ñ Le moment me semble venu de parler d'immigration et d'intÈgration prÈcisÈment parce que le dÈbat est apaisÈ. La dÈcrispation est possible parce que le contexte Èconomique est aujourd'hui plus favorable, mais aussi parce que les FranÁais sont plus ouverts et tolÈrants. Ce qui s'est passÈ au moment de la Coupe du monde a prouvÈ que les mentalitÈs avaient ÈvoluÈ. Nous sommes d'autre part ý la veille d'un grand dÈbat ý quinze dans le cadre du traitÈ d'Amsterdam, qui prÈvoit l'Èlaboration d'une politique europÈenne commune de l'immigration.
ª Il faut aussi reparler d'immigration parce que les problËmes ne sont pas rÈsolus : ni celui de la maÓtrise des entrÈes ni celui de la lutte contre l'immigration clandestine qu'organisent de puissants rÈseaux d'exploitation de la main-d'úuvre ÈtrangËre. Quant ý l'intÈgration, et c'est d'abord pour cela que j'ai souhaitÈ m'exprimer, elle est en panne, tant ý l'Ècole que pour l'emploi, avec des discriminations insupportables qui menacent notre cohÈsion nationale.
ñ L'analyse que publie votre revue apparaÓt comme une autocritique de la droite. Regrettez-vous les lois Pasqua ou DebrÈ ?
ñ Non, je ne renie pas ce que nous avons fait : l'exigence d'une manifestation de volontÈ pour acquÈrir la nationalitÈ franÁaise Ètait une bonne chose, par exemple. Mais nous avons vÈcu une pÈriode o˜ ces questions Ètaient tellement passionnelles que nous n'avons pas toujours su nous exprimer assez clairement.
ñ Quand on pense ý l'action de votre gouvernement dans ces domaines, on se souvient d'abord de la loi DebrÈ et des sans-papiers de Saint-Bernard. Si c'Ètait ý refaire, ordonneriez-vous l'Èvacuation ?
ñ L'Èvacuation a ÈtÈ une dÈcision extrÍmement difficile ý prendre, parce que des personnes et leurs familles Ètaient en jeu et aussi parce que ce lieu ne m'Ètait pas indiffÈrent. Je le connaissais personnellement puisqu'il se situe au cúur de la Goutte-d'Or, dont j'ai ÈtÈ l'Èlu de 1983 ý 1995. Pendant douze ans, il n'est pas de semaine durant lesquelles je ne sois passÈ dans ce quartier et devant l'Èglise. Le presbytËre a d'ailleurs ÈtÈ transformÈ sur mon initiative en maison des associations o˜ l'on fait du soutien scolaire et des actions d'intÈgration pour les femmes musulmanes.
ª A l'ÈtÈ 1996, nous avons fait beaucoup d'efforts pour trouver une solution de compromis. C'est mon gouvernement qui, le premier, a dÈfini des critËres pour traiter les cas individuels qui se heurtaient aux contradictions de la loi. Mais il y a un moment o˜ la responsabilitÈ d'un chef de gouvernement est de faire appliquer la loi. C'est ce que j'ai fait. On peut critiquer la mÈthode et je ne prÈtends d'ailleurs pas avoir ÈtÈ exempt de maladresse. Je note que, depuis juin 1997, il y a eu beaucoup d'Èvacuations d'Èglises et qu'elles n'ont pas suscitÈ la mÍme indignation.
ñ Vous privilÈgiez le cadre europÈen pour mettre en úuvre une nouvelle politique d'immigration. Ne craignez-vous pas de heurter votre Èlectorat ?
ñ Je craindrai plutÙt un rÈveil brutal le jour o˜ certains politiques s'empareront des chiffres montrant que les flux d'immigration ont considÈrablement augmentÈ depuis 1997. S'il est un domaine o˜ les FranÁais peuvent comprendre qu'il n'est pas possible de mener en parallËle quinze politiques diffÈrentes, c'est bien celui-lý. Nous devons dÈfinir des critËres communs pour l'accueil de nouveaux Ètrangers dans l'Union europÈenne. Je crois en effet que l'ëimmigration zÈroí ne veut pas dire grand-chose : le regroupement familial est un droit, et l'Europe, compte tenu de sa dÈmographie, aura sans doute besoin d'apports de main-d'úuvre ÈtrangËre. Un autre volet de cette nouvelle politique europÈenne doit concerner la lutte contre l'immigration clandestine avec des rËgles communes de reconduite ý la frontiËre. Il faudra aussi, dans les nÈgociations avec les pays d'origine, lier davantage l'aide au dÈveloppement et le renforcement des accords de rÈadmission de leurs ressortissants en situation irrÈguliËre.
ñ Vous insistez sur le poids Èlectoral des FranÁais issus de l'immigration. Quelle est la part des prÈoccupations Èlectoralistes dans votre analyse ?
ñ En gÈnÈral, on reproche aux hommes politiques de ne pas s'occuper des aspirations des citoyens, alors, quand ils s'attachent ý le faire, ne leur reprochons pas de faire de l'Èlectoralisme. Je constate simplement que de nombreuses personnes issues de l'immigration ont ÈtÈ dÈÁues par la gauche, dont ils attendaient beaucoup. C'est notre t’che de nous adresser ý eux aujourd'hui.
ñ Votre discours ressemble ý celui de la gauche. Comment les Èlecteurs feront-ils la diffÈrence ?
ñ Nos diffÈrences subsistent, par exemple ý propos de l'opÈration de rÈgularisation des sans-papiers, que je trouve trËs ambiguÎ. Je pense qu'il faut traiter avec humanitÈ les cas individuels. Mais de lý ý poser en principe que tout Ètranger entrÈ irrÈguliËrement a droit ý des papiers, il y a un pas qui ne doit pas Ítre franchi. Parce qu'on ne peut pas, en dÈmocratie, donner une prime ý la violation de la loi.
ñ Mais le gouvernement a aussi fait le choix d'une rÈgularisation partielle, sur critËres.
ñ Il le dit, en effet, mais comme il est sous la pression constante de groupes qui voudraient le mener plus loin, ses critËres sont glissants et sa politique finit par Ítre illisible. Je ne recherche pas systÈmatiquement le conflit idÈologique avec la gauche, je cherche ý traiter les problËmes. Celui de la discrimination dans le travail, par exemple, est porteur d'Ènormes risques d'explosion sociale. Dans certains quartiers de l'agglomÈration de Bordeaux, le taux de chÙmage atteint 50 % des jeunes issus de l'immigration. Ils ont le sentiment de n'avoir absolument aucune chance de trouver un emploi parce qu'ils se sentent barrÈs. Il faut leur retirer cette idÈe de la tÍte et leur adresser un message clair : chacun a les mÍmes droits.
ª Il faut aussi dÈvelopper l'activitÈ dans les quartiers. Le gouvernement ferait mieux de perfectionner la technique des zones franches, qui ont rÈussi ý faire revenir de l'activitÈ, plutÙt que de la critiquer en permanence sans rien y changer. Traduisons enfin cette volontÈ politique en actes en crÈant, comme les Anglais l'ont fait il y a vingt ans, une autoritÈ indÈpendante dotÈe de moyens importants de prÈvention et de mÈdiation, ý laquelle les personnes qui s'estiment victimes de discrimination pourraient s'adresser.
ñ Pensez-vous que l'heure du consensus sur l'immigration est arrivÈe ?
ñ Je l'espËre. Sans doute, lorsque j'Ètais au gouvernement, n'ai-je pas toujours contribuÈ ý ce consensus, mais la gauche y a aussi mis du sien. Aujoud'hui, le climat est plus propice pour que soit dÈfinie une politique qui aurait le soutien d'une grande majoritÈ de FranÁais. Nous pourrions alors nous adosser ý un consensus national dans la nÈgociation europÈenne. Je ne cherche pas ý polÈmiquer avec le gouvernement. J'admets qu'il a, d'une certaine maniËre, dÈcrispÈ les choses en matiËre d'immigration en s'inspirant des propositions du rapport de Patrick Weil. En revanche, sur l'intÈgration, tout reste ý faire.
ñ Pensez-vous qu'avec la loi actuelle la France pourra se passer ý l'avenir d'opÈrations ponctuelles de rÈgularisation ?
ñ Il y a des lois qui permettent de rÈgulariser sous certaines conditions. Appliquons-les !
ñ Depuis quinze ans, les gouvernements successifs n'ont pas cessÈ de faire et dÈfaire les lois sur l'immigration et la nationalitÈ. Diriez-vous que ce temps-lý aussi est dÈpassÈ ?
ñ La prioritÈ ne me semble pas d'ouvrir de nouveaux chantiers lÈgislatifs, avec toutes les controverses que cela provoque. Mieux vaut s'attaquer ý des problËmes concrets. La construction europÈenne va peut-Ítre nous permettre de dÈpasser nos dÈbats franco-franÁais pour rechercher la voie d'un modËle commun europÈen. ª
Propos recueillis par Philippe Bernard, Jean-Louis Saux et Sylvia Zappi