par Romain Goupil | [débat] |
J' AI bien reçu votre lettre m'invitant à me faire découvrir la banlieue. Je tenais simplement à vous dire que je n'ai heureusement pas attendu votre autorisation pour m'y rendre. Nous avons pendant des mois préparé, repéré et filmé à Saint-Denis, Montreuil, Noisy-le-Grand pour un tournage sur le foulard islamique. J'ai bien sûr constaté à quel point certains quartiers étaient laissés pour compte par les services publics, et je ne peux me satisfaire de vos propositions de loi qui, je le crains, accentueront la suspicion et la haine en désignant tout étranger comme « présumé suspect ». Le film policier que vous nous proposez me paraît relever d'un très mauvais cinéma.
Mais peut-être que ces questions dont vous avez la responsabilité sont trop lourdes. Envisagez-vous de démissionner ? Je transmettrais alors la nouvelle sans trop la déplorer aux musiciens de NTM et à mes frères étrangers en instance d'expulsion.
Vous jugez en expert le manifeste des cinéastes, erreur de scénario affirmez-vous, mais en cette matière vous n'êtes pas un néophyte, car pousser les policiers à démolir une sacristie à coup de hache, sous l'oeil ravi des caméras, mérite la palme.
Qui voulez-vous séduire avec votre film catastrophe dont les séquences s'appellent Orange, Toulon, Marignane, Vitrolles ? Ne me dites pas que vous n'y êtes pour rien, alors que vous présentez la bande-annonce des prochains mauvais plans. Erreur de casting, m'affirmez-vous, là, je vous suis : Marchiani dans le rôle d'un préfet de la République me semble une regrettable erreur. Quant à faire jouer le rôle de Mégret par une doublure, c'est grotesque.
Acceptez qu'au moment où vous proposez de nous transformer en auxiliaires de police, en délateurs complices muets de Jean-Marie Le Pen, je préfère faire acte de mon incapacité en ce domaine. J'espère ne pas me montrer indigne de ceux que je respecte, par exemple ceux qui, en des circonstances autrement dramatiques en France et à Londres, résistèrent aux fières collaborations des Bousquet, Touvier, Papon.
Leur courage ne souffre pas la comparaison avec ce petit réflexe de réticence civique, mais j'ose espérer qu'on me pardonnera. Je ne fais pas que du cinéma ; je ne veux pas être le spectateur du déclin que vous nous concoctez ; je prétends être citoyen et responsable.
Veuillez en cette période de Saint-Valentin accepter un petit baiser d'un amoureux de notre liberté, comme 85 % des habitants de notre pays qui ne votent pas Le Pen.