BELGIQUE

Réaction d'universitaires à la mort de Semira Adamu
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Mylène Nys, Universite Libre de Bruxelles, GERME
44, Avenue Jeanne, B1050 Brussels, BELGIUM
Office phone : + 32 2 650 33 72 / Office fax : + 32 2 650 35 21
mnys@ulb.ac.be

Si vous voulez vous joindre à l'appel, veuillez simplement mailer :
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  • et le lieu où vous travaillez
à l'adresse :
mnys@ulb.ac.be

petitionVous pouvez aussi signer sur le site La pétition :
http://www.lapetition.com



Pour le respect d'un Etat de droit

L'émotion suscitée par le décès de Semira Adamu ne suffit pas. La réflexion et l'action doivent y succéder. En tant qu'universitaires c'est à la réflexion que nous nous attachons prioritairement. Nous n'aurons jamais, dans nos laboratoires et dans nos bibliothèques, à placer un coussin sur qui que ce soit. Mais notre responsabilité est de prendre la parole. Il n'est plus possible de nous taire, face aux drames dont nous sommes témoins. Il n'est pas glorieux que cet appel soit fait à l'occasion d'une mort. Pire encore serait le silence. Cette parole ne faut que prolonger les travaux menés par des universitaires de différentes disciplines sur les questions liées de près ou de loin à deux enjeux importants du monde contemporain : les migrations et le droit d'asile.

Il importe peu, à la plupart d'entre nous, qu'un ministre démissionne, ou qu'une commission de l'Intérieur du Sénat mande des explications du ministre jugé responsable. Ce sont les politiques menées sur ces deux questions qui doivent être interrogées.

Nous affirmons trois choses.

  1. Premièrement, il n'est pas possible, dans ce débat qu'il va bien falloir tenir, de séparer le principe des expulsions des personnes qui se trouvent en séjour illégal sur notre territoire, des modalités d'exécution de ces expulsions, c'est-à-dire des contraintes physiques par lesquelles elles passent.

    D'une part, il est temps d'accepter qu'une réelle politique de gestion des migrations doit être menée. Au regard de la réalité du monde l'option de la fermeture totale des frontières n'est pas tenable. D'autre part, il est temps d'accepter que le droit d'asile doit être accordé, conformément aux engagements internationaux, aux personnes qui craignent avec raison des violations de leurs droits humains fondamentaux. Il faut donc cesser de créer des catégories de personnes expulsables qui, nécessairement, parce qu'il est porté atteinte à leur dignité humaine fondamentale se révolteront, et à l'encontre desquelles il faudra, nécessairement, user de violences disproportionnées. Tant que l'asile sera refusé à des personnes qui, telle Semira Adamu, refusent de quitter notre territoire parce qu'elles refusent de devenir la femme d'un homme polygame trois fois plus âgé qu'elles, il faudra expulser des personnes pour qui, comme pour elle, l'expulsion signifie la brisure d'une vie : il faudra expulser des personnes qui offiront une résistance physique. Tant que l'on refusera de régulariser des personnes qui ont acquis chez nous des habitudes de vie, y ont créé des liens, y ont pris un emploi, notre politique d'immigration impliquera le recours à l'expulsion violente.

    Une telle politique produit des conséquences dramatiques sur le plan humain. Une telle politique conduit la Belgique à violer les règles internationales relatives aux droits de l'homme au respect desquelles elle s'est engagée. Une telle politique doit être remise en question. La fin ne justifie pas n'importe quel moyen. Si les moyens sont inacceptables, la politique dont il sont la conséquence doit être révisée. Nous appelons à un moratoire sur les mesures d'éloignement forcé du territoire. Que ce moratoire fournisse l'occasion d'un large débat démocratique, sur la compatibilité de notre politique d'immigration avec l'idée que nous nous faisons des exigences d'un Etat de droit.

  2. Deuxièmement, nous appelons à la création d'un secrétariat d'Etat, ou d'un ministère, qui regrouperait dans ses compétences les droits de l'homme, la coopération au développement, et l'asile. Une telle administration établirait toutes les coopérations qu'il faut avec les ministères de la Justice, de l'Intérieur, et des Affaires étrangères. Mais elle pourrait conduire une politique relative à l'asile là où une telle politique a sa place. L'asile ne peut plus figurer parmi les politiques sécuritaires et de maintien de l'ordre. Il doit s'inscrire parmi les politiques humanitaires que conduit le gouvernement.

  3. Troisièmement, la question des responsabilités doit être clairement posée. Nous ne voyons guère l'utilité d'une démission. Nous ne nions pas la dimension symbolique, toujours puissante, qui s'attacherait à un tel geste. Mais les responsabilités sont diffuses. Elles se situent sur l'ensemble des maillons d'une chaîne, au bout de laquelle il y a les gendarmes chargés d'escorter les personnes éloignées, au début de laquelle l'on trouve les ministres chargés de coordonner l'attitude des Etats membres de l'Union européenne vis-à-vis de l'asile. Entre les deux il y a un certain nombre de personnes, plus ou moins complices, plus ou moins consentants. Il appartient à chacun, à son niveau, de prendre ses responsabilités et au besoin de refuser d'obtempérer à un ordre manifestement illégal. Les mesures de contrainte auxquelles suggèrent de recourir les directives données aux agents chargés d'escorter les personnes éloignées sont manifestement illégales. Elles prescrivent l'infliction de traitements inhumains aux personnes ainsi éloignées. Qui refuse d'appliquer les techniques de telles directives ne peut être sanctionné.

Dans l'Etat de droit, l'obéissance à la loi doit être, non pas obéissance inconditionnelle, mais obéissance en connaissance de cause : là où les procédures de légitimation de l'Etat de droit ont échoué à éviter des injustices flagrantes ponctuelles, il est de notre devoir d'en constater l'échec, et d'agir conformément à ce constat.

Les signataires de cet appel sont des universitaires qui proviennent de différents horizons idéologiques, de différentes institutions, de différentes disciplines, et de différentes communautés linguistiques. En commun ils ont l'inquiétude, et le dégoût. Ils pensent le temps venu de sortir des laboratoires et des bibliothèques, pour dire tout haut, à ceux que le pouvoir a transformés de si triste façon, qu'à présent cela suffit. Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Même Semira Adamu, Nigériane de vingt ans, morte pour avoir eu l'illusion de croire qu'en Belgique, l'on traite les gens, simplement, avec humanité.


Ont signé cette prise de position :

Emmanuelle Bribosia (ULB), Jean-Yves Carlier (UCL), Emmanuelle Dardenne (ULB), Olivier De Schutter (UCL), Anne Weyembergh (ULB),