jeudi 23 janvier 2003
Recherche

Rechercher
un article
identifiant mot de passe garder en
mémoire

 ACTUALITES
à la une
international
europe
france
société
régions
carnet
horizons
analyses & forums
entreprises
communication
aujourd'hui
météo
sports
sciences
culture

version texte

 EDITION ABONNES
le desk
les dépêches
les dossiers
les fiches pays
les thématiques
la check-list
les portfolios

 CHAINES
aden
éducation
finances
forums
interactif
mots croisés / jeux
automobile

 ANNONCES
emploi
immobilier

 SERVICES
newsletters
vos préférences
aide et services
qui sommes-nous ?

 LE QUOTIDIEN

édition électronique
éditions nomades
archives
les thématiques
abonnements
LE MONDE | 17.01.03 | 13h45
MIS A JOUR LE 18.01.03 | 12h15
Point de vue
Pourquoi des sans-papiers ? par Nicolas Sarkozy
Article au format texte pour impressionEnvoyer par email cet article à un ami
voir séquence

Analyses et forums

Pourquoi? Oui, pourquoi, dans un Etat de droit, des femmes et des hommes se retrouvent-ils plusieurs dizaines de milliers à survivre dans un pays qui ne les veut pas suffisamment pour leur accorder tous les droits et ne les rejette pas assez pour les reconduire chez eux? Voici vingt ans que la situation ne fait qu'empirer. La France subit. Des malheureux et leurs familles souffrent. De régularisation globale en reconduites partielles, le débat hoquette. Les postures se professionnalisent. Il y a ceux qui poussent la générosité jusqu'à l'irresponsabilité. Et ceux qui imaginent que la fermeture peut tenir lieu d'identité nationale. Il est temps, ici comme ailleurs, d'agir. Mais avant, il faut prendre le temps de comprendre.

Les sans-papiers sont la conséquence de plusieurs dysfonctionnements qui, dans l'indifférence la plus complète, se sont approfondis ces dernières années. Le premier tient aux insuffisances de notre politique de visas. Dans leur immense majorité, les sans-papiers sont entrés légalement sur la base d'un visa de tourisme d'une durée de validité de troismois au maximum.

L'augmentation massive du nombre des visas délivrés par les pays de l'Union européenne depuis plusieurs années est à l'origine de l'accroissement de l'immigration illégale dans notre pays. Les visas Schengen de court séjour font l'objet de plus en plus fréquemment d'un véritable détournement de procédure. Ainsi, alors que la France délivrait 48000 visas à des Algériens en 1996, nous sommes passés à 277000 en 2001. Dans le même temps, les visas délivrés à des Chinois, sur la même période, passaient de 34000à 91000. On pourrait citer d'autres exemples.

Le deuxième dysfonctionnement concerne les procédures d'asile. Une part importante des étrangers en situation illégale présentent une demande d'asile à seule fin d'obtenir une autorisation provisoire de séjour, et ce, le plus souvent, en l'absence de toute persécution subie dans le pays d'origine. C'est ce qui explique que la France fasse l'objet d'une augmentation considérable de demandes d'asile. Nous sommes passés de 23800 en 1998 à 80000demandes en 2001.

Le troisième dysfonctionnement, et en même temps le plus complexe à quantifier, concerne les entrées illégales proprement dites sur notre territoire.

Un constat s'impose: celui d'une situation qui s'aggrave. Les services des étrangers dans les préfectures sont, malgré le dévouement de leur personnel, débordés. Les capacités d'accueil et d'hébergement de la France sont saturées. Les trois dernières régularisations globales n'ont rien résolu. A l'inverse, elles encouragent les sans-papiers d'aujourd'hui dans une impasse. De Sangatte à Choisy-le-Roi, l'exaspération de nos compatriotes, confrontés à des situations inextricables qu'ils subissent de plus en plus mal, est à son comble.

Quant aux sans-papiers eux-mêmes, leurs situations se révèlent sous bien des aspects dramatiques. A juste titre, ils émeuvent une large part de la population, pourtant résolument opposée à toute régularisation massive.

Ici comme ailleurs, l'immobilisme nous est interdit. Je devrais même écrire, ici plus qu'ailleurs, car il s'agit bien du destin de femmes et d'hommes poussés par la misère, l'espérance folle et le besoin de partir.

Agir, c'est d'abord supprimer les dysfonctionnements qui nous sont propres. La France doit définir une politique précise et revendiquée de délivrance des visas. Elle doit convaincre ses partenaires de l'UE d'entreprendre une démarche comparable. Il ne s'agit nullement de fermer la France, encore moins de restreindre le nombre de touristes, ni même de désigner tel ou tel pays coupable. Nous devons rester un pays ouvert, mais, justement, pour y parvenir, nous avons le devoir de combattre ce véritable détournement de procédure.

A cette fin, nous devons réfléchir à l'opportunité qu'il y aurait à déterminer un ordre de grandeur du nombre de visas que chacun de nos consulats serait habilité à délivrer. Nous devons aussi proposer aux pays d'origine de nouvelles formules de visas plus adaptés à leurs besoins. Soumettre un étudiant qui a fait des études en France à la même procédure de délivrance d'un visa qu'un nouveau demandeur encourage l'étudiant à se maintenir en France aux dépens des intérêts de son pays.

La problématique est strictement identique pour l'asile politique. Cela passe par deux réformes devenues aujourd'hui urgentes. D'abord, dans une vaste réforme de l'Ofpra, fusionner en une seule procédure, comme vient de le décider le premier ministre, les deux qui coexistent et qui relèvent respectivement de l'asile conventionnel et de l'asile territorial. Ce dernier est le principal responsable de nombre de demandes relevant en fait de "l'asile économique" et non de la protection contre des persécutions politiques.

Ensuite, il faut établir, en accord avec nos partenaires européens, une liste de pays dits "sûrs", c'est-à-dire où la démocratie est ancrée sans contestation et pour lesquels, en conséquence, la procédure d'examen des demandes serait accélérée et simplifiée.

Enfin, il faut avoir le courage de poser la question des procédures d'éloignement. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Depuis plusieurs années, le taux des éloignements effectifs est en chute constante, de 23,5% en 1996 à 16,71% en 2001. Entre les étrangers qui ont détruit leurs documents et qu'on ne sait où reconduire, et la réticence de certains pays d'origine à délivrer des laissez-passer consulaires, sans parler des complexités et parfois des incohérences de nos procédures en la matière, réussir un éloignement relève du tour de force.

Les pays sources doivent être impliqués dans la mise en ¦uvre des retours obligatoires et notamment dans l'octroi des laissez-passer consulaires. Si l'on veut que les Français comprennent la nécessité d'accueillir des étrangers sur notre territoire, il convient de les assurer qu'en cas de refus de notre part les décisions seront exécutées. La France a le droit et même le devoir de préciser qui peut demeurer sur son territoire.

La situation actuelle est de loin la pire: ceux qui sont là n'ont pas tous les droits, notamment celui de travailler; ceux qui ne devraient pas y être ont de facto celui de rester, sans les droits qui vont avec!

Une fois ces préalables posés et résolus, la France pourra faire preuve de générosité et de réalisme en résolvant la situation ubuesque de ceux qui ne sont, en l'état actuel de la législation, ni régularisables, car ne répondant pas aux critères, ni expulsables, car venant de pays où l'on ne peut pas les reconduire du fait de la situation qui y règne. Mieux vaut alors aider ces étrangers à sortir d'une clandestinité qui n'est bonne ni pour eux ni pour nous en leur octroyant une carte de séjour qui leur ouvrira le droit ­dans une limite raisonnable­ au travail, au moins durant le laps de temps où la situation ne sera pas normalisée dans leur pays d'origine.

Je crois aussi qu'il nous faut faire preuve de davantage de souplesse dans le régime des preuves exigées pour atteindre la durée de résidence de dix ans qui ouvre droit à une régularisation. S'il faut être strict sur la première preuve marquant l'arrivée sur le territoire, on doit être plus souple pour les suivantes. Ce n'est pas de la générosité, c'est du réalisme; car comment expulser ceux qui résident sur notre territoire depuis des années et qui ont même eu des enfants qui ont vocation à devenir français puisque nés en France?

A l'inverse, il convient d'être plus sévère s'agissant de la production, par les demandeurs, de documents frauduleux. Leur existence doit conduire au rejet définitif de toutes demandes. Il doit en aller ainsi également pour les certificats médicaux de complaisance alléguant faussement la gravité ou l'existence d'une maladie ouvrant le droit au séjour sur notre territoire.

Il convient, et le temps presse, de définir au niveau européen une politique de l'immigration, au mieux commune, mais au minimum qui ne serait plus contradictoire. En la matière, les chantiers sont innombrables: meilleur fonctionnement de la convention de Schengen, définition d'un statut commun du réfugié politique, rédaction d'une liste de pays sûrs, mise en place d'un véritable corps de gardes-frontières européens, organisation de reconduites obligatoires d'étrangers en situation irrégulière, lutte commune contre les filières de passeurs et de trafiquants. Contrairement à ce que je lis trop souvent, l'Europe est un atout dans la lutte contre l'immigration illégale, et en aucun cas un handicap.

Il faut enfin se persuader, car c'est la réalité, qu'aucune action de maîtrise des flux migratoires ne sera efficace ni même possible sans la "collaboration positive" des pays sources de l'immigration. Rien ne peut se faire contre eux, et sans eux. Il faut, en effet, leur accord pour organiser un avenir pour chacun de ceux qui croient le trouver chez nous. Des filières positives doivent être organisées avec chaque pays d'émigration: les aider à se développer collectivement, les aider au développement individuel par l'octroi d'un pécule de retour comme nous le faisons pour les Afghans... Peu importe. L'essentiel est de se persuader une fois pour toutes que la misère et la détresse économique de ces pays sont notre problème. En d'autres termes, puissions-nous comprendre enfin que leurs défaites d'aujourd'hui seront la nôtre demain. Ce n'est pas qu'une question de solidarité, c'est d'abord de la lucidité!

Nicolas Sarkozy est ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 18.01.03
les thématiques
Des sélections d'articles du Monde sur des sujets d'actualité
L'avenir des médicaments génériques
Le Crédit lyonnais, dix ans après
Une sélection des articles de 2002 les plus recommandés
Clonage, la tentation du pire
Cadeaux chics et chocs

Accéder à tous les thématiques Toutes les thématiques


Droits de reproduction et de diffusion réservés © Le Monde 2003
Usage strictement personnel. L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la licence de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.
Politique de confidentialité du site.
Besoin d'aide ? faq.lemonde.fr
Description des services payants
Qui sommes-nous ?
Abonnés du quotidien, vous avez un message
La fréquentation de ce site est contrôlée et certifiée par Diffusion Contrôle