par Abraham Serfaty | [débat] |
BANNI de mon pays, le Maroc, par un coup de force d'un ministre de l'intérieur tout-puissant et accueilli depuis par le peuple français, je ne puis évidemment me mêler de la politique intérieure française, et je me suis toujours gardé de le faire, d'autant plus que mon coeur et mon âme sont restés là-bas et que je me refuse à devenir un exilé installé en France.
Mais je ne puis aujourd'hui taire mon admiration pour le peuple français. La France avait depuis mon enfance été pour moi à la fois le pays des droits de l'homme et celle de l'arrogance coloniale. Au-delà de l'indépendance de mon pays, cette dualité avait continué : France de la solidarité envers nos luttes et France de « notre ami le roi » ; France de la « politique arabe » et France de la guerre du Golfe. Et, depuis mon exil en France, dualité entre l'accueil généreux et chaleureux du peuple français et l'ombre grandissante du lepénisme.
Le mouvement de décembre 1995 en France avait pourtant laissé entrevoir une autre vision de l'Europe sociale, conforme à sa culture et à ses valeurs, sur laquelle nos peuples du sud de la Méditerranée pourront s'appuyer pour résister à la marée montante d'une mondialisation à l'américaine.
Mais les craintes persistent de la démission de l'Europe face à cette marée, démission que seule pourrait compenser sur le plan intérieur la rancoeur chauvine et raciste. L'élection de Vitrolles comme l'absence de la gauche socialiste - à l'exception, à l'Assemblée nationale, de Julien Dray et d'André Gérin - aux premiers débats sur la loi Debré ne pouvaient que renforcer ces craintes.
Et voici que cet énorme mouvement de la société civile française est venu tout bouleverser. La société française, dans ses profondeurs, n'est pas lepéniste, elle n'est pas raciste : elle est, plus que jamais, la France des droits de l'homme, la France de la solidarité, la France de 1789 et du Manifeste des 121.
Notre lutte, de l'autre côté de la Méditerranée, n'est pas facile, ni pour la démocratie et la liberté au Maghreb, ni pour la paix et la fraternité en Terre sainte, que seule pourra consacrer, dans le retour à l'esprit d'Oslo, la reconnaissance des droits du peuple palestinien. Mais elle s'appuie sur ces valeurs que vous, Français, avez les premiers apportées au monde voici un peu plus de deux cents ans.
Merci au peuple français de les préserver ! Pour la première fois de ma vie, je peux dire sans réserve : Vive la France !