par Philippe Douste-Blazy et Henri Plagnol | [débat] |
LA polémique sur la légitimité ou non du recours au référendum est au c¦ur du débat politique national. Pratiquement le même jour, et ce n'est évidemment pas seulement une coïncidence de calendrier, le Parti communiste réclame un référendum sur l'euro, et le Front national un référendum sur l'immigration.
Si la demande des communistes ne suscite que peu d'écho chez les socialistes hostiles à l'Europe, prisonniers de la solidarité gouvernementale, en revanche, pour la première fois, et c'est un phénomène politique majeur, une partie notable de la droite républicaine se déclare favorable à un référendum sur l'immigration. A-t-on pris suffisamment la mesure du danger d'ouvrir ainsi la boîte de Pandore ? Ne sommes-nous pas en train d'allumer avec la mèche du référendum un incendie impossible à maîtriser ? Est-il responsable de jouer sur les peurs collectives des Français au risque, pour la droite républicaine, de devenir définitivement l'otage du Front national ?
Ces questions sont très largement nouveIles car, jusqu'à maintenant, la menace d'un recours au référendum était théorique et sans réelle perspective de traduction politique. L'usage du référendum avait été limité par les fondateurs de la Ve République aux questions relatives à l'organisation des pouvoirs publics ou à la ratification d'un traité.
Le général de Gaulle lui-même, s'il a fait un usage très personnel du référendum, s'est bien gardé de l'utiliser pour trancher des questions de société. Le fondateur de la Ve République, immense hommed'Etat était le contraire d'un démagogue, et le référendum était pour lui le moyen de s'assurer de la légitimité populaire, en aucun cas un procédé pour flatter les passions de l'électorat.
La réforme constitutionnelle de 1996, voulue par le président de la République, Jacques Chirac, en étendant l'usage du référendum «aux réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent",a sur ce point profondément modifié le fonctionnement de nos institutions. Cette évolution était nécessaire car, dans une démocratie développée, caractérisée par une forte demande de participation aux décisions, les Français doivent pouvoir être directement consultés sur les enjeux les plus importants de leur vie quotidienne.
Encore faut-il que la classe politique soit suffisamment responsable pour ne pas faire une application inconsidérée du référendum en opposant la volonté du peuple à celle exprimée par ses représentants élus au suffrage universel. On voit l'usage redoutable que peuvent faire les démagogues de cette arme dans un pays qui n'a plus confiance dans les élites qui le représentent. Ainsi serait réalisé le vieux rêve des extrêmes: mettre à bas les institutions parlementaires en flattant les passions et les préjugés.
Les républicains de gauche comme de droite ont donc un devoir de vigilance à l'intérieur de leur fonnation pour refuser la dérive populiste.
Le recours au référendum est-il souhaitable en matière de nationalité et d'immigration ? A cette question, si l'on en juge par les sondages, la grande majorité des Français répond oui, sans restrictions.
Mais le contexte rend très difficile l'interprétation de leurs réponses, tant est-grande la confusion dans les esprits et dans l'opinion entre les projets relatifs à l'immigration et à la nationalité alors même qu'il s'agit de deux enjeux très différents tant dans leur forrnulation que dans leurs conséquences politiques et juridiques. On ne peut d'ailleurs que déplorer la présentation simultanée de ces deux projets, comme si le gouvernement avait voulu favoriser l'amalgame.
Les avantages et les inconvénients d'une consultation par référendum par opposition au débat parlementaire sont bien connus. Le référendum présente deux avantages incontestables: donner aux Français le sentiment qu'ils décident eux-mêmes directement de ce qu'ils souhaitent et leur permettre de se prononcer sur une question claire et compréhensible par tous.
Le revers de la médaille est évident : le référendum suppose par nature que l'on puisse résumer la question sous une forme binaire au risque de caricaturer des problèmes sociaux complexes, et il entretient l'illusion qu'il existe une solution populiste manichéenne à des problèmes que la classe politique est impuissante à résoudre au risque de provoquer toutes sortes de surenchères.
Il faut donc se garder de tout a priori définitif sur l'usage du référendum. Tout dépend de la question posée et des enjeux. Pour que le référendum soit souhaitable, il faut et il suffit que deux conditions soient remplies :
que soit garanti un débat digne qui, en permettant aux Français de s'exprimer, contribue à apaiser les passions.
On ne peut même penser que ce débat serait tout à l'honneur de la France qu'il permettait de marginaliser les extrémistes des deux camps, ceux qui rêvent à un droit du sol intégral, et ceux qui, au contraire, demandent le retour pu et simple au droit du sang. Entre les deux, il y a la place pour un débat démocratique, à condition précisément que la question posée aux Français soit rédigée en des termes tels qu'elle ne porte que sur la manifestation de volonté, c'est-à-dire les modalités d'application du droit du sol à notre tradition républicaine.
En revanche, les risques inhérents à une consultation référendaire sur les problèmes de l'immigration sont considérables. Tout d'abord, en pratique, on voit mal quelle question pourrait être posée aux Français. La législation sur l'immigration est complexe et contient des dispositions touchant à des domaines extrêmement différents : condition de régularité de l'entrée et du séjour des étangers, regroupement familial, droit d'asile, droits sociaux des immigrés, répression du travail clandestin, etc. Il s'agit du type même de débat qui ne peut pas se résumer à une alternative simpliste et qui demande un examen approfondi que seule permet la procédure parlementaire.
Il y aurait même un grave danger à accréditer auprès de nos concitoyens la thèse selon laquelle il existe une solution simple à ces problèmes complexes. C'est le discours même des extrêmes de droite comme de gauche, qui jettent en pâture à l'opinion une classe politique prétendument disqualifiée parce qu'elle est incapable de résoudre les problèmes quotidiens des Français. L'extrême gauche prétend qu'il suffirait d'ouvrir nos frontières, et l'extrême droite de les fermer. Aucune de ces thèses ne résiste à un examen même sommaire des difficultés réelles.
Mais l'essentiel n'est pas là. Par nature, la consultation référendaire, si l'on n'y prend pas garde, attise les passions et les surenchères. En acceptant de poser une question qui appellerait une réponse par oui ou par non, les formations politiques républicaines deviendraient inévitablement les otages du Front national.
Une telle consultation entraînerait toutes sortes de dérives en désignant du doigt l'étranger comme le bouc émissaire des problèmes de la société française. Elle porterait un coup sérieux à l'image dans le monde de notre pays. Elle achèverait de ruiner la crédibilité déjà très entamée du Parlement auprès de nos concitoyens puisque ce serait l'aveu définitif de son impuissance à répondre à leurs préoccupations.
Enfin, elle placerait la droite modérée dans une situation intenable, prise en tenaille entre une gauche et une extrême droite qui font de ce thème leur bannière idéologique. Il ne sert à rien de chasser sur les terres du Front national car, selon la formule célèbre, les Français préféreront toujours l'original à la copie.
Oui au référendum sur la nationalité, non au référendum sur l'immigration. Telle est la seule position conforme à nos institutions, à notre tradition républicaine et aux aspirations du peuple français.
Henri Plagnol est député (UDF-FD) du Val-de-Marne..