Retour à Vichy

par Stéphane Hessel [débat]


lemonde du mercredi 25 décembre 1996 (Horizons-analyses).

CE qui s'est passé à l'Assemblée nationale, le jeudi 19 décembre, presque en cachette, sans vrai débat, l'opposition molle et la majorité tirée loin par son aile droite, dans l'examen du projet de loi sur l'immigration est une honte. Un ancien de la France libre devenu diplomate et qui se sent donc responsable d'une certaine idée de son pays à l'étranger ne peut pas rester silencieux.

Comment un fils de Michel Debré, un petit-fils du grand résistant et du grand humaniste Roberrt Debré, a-t-il pu s'abaisser à accepter les mesures qui ont été votées ce jour funeste ? Comment jeter ainsi la suspicion sur l'étranger et celui qui lui donne accueil et les dénoncer comme un danger pour notre sécurité ? Comment, après avoir laissé porter atteinte au droit du sol, revenir sur le caractère automatique du renouvellement de la carte de dix ans, sur la régularisation pure et simple d'un étranger qui réside en France depuis quinze ans ? Dans quelle France vivent désormais les 6,5% de la population qui n'ont pas la nationalité française ? Quand la retirera-t-on, à ceux qui l'ont acquise mais dont le comportement inquiéterait notre police, selon la formule mise en chantier par celle de Vichy ?

Il est urgent que nos parlementaires se ressaisissent. Qu'ils s'inspirent des avis du 12 septembre et du 14 novembre de la Commission nationale consultative sur les droits de l'homme, gardienne d'un peu de bon sens dans l'examen des textes dont elle se saisit ou qui lui sont soumis.

Que l'année 1997 ouvre une page moins ignominieuse en apportant la seule solution humainement acceptable et digne de nos traditions universalistes aux problèmes de l'immigration, sans laisser la hantise pré-électorale en faire un misérable enjeu politicien :


Stéphane Hessel est ambassadeur de France.