culturelle importante. Les projets villageois notamment mais aussi les actions associatives sur la cité suscitent des formes de communication nouvelles et soulignent s'il le fallait que les Africains ont mieux assimilé qu'on ne le pense la société de communication française et qu'ils y intègrent bien leurs propres modes de sociabilité.
C'est ainsi que les communautés qui ont su développer au sein de leurs foyers une fonction de centre de vie sociale, de lieu carrefour, vont progressivement donner à ces établissements de nouvelles fonctions, celles de supports pour des rencontres associatives avec d'autres partenaires, devançant par là, les institutions publiques.
Les années de déqualification et de mémoire
courte
Depuis ce qui est appelé le choc pétrolier, mais qui en fait
marque le tournant d'une restructuration industrielle et économique du
capitalisme français, la main d'oeuvre étrangère devint de
moins en moins attractive ; l'opposabilité pour tout
emploi susceptible d'être exercé par un Français est
décrété, la prime au retour inconditionnel votée;
les difficultés administratives de renouvellement de carte
de séjour s'accroissent de jour en jour..
Désormais les Africains de l'Ouest sont devenus d'autant plus mal aimés, mal venus, indésirables qu'ils prennent conscience de leur force, de leur légitime différence, de leurs capacités d'organisation, du pouvoir médiatique de leurs familles, pouvoir particulièrement mis en relief dans les grèves de redevances appuyées, dans les revendications non violentes de Vincennes, du Quai de la Gare, de l'Eglise St Ambroise mais aussi du foyer Nouvelle France et de maints autres foyers.
C'est qu'en effet, en foyers notamment, on est loin des solidarités de survie des toutes premières années. L'ère de l'auto-organisation, de la co-organisation... constituent, en fait des stratégies d'intégration; ils marquent de réels progrès sur les pratiques d'assistance et de paternaliste d'autrefois. Leaders et résidents s'ouvrent aux autres comme on le voit par le consensus établi en maints foyers pour des opérations "portes ouvertes", mais aussi par la création d'associations citoyennes des foyers d'Alfortville, Branly, Rochebrune, Bara, Paris 17, Vincent Auriol, Commanderie, Marc Seguin, rue de Lorraine, Drancy... partout, ces associations tentent de gérer actions et projets - sociaux, culturels, sportifs, musicaux.. -,en partenariat avec ceux de la cité. Sans doute pourrait-on en attendre davantage encore faudrait-il les considérer, dans la pratique et non seulement dans le discours, comme des acteurs sociaux à soutenir financièrement pour professionaliser leur bénévolat, et les rendre à même de travailler en liens étroits avec les professionnels du social ainsi qu'avec leurs directeurs de foyers dont les attributions se rapprocheraient plus de celles de médiateurs que de celles de gestionnaires.
On est bien loin du compte,car dans l'oubli de tout ce qu'ils ont apporté et permis, de la modernité qu'ils ont contribué à assurer à leur mesure, dans les guerres de libération de la France (I914-1918 et I939-1945), dans l'accueil fait à l'appel de de Gaulle au lendemain des indépendances à la "grande communauté" francophone à laquelle ils ont adhéré plus que d'autres...Après des années de galère vécues au service de la France le rapport de Monsieur Cuq veut amplifier l'effacement et assurer l'oubli de toutes ces contributions et emboîter les thèses d'exclusion du Front National. Comme l'exprime un délégué de foyer : "C'est clair. La France ne veut plus garder des gens qui l'ont servie. On ne peut pas l'obliger à nous aimer ! Cependant, au bout de longues années passées dans ce pays qu'on le veuille ou non, on en est un peu citoyen".
Pour le faire, les études officielles ne manquaient pas[6] ni non plus les résidents représentatifs, les acteurs de terrain comme les travailleurs sociaux ou les directeurs de foyers. A croire que cette présentation de l'originalité africaine par le biais de ses acteurs était trop risquée! Elle aurait pu donner une autre image que celle d'hommes ne se réduisant pas à être des hors-normes, de la main d'oeuvre bon marché, limitée à leur seule force d'appoint.
N'aurait-il pas fallu présenter les africains des foyers en reconnaissant - plutôt qu'en dénigrant - leur identité propre,leurs caractéristiques reconnaissables et visibles, car dans l'insertion "l'essentiel (n'est-il pas) de valoriser le développement d'une dynamique d'échanges qui tout en préservant les spécificités culturelles des différentes composantes de la société contribue à l'émergence de nouveaux liens sociaux et instaure un espace social suffisamment cohérent."[7] ?
Certaines de ces "spécificités" sont énoncées dans le rapport mais elles le sont sur un mode tellement dévalorisant et négatif qu'elles en deviennent un obstacle voire un non droit, ainsi en est-il de leur organisation de vie, de leur sens et pratiques communautaires et de leur maîtrise économique.
Nous acceptons de comprendre que pour des Français urbanisés depuis longtemps, il soit difficile de saisir ce que peuvent comporter les références d'hommes tous originaires de zones et de cultures agraires, qui ne se considèrent pas avant tout comme des particules-individus mais plutôt comme des composantes d'un ensemble, d'un noyau dur indivisible et indissociable de la fratrie. D'autant que ces hommes en service commandé, détachés provisoirement des leurs, se savent venir d'ailleurs et qu'une majorité d'entre eux veulent retourner et réintégrer cet ailleurs; d'autant que ces hommes ont leur épouse et leurs enfants hors de France et qu'à ce titre on les classifie comme des "isolés" ; d'autant enfin que leur principe économique est celui du développement de leurs familles et villages, un développement Nord-Sud, un investissement inconciliable, selon eux, avec la consommation effrénée à la française.
Ce qu'ils gagnent n'est pas protégé dans des bas de laine encore moins dans des comptes en banque en Suisse ou en diverses zones franches; il est réaffecté, là bas, en infra-structures et en innovations dans lesquelles l'exportation française trouve souvent son compte [8].
Ce qui est le plus voyant parmi ces résidents africains c'est ce qu'on appelle en termes approximatifs leur sens "communautaire ", leur "solidarité". Ce sont les manifestations de cet esprit de corps qui provoquent l'indignation de Monsieur Cuq. Esprit de corps bien explicité et concrétisé dans les structures de comités des sages, de délégués, de chefs de communauté... mais aussi dans les liens constamment entretenus avec les associations de quartier, la police, les élus locaux.. Plutôt que de condamner abruptement ces formes communautaires mieux ne vaudrait-il pas renforcer leurs liens avec la cité plutôt que de faire table rase de l'existant et créer du fantasme; ce qui semble être la stratégie de Monsieur Cuq, pour qui la revendication au niveau du comportement communautaire, apparait comme le négatif de ce que devrait être à ses yeux la vie d'hommes en France... Comme le disait Tjibaou, avec son humour décapant, : "Le vrai c'est vous qui l'avez ; nous on est à l'envers" !
Une vie à très bon compte
(rapport de Monsieur Cuq, page 18)
Parcours d'immigrés, quête de reconnaissance d'une
identité originale mais non pas incompatible avec d'autres, tels sont deux des
éléments essentiels qui à notre avis auraient dû fournir
la grille d'analyse des comportements d'Africains de l'Ouest en ces foyers
vilipendés par Monsieur Cuq.
Trois griefs essentiels sont portés à l'encontre de ces résidents du Sud-Sahel : extra-territorialité, zone de non droit, trafics et activités économiques parallèles, rente de situation donc "vie à très bon compte" (sic).
Parlant d'extra-territorialité ce qu'omet de dire Monsieur Cuq c'est qu'en Ile-de-France notamment, les foyers de Sud-Sahéliens constituent un élément d'équilibre pour de nombreuses familles de même origine installées (par regroupement familial) dans le voisinage. On parlerait volontiers de foyers-maisons-de-quartier, maisons du peuple, tant ils servent de trait d'union entre anciens, adultes et jeunes issus de l'immigration et du regroupement familial.
Les solidarités anciennes vécues en foyers ont connu, au fil des ans, de réelles translations du champ de la famille élargie - à l'africaine - au champ social global, de la société environnante immédiate (de la cité) et celle plus lointaine mais pour eux fort proche du village/région. Comme rappelé dans les pages précédentes, les nombreuses associations villageoises gérées dans l'enceinte même des foyers, sous le mode des associations Loi I901, les divers comités qu'ils établissent pour réguler la vie sociale interne et externe de leurs "frères", en sont des modes d'expression privilégié, tout comme nombre de rencontres festives ou simplement familiales des week-ends.(chacun et chacune retrouvant leurs oncles, leurs cousins, leurs "frères").
Ces liens entre les familles regroupées dans la cité et les immigrés de foyers manifestent deux types de stratégies distinctes : celle d'une solidarité-amitié avec des membres de la famille et celle d'une solidarité raisonnée et élargie en termes d'organisations de développement pour le village d'origine.
Ces deux pôles sont indissociables. A ce titre, le foyer est paradoxalement, ouvert à la cité tout en protégeant les siens de la cité.
Le foyer, maison de quartier, centre socio-culturel, lieu privilégié de médiation et d'échanges.
Dans ce contexte de "maison du peuple" il n'est pas surprenant par exemple que nombre de foyers accueillent chaque semaine des associations villageoises différentes venant débattre de leurs problèmes respectifs, que d'autres foyers accueillent régulièrement des associations de quartier, que pratiquement dans tous les foyers les enfants africains viennent régulièrement se ressourcer, que chaque week-end les mouvements de foule "animent" chacun de ces centres.
Le foyer n'a donc rien d'un sanctuaire ou d'un enfermement; il fournit ce que les équipements sociaux urbains ne sont pas actuellement à même de donner : un toit pour tous, une agora et une logistique appropriés en termes de salles et de places appropriables et accessibles à une population habituée à des rassemblements mêlant les âges et les genres, marqués de musiques, de rythmes, de danses, de fragrances inédites jugées insupportables par certains.
En acceptant (de gré ou de force) ce type de rassemblements, le foyer devient le lieu de conflit -indispensable à toute évolution- entre la norme urbaine à la française et sa contestation à l'africaine. Ces mélanges intergénérationnels mais aussi de familles ayant préférentiellement opté pour la France (regroupement familial) et d'"isolés" vivant une plus stricte continuité avec leurs traditions troublent à n'en pas douter les repères essentiels des uns et des autres. C'est cependant là qu'actuellement, mieux que dans les bandes ou les quartiers "sensibles", se vivent des supports indispensables à une insertion des uns et des autres; là aussi que s'opère petit à petit le dépassement de l'opposition d'ici (France) et d'ailleurs (Afrique). A ce titre, les foyers (et donc leurs résidents, gestionnaires et partenaires politiques ) pourraient se réjouir d'être et de demeurer un lieu conflictuel de l'émergence et de la reconnaisance progressive de valeurs nouvelles. Ce qui évidemment risque à tout moment de susciter chez tous les acteurs impliqués de fortes tensions.
La question que se garde bien de poser Monsieur Cuq serait de savoir quand et où existeront d'autres logements et d'autres lieux urbains de rassemblements suffisamment appropriables pour favoriser et enrichir par métissage culturel adéquat la libre expression culturelle et cultuelle des uns et des autres.
De cette extra-territorialité, Monsieur Cuq attribue deux dérives graves : l'une médicale - selon lui, l'accès aux soins est inexistant et la tuberculose fait ses ravages -, l'autre dérive, nous l'appellerons, pour faire vite, une autarcie en marge des règles de la République.
le médical : pour ceux qui travaillent (60% de résidents réguliers) le suivi médical est assuré entre autres par la visite obligatoire annuelle inscrite au droit du travail ; pour les autres : les portes de la cité et des soins leur sont ouvertes ; à remarquer que l'utilisation des services de santé de droit commun devient une habitude pour beaucoup à tel point que certains xénophobes s'en émeuvent. Par contre, il est vrai, que pour des "précaires" et surtout pour des sans papiers, le problème est plus délicat; bien que les services médicaux leur soient ouverts, la peur des indiscrétions et des contrôles rendent les contacts aléatoires. A ce titre et surtout en direction des plus jeunes, des parades diverses sont imaginées en maints foyers : permanence médicale, camions radio dépistage, passage de médecins bénévoles, interventions de migration-santé, etc.
Mais pour les uns comme pour les autres, reste le problème général des populations de milieu rural très traditionnel, ouvrier et prolétaire : celui d'un usage plus que modéré des services de prévention et des services médicaux ; habitude de la vie rude, peur d'être fiché et de perdre son emploi, crainte de dépenses excessives en matière de médicaments et soins non ou insuffisamment remboursés,degrès divers de fatalisme... tout concourt en fait à des dépenses de santé de beaucoup inférieures à la moyenne des Français. Ce qui est statistiquement prouvé et qu'évidemment ne rappelle guère l'auteur du rapport. Finalement y a-t-il, comme le tonitrue Monsieur Cuq, un taux de tuberculose, de sida et de prostitution "ahurissant" ? Sans lever le secret médical et au seul vu de statistiques, les médecins de foyers contactés (médecine du travail, camions dépistage, services de santé municipaux.) relativisent les craintes tout en rappelant combien la prosmiscuité et la clandestinité de certains facilitent des maladies aussi transmissibles que la tuberculose ; quant à la prostitution en foyers de Sud-Sahéliens disons tout net qu'elle n'est nullement une pratique établie d'autant qu'en chambres collectives l'intimité est des plus réduite et que la pudeur des sahéliens ne permet en aucune façon ce type de commerce à l'intérieur des dits foyers. Jouer de cette corde fait partie d'un inventaire de l'inadmissible.
Deuxième grief : le non droit
Les foyers, est-il écrit, sont des
"Lieux érigés en zones d'extra-territorialité, soumises
à l'autorité de leaders coutumiers où la loi républicaine
est absente".
Le raccourci est incisif. D'autant plus incisif que la réalité n'est pas de cette nature. Non seulement il faut intégrer les réalités dans le contexte culturel des résidents (comme le gouvernement tente de le faire par exemple dans ses tractations avec les Corses avec les habitants de Nouvelle Calédonie ou avec les jeunes de cité "sensibles") mais encore il faut percevoir et souligner le processus en cours : celui de la lente passation dite d'acculturation d'un système à l'autre tel que ceci apparait clairement dans diverses pratiques dont nous ne prétendons pas dresser l'inventaire exhaustif :
Rien, à ce niveau, ne s'établit dans un cadre de "hors la loi", pas même l'abattage du mouton !
Il n'est d'ailleurs que de participer aux journées "portes ouvertes"
organisées dans certains foyers sud-sahéliens par les
résidents eux-mêmes pour comprendre que l'inter-action culturelle,
relationnelle et même cultuelle
(même si elle reste difficile) n'est pas un vain mot.
Pourquoi omettre de rappeler de telles évidences ?
Pourquoi se priver d'une forte indignation pour ce qui ressort de droits
républicains, de pratiques ou de réglementations administratives
négativemement interprétées qui entravent si lourdement la vie
dans la cité de résidents de foyers
(comme d'ailleurs de nombreux autres Français) ? N'y a-t-il pas, en la
matière, des abus de pouvoirs inadmissibles ? Et que dire du blocage de
dossier ou du non renouvellement de carte de séjour ou de
résident pour des personnes habitant en France depuis longtemps ?
Mais ne faudrait-il pas aller plus loin ? Au nom du droit républicain
auquel se référe ce rapport, ne faudrait- il pas assurer la recension
et la levée de toutes ces discriminations négatives,
causes aggravantes de repliement sur soi, à l'encontre de cette population
d'immigrés "seuls", discrimination qui ôte pratiquement parlant tout
droit à l'habitat social diffus, à l'emploi (s'ils sont chômeurs), à
la formation, au regroupement familial, à la sécurité
permanente d'un séjour régulier et durable...
Ce qui choque particulièrement Monsieur Cuq, c'est le système de régulation sociale et de "gouvernement" attribués aux sud sahéliens en foyers. Dans le contexte français, ce mode associatif, ces références à un système d'autorités diverses, à des statuts traditonnels différenciés selon la naissance, l'âge, la connaissance etc. relèveraient, à la limite, d'une dégénérescence sociale insupportable en France: règles de clan, règles de dynastie pourrait-on dire auxquelles s'opposeraient radicalement les grands principes républicains d'égalité et de démocratie. C'est vraiment aller vite en besogne que de plaquer la réalité sur des schémas préétablis de normes de "sa" société; d'une part parce que Monsieur Cuq est quand même bien placé pour décrypter les règles concrètes régissant la société française, en termes d'inégalités de chances et de traitement et en termes de reproduction de privilèges. De même il ne peut ignorer les difficultés réciproques de cohabitation tenant à la complexité croissante d'une société française où il devient difficile sinon impossible pour les exclus de trouver une place valorisante. C'est pourquoi, selon nous, les difficultés vécues sur le terrain et mises au compte des seuls immigrés renvoient plutôt aux symptômes de dysfonctionnements de notre société et, quoiqu'en dise Monsieur Cuq, leur thérapie n'est nullement assurée par la multiplication de centres de rétention.
Pas toute la place, mais "une" place.
C'est "une" place dans la société française que les Africains du Sud-Sahel entendent se donner ; ils ne veulent à aucun prix passer pour des "précaires", des "assistés", des cas sociaux encore moins des irrécupérables; leur revendication concrète s'inscrit dans le droit des citoyens de disposer de choix de vie et de formes d'association qu'ils entendent légalement se donner. Or, à la différence de résidents maghrébins pour qui le foyer constitua l'éclatement des solidarités, le foyer africain est le lieu de maintien et de renforcement de ces pratiques de partage et de don. Et c'est probablement pourquoi leur système d'auto-régulation peut apparaitre comme un des courants contestataires d'une société qui tend à tout uniformiser (tout en renforçant les clivages entre nantis et exclus), courant original dans la mesure où il se trouve ancré dans le passé et très moderne de résonnance.
Si des rapprochements peuvent avoir quelque sens opératoire nous évoquerions les communautés religieuses tout autant que l'utopie phalanstérienne; ces institutions regroupent leurs libres adhérents, hors de tout lien de sang et de naissance, pour "tenir ensemble et par association ", renforcer leur identité, affirmer leur choix de vie, se rendre service à eux mêmes et aux autres. Choix officiellement reconnu d'ailleurs pour ce qui est des monastères jusque dans ses conséquences commerciales, salariales, sécuritaires et urbaines comme l'atteste la circulaire Lamartinière (1967)établie entre ces communautés religieuses, le ministère de l'intérieur et l'ex-ministère des cultes.
Plutôt que de tirer à boulets rouges contre ce type de vie en commun des immigrés Sud-Sahéliens ne pourrait-on pas imaginer semblable ligne de recherche et se rappeler que, notamment pour des "isolés" toute insertion exige que "l'objet inséré garde au moins pour un temps son identité, ses caractéristiques reconnaissables et visibles". Et ce d'autant que Monsieur Cuq n'est pas sans ignorer que seule "une dynamique d'échanges qui tout en préservant les spécificités culturelles des différentes composantes de la société contribue à l'émergence de nouveaux liens sociaux et instaure un espace social suffisamment cohérent"[10] mais aussi qu'un type de régulation à l'africaine aboutit "miraculeusement" en ces foyers comme l'assure un des meilleurs spécialiste de la question[11] à maintenir malgré des conditions "ahurissantes" (comme dit Monsieur Cuq) de délabrement, de sur-occupation et de précarité, une paix sociale surprenante.
Préconiser une telle approche c'est poser d'emblée la question d'une double culture qui ne soit pas une culture de déchirement (d'"imitations et de limitations" pour l'"immigré dominé, en position d' infériorité") ni une culture statique[10].
Troisième grief, lié au "non droit" :
les finances occultes
En foyers sud-sahéliens se tiennent des activités artisanales tandis que se dressent des étals de petits commerces, ce qui autorise Monsieur Cuq à s'indigner une fois de plus, en termes d'un populisme sulfureux navrant, de "ce système(qui) permet aux résidents de vivre à très bon compte au détriment des coûts d'exploitation des foyers.. (et d'ajouter)... En regard d'un revenu mensuel de 4900 francs net (SMIC) il y a possibilité de dégager une épargne de 3400 francs transférée au pays d'origine, ce qui ne peut que favoriser un flux d'immigration clandestine."[12]
Un retour à l'origine de l'émigration sud sahélienne aurait pu aider Monsieur Cuq à se donner de meilleures perspectives que celles du dénigrement systématique.
A l'origine, pour nombre de foyers de sud sahéliens (il n'en était pas de même pour les Maghrébins) le désir était comme le dit monsieur Stéphane Hessel d'assurer "un hébergement qui permette de sauvegarder les traditions villageoises pour faciliter un retour prochain au pays. On voulait clairement que les résidents s'organisent entre eux et inventent pour eux-mêmes des conditions de vie qui leur permettent de conserver leur identité". Il s'agissait de "permettre aux Africains de rentrer chez eux - sans trop de heurts - avec une formation adaptée à une insertion durable dans leur pays d'origine."
Et les Africains s'auto-organisèrent, c'est-à-dire créèrent en chaque foyer, des micro-structures à l'image métissée et hybride de leur village d'origine.
Ils s'ingénièrent à se donner une organisation et des équipements qu'ils ne trouvaient pas dans les villes françaises où ils s'implantaient ; parmi ces équipements leurs artisans avaient place: le forgeron, - personnage semi-mythique qui commande le fer et le feu ! - le tailleur qui fabrique les boubous indispensables à l'habillement de la fratrie , la cuisinière qui apprête la nourriture à l'africaine pour ceux qui ne seraient pas dans l'entreprise ou sur les chantiers aux heures de repas. Le coiffeur, le boucher, (on abattait alors le mouton sur place) sans oublier le griot et l'imam, tous faisaient partie de ceux qui, en plus de leur travail salarial, donnaient à nombre de ces entrepôts désaffectés et bricolés une touche africaine caractérisée à même de tempérer les difficultés de l'exil.
Ces activités n'étaient nullement perçues comme activités rémunérables et illicites mais bien comme l'expression d'un art de vivre; c'était une rentabilité sociale qui était inconsciemment recherchée ; comme telle elle ne s'inscrivait pas dans le circuit économique.
Les autorités officielles ne s'y trompaient pas, lesquelles venaient au foyer Bara ou ailleurs vivre un moment d'exotisme tout en encourageant les protagonistes à poursuivre dans cette voie jugée originale et valorisante. Ce type de visites et d'encouragements d'officiels de haut niveau s'est poursuivi jusque dans les année 90...Le souligner n'est pas tenter un éloge paradoxal de ce système "informel" à l'heure où l'exigence de légitimité se fait plus pressante que jamais mais faire droit à une restitution des faits.
Après les années d'euphorie, la crise s'en vint bouleverser le système; l'arrivée d'immigrés "précaires", d'irréguliers au point de vue logement et de clandestins (sans papiers) obligèrent à des formules sinon nouvelles du moins réactualisées. Pour les résidents, la vie en foyers n'avait de sens que si elle s'appuyait sur des équipements collectifs traditionnels tolérés par l'ensemble des gestionnaires et des pouvoirs publics : cuisines, forge, salle pour tailleurs, salle de prière, de réunion (de "palabre") et de loisirs. Seuls les services des bouchers furent remis en cause par l'autorité publique non pas en raison de délits de patente ou de code du travail mais en vertu des règles d'hygiène et de salubrité. Des arrangements furent conclus à l'amiable.
Les formes d'activités taxées par Monsieur Cuq de "commerciales" et de non droit sont facilement repérables, ce qui n'autorise pas pour autant d'en faire un amalgame. Elles sont en fait de trois types distincts :
Voies strictement privées, utilitaires, entretenues par les résidents et structurées sur des formes extrêmement simplifiées, telles apparaissent, au point de vue économique et social, ces micro-réalisations de proximité, d'immédiateté et de solidarité familiale.
On ne s'étonnera donc pas de la vivacité de réactions dès que l'on touche à ce que certains appelleraient des "acquis" (en termes de droit coutumier personne n'oublie que les pouvoirs publics d'hier et en partie encore ceux d'aujourd'hui ont autorisé et par là légalisé ces types de "services communautaires" ) et d'autres comme Monsieur Cuq des "privilèges". Ces divers métiers et services répondent en fait à deux types de demandes : besoins en vêtements et nourriture à des prix modérés et caisse de foyer alimentant les diverses services d'entraide assurant une vie décente de tous les "frères" même de ceux que le chômage et la précarité déstabilisent.
Sur un foyer comme celui de "Nouvelle France" (Montreuil) il a été noté par un expert, qu'en I994, un nombre important de résidents versaient jusqu'à 71% de leurs revenus à ces "autres" du village, de la famille et aux "frères" d'ici les plus démunis.
Au moment où la vie politique s'efforce par tous moyens de lutter contre l'exclusion, n'est-il pas bon de remarquer que ce type d'approche constitue une solution intéressante, dans la mesure où elle favorise un mode d'insertion qui ne verse pas dans l'assistanat (toujours déstructurant). De plus, il tend à réussir une double et indispensable prouesse : réinsérer dans la société celui qui devient marginal (les exclus) et réinsérer les valeurs de sa société à celui qui s'en vide de par les mécanismes de l'exclusion. Cela dit, à partir de constats et analyses sur ces petits métiers et commerces, il nous semble indispensable de :
Pour ce qui est des cuisines et des repas, la forte imbrication du culturel et de l'économique font de ces ensembles un des lieux de vie, d'animation et de régulation sociale que résidents et gestionnaires n'entendent nullement remettre fondamentalement en cause. Ce qui ne veut pas dire qu'ils ne désirent pas des aménagements structurels conséquents.
Ces diverses décisions sont à préparer et à affiner. Le travail d'analyse de ces attendus et des conséquences de ces positionnements, la mise en relation permanente avec les autorités qui peuvent aider à en résoudre certaines données (notamment les responsables de l'urbanisme, des plans départementaux, de l'insertion par l'économique etc.), le lent travail de concertation avec les résidents et leurs partenaires décideurs en vue de préparer les mentalités aux changements significatifs qui en découleront inévitablement... tout ceci apparait comme une des tâches prioritaires de l'avenir des foyers.
Au niveau institutionnel de telles initiatives devraient aussi aboutir à la création d'une cellule "Conseil aux créateurs d'entreprise issus de l'immigration" avec permanences mensuelles d'accueil et d'assistance administrative, juridique, comptable visant un objectif premier: donner les moyens à ceux qui le veulent de s'établir, de se stabiliser et de durer dans une légalité commerciale négociée. La Sous-Préfecture, la Mairie, la DDTE (informations sur ces possibilités), les administrations concernées (Impôts, URSAFF...), des organismes de formation à la gestion...devraient y participer occasionnellement, à titre de partenaires incontournables.
C'est ainsi que souvent l'insertion souhaitée passe par des voies de traverse. Plutôt qu'imaginer l'insertion, sous formes répressives ou sous mode de régulation verticale (le concept venant d'en haut plus en termes d'alignement que d'innovation tandis que ceux d'en bas - du terrain - n'ont qu'à s'y plier...) ne serait-il pas préférable de renforcer, tout en les modifiant, les capacités d'organisation et de représentation des gens, fussent ils des immigrés du Sud-Sahel ?
En ce domaine comme en bien d'autres, le rappel incessant de la "norme" ("républicaine" ou bureaucratique ?) a tout l'effet d'une idéologie nouvelle laquelle obligerait tout un chacun, mais surtout les plus vulnérables, à rejoindre une moyenne urbaine toujours plus floue et inaccessible, à s'approprier des doses toujours plus sophistiquées et fortes d'insertion, doses calculées davantage à partir des réactions de rejet d'un certain électorat que d'équilibre consensuel. C'est cela même que, dans des pratiques qu'ils n'ont pas conceptualisées, les Africains rejettent. Peut on les en blâmer ?
Aujourd'hui, tout le monde s'accorde à reconnaître que pour les Africains de la zone sahélienne, les foyers constituent une forme de logement favorisant le maintien du lien communautaire et à partir de lui tout le processus de régulation sociale et de solidarité interne... Les foyers sont un lieu de vie très bien adapté pour les Soninké, Toutcouleur ...
"[13]Niveau logement, ils occupent le bas de l'échelle
Une quarantaine de foyers d'Ile-de-France abritent des immigrés sud sahéliens "isolés" : ils regroupent sous un même toit des immigrés partageant les mêmes conditions difficultés de vie et arfois de projets. Liens de sang et de sol, liens affectifs tissés de sentiments altruistes et de vertus familiales, liens de précarité, de rêves et de modes de vie similaires tiennent une part importante dans la mise en route et le maintien de processus solidaires où chacun est assuré d'une écoute, d'un "regard" critique et d'un appui indispensables à la traversée au long cours d'une immigration de plus en plus heurtée.
On l'a vu précédemment, pour un grand nombre d'immigrés Sahéliens, l'entraide signifie solidarité collective ; elle assure à chacun le "se sentir bien" et en partie "forts" sous le regard approbateur ou critique des anciens d'ici et de la société villageoise toute entière de là bas.
Ces foyers restent appréciés par ses résidents dans la mesure où ils favorisent, par un regroupement massif, un type d'ouverture différent de l'assimilation, une expression et une évolution collectives inédites à même de préserver les fondements d'une identité africaine hybride plus vécue que conceptualisée.
C'est pourquoi au delà de profits sociaux et financiers que chacun peut tirer de la concentration de frères-immigrés sur un même site, en dépit d'une sur-occupation et d'une usure des locaux (souvent insoutenables en termes de salubrité et d'intimité), ces exigences "communautaires" demeurent prioritaires.
On l'a souligné précédemment, les foyers de sahéliens, aménagés dans l'urgence et dans la perspective de retour au pays, ont été, dès l'origine, surpeuplés. La "noria" propice au rajeunissement et à la mobilité de nouveaux arrivants en amenuisait les effets pervers.
Depuis 1974 - date officielle de l'arrêt de cette "noria" - plusieurs phénomènes cumulés ont accru le surpeuplement : chômage, précarité accrue et recherche d'allégement des redevances par accueil et péréquation "familiale", attraction parisienne (emploi, facilités de communications et anonymat y sont mieux assurés), retour en foyers d'immigrés ayant essayé de vivre en HLM, venue de jeunes ayant à vivre leur puberté hors de la famille, impossibilité grandissante de trouver des logements accessibles à des "isolés" noirs peu fortunés, démolition des meublés et disparition des squatts...
A un moment où les évolutions de ces foyers vers des unités de vie mieux adaptées à l'accueil et à l'intimité en restreignent la surface habitable, ce nombre croissant de résidents ou d'amis de passage rend la situation intenable : dégradation, insécurité, usure, rejet de l'environnement, contestation de plus en plus radicale des prix et des normes, besoin d'un appui conséquent d'équipes de développement social...
Faute de restructurations significatives, la gestion de tels ensembles ne peut à la longue que péricliter et conduire à de graves dysfonctionnements et mises en péril de tous ordres. D'autant que les directeurs de foyers se trouvent débordés par l'extension de leurs prestations notamment dans le registre du social et du partenariat et que la réduction continue des crédits oblige à faire l'impasse, notamment en Ile-de-France de professionnels du social.
Seules des initiatives de fondations nouvelles de différents types, en région parisienne notamment, pourraient infléchir de telles tendances régressives qui ne semblent pas s'inverser... Là encore, à la différence de Monsieur Cuq, ne renvoyons pas le boomerang vers les immigrés insatisfaits.
En effet, depuis plus de 20 ans, en Ile-de-France notamment, les tentatives de desserrement de ces foyers continuent à se heurter à des refus - toutes tendances politiques confondues -de plus en plus généralisés ; partout les communes et à fortiori la capitale s'opposent à la construction de nouveaux établissements fussent-ils "résidences sociales".
Ces refus prennent d'ailleurs des formes d'exclusion quand des municipalités "oublient" d'intégrer dans le DSQ et aujourd'hui dans le contrat de ville les foyers qui s'y trouvent situés comme si de tels foyers ne devaient pas faire partie de sites urbains sociaux à l'exemple de foyers de jeunes travailleurs.
Si bien qu'avant de brandir, comme une menace d'épuration, la destruction d'une vingtaine de foyers, mieux aurait-il valu proposer préalablement la construction d'équipements sociaux (foyers/résidences sociales/logements banalisés en multi-location ou non) susceptibles de loger dans des conditions satisfaisantes les quelques 15.000 surnuméraires des foyers.
Fonctions urbaines et sociales des foyers
Selon les résidents sahéliens, contrairement aux propositions du rapport de Monsieur Cuq, le renouveau et la démultiplication indispensables de leurs foyers exigent, que soient réactualisées leurs fonctions en d'autres termes que celles de destruction, de fracture sociale accrue, d'éclatement de communauté, de négation de dialogue avec les premiers concernés les résidents, leurs gestionnaires et les responsables de la cité.
C'est une évidence : la reconstruction et la réhabilitation de certains foyers est indispensable toutes les communes d'Ile-de-France et les arrondissements de la capitale doivent s'y investir. Les immigrés et ceux qui travaillent avec eux restent assurés que ce n'est pas l'intérêt de l'Etat de défier ceux qui vivent en foyers et s'y investissent depuis plus de trente ans, de réduire ou de travestir jusqu'à l'annulation leur champ d'action pour s'imaginer capables, en un temps record et contre l'avis des résidents actuels, de développer seuls un type de dépenses, de modernisations et de système de fonctionnement systématiquement opposés à ce qui a cours aujourd'hui... Car, et c'est quasiment un truisme, la gestion de foyers d'immigrés , requiert une analyse des faits de sociétés (notre société/leur société) correlées à une idée précise de leurs finalités respectives. Elle demande plus que slogans et aphorismes. Elle exige de constamment évaluer les ressources des populations concernées, de les valider,de les enrichir. Cette logique de partage et d'engagement qui implique les communautés dans toute étude conception et réalisation de projets échappe totalement à l'auteur du rapport. Tout selon lui doit se faire en verticalité... en contraintes accumulées !
Placées à la frontière de l'urbanisme et du social, les tâches complexes et multiformes assignées aux foyers ne se prêtent guère à une définition simple de rôles et d'actions.
Dans le cas présent, les foyers, par résidents et gestionnaires interposés, servent en fait de trait d'union entre les Sahéliens présents et les habitants du quartier, les partenaires politiques, administratifs et financeurs, tant et si bien que la dimension initiale de logement risque d'être réductrice si on l'identifie uniquement à l'octroi d'un lit à personne en difficulté provisoire et au versement de redevances.
Trois fonctions essentielles de foyers peuvent être relevées :
Tout type de réhabilitation et de reconstruction aura à prendre en compte ces trois fonctions.
Ces situations et fonctions de foyers traditionnels et dortoir de Sud-Sahéliens, nous autorisent à définir sous forme de vingt-trois motions quelques perspectives et moyens définissant nos convictions. Rappelons que ces propositions sont établies en fonction quasi-exclusive d'Africains du Sud-Sahel résidant en foyers.
Ces motions pourraient se résumer comme suit : assurer aux locataires de foyers leurs pleins droits de citoyenneté en commençant par le droit au logement et au mode de vie de leur choix.
En matière de logement, d'autres aspirations que celles de foyer se font également jour. Une typologie établie il y a quelques années en Ile-de-France départageait déjà les résidents en trois catégories :
Pour ces deux dernières catégories rappelons que le grave déficit du parc social d'Ile-de-France rend illusoire une intégration significative de résidents dans le locatif banalisé. C'est d'ailleurs pourquoi les propositions visant à faire disparaître les foyers pour intégrer ses résidents dans le logement diffus se révèlent totalement irréalistes pour la majorité des responsables urbains et la majorité des résidents immigrés.
Cela dit, rappelons en guise de conclusion provisoire, que pour les uns et les autres, le droit au choix de vie et de société doit être premier. Encore faut-il que ce ne soit pas que des droits inscrits dans la constitution et les textes de lois ( cf Loi Besson).
De plus ces besoins, répétons le, dépassent et débordent les aspirations de résidents de foyers en matière de logement.
Ce qui est étonnant dans tout ce rapport c'est qu'on perçoive si peu l'inspiration du modèle positif d'intégration, lequel consiste à compenser les handicaps individuels et collectifs de discrimination structurelle (en termes d'alphabétisation, de formation, d'accès à l'emploi, au logement banalisé, de statuts atypiques...) par des mesures socio économiques et culturelles appropriées.
La fixation sur les foyers d'Africains a pour effet de passer à côté des mécanismes d'exclusion que les problèmes révèlent et à légitimer en quelque sorte le manque voire le refus des liens d'interdépendance indispensables à vie de la cité.
Pour le "Collectif pour l'avenir des foyer" (COPAF), tout pacte de lutte contre la fracture sociale doit, entre autre chose, mettre en veilleuse l'objectif "lunaire" d'une norme républicaine, ("universelle" parce que "française" !) et prendre en compte les marges existantes, dynamiser et canaliser les énergies des uns des autres (élus locaux, partenaires d'Etat, gestionnaires, résidents,...) en vue de renégocier et de refonder, peu à peu, un droit commun accessible; un droit commun appropriable par tous, en termes de logement (foyers/résidences sociales/ logements banalisés), d'emploi, de formation..bref un droit réellement à la portée d'immigrés et de précaires de tout type tout autant que de nantis et de privilégiés.
Nous présentons officiellement ce droit de réponse, notamment parce que le rapport de Monsieur Cuq au lieu de relever les valeurs positives vécues quotidiennemnt par des immigrés, inscrit son discours dans une logique de discrimination négative et un argumentaire qui sacralisent et orientent la peur en faisant passer pour dangereux les travailleurs étrangers surtout s'ils sont d'Afrique. Nous récusons ce type de tactique même si pour leurs auteurs elle est, à court terme, politiquement payante.
15 Juin 1996 |
Ce droit de réponse a été élaboré, au cours de 7 réunions, dont 4 en assemblée générale, par le COPAF, composé de 22 délégués de foyers sud-sahéliens d'Ile-de-France, en coordination avec d'autres participants, la majorité d'entre eux intervenant à titre personnel bien qu'appartenant, comme responsables ou salariés, aux associations et regroupements suivants :