PAR JEAN-CLAUDE AMARA, MOULOUD AOUNIT, JEAN-FRANCOIS BERJONNEAU, JEAN-CLAUDE BOUVIER, CARLOS BRAVO, HENNRI LECLERC, DANIELE LOCHAK, JEAN ROUSSEAU, PHILIPPE VOULAND, JEAN-PIERRE WEBEN * | [débat] |
Le printemps 1996 aura vu fleurir les mouvements d'étrangers sans-papiers en quête de régularisation. On en compte huit au total. C'est à Paris que tout a commencé. Envirron trois cents Africains, Maghrébins, Haïtiens, s'installent, le 18 mars, dans l'église Saint-Ambroise. Les uns sont des demandeurs d'asile déboutés; d'autres sont parents d'enfants d'étrangers en situation régulière auxquelss l'administration n'a pas accordé le regroupement familial. Presque tous présents en France de longue date, ils n'ont cessé de multiplier les démarches auprès de l'administration pour obtenir un titre de séjour. Bien qu'en situation irrégulière, ils ne sont donc nullement des clandestins. Après deux mois et demi de protestation collective, après leur expulsion de l'église Saint-Ambroise, puis du gymnase Japy, après une errance dans des lieux divers avant d'être acccueillis par les théâtres de la Cartoucherie à Vincennes à l'invitation d'Ariane Mnouchkine après une grêve de la faim d'une partie d'entre eux, les « réfugiés de Saint-Ambroise » attendent toujours aujourd'hui, dans un entrepôt de la SNCF, que l'administration répondent concrètement à leur attente.
Diverses régions connaissent également des mouvements de sans-papiers comparables. En Bretagne, à la faveur d'une forte mobilisation locale, la préfecture du Finistère n'a pu exécuter le rap atriement forcé de Bulgare, de Roumains et de Zaïrois auxquels le statut de réfugié avait été récemment refusé. Depuis le 5 avril, cinq adultes et six enfants sont hébergés par le Comité de soutien des réfugiés de Carantec, qui veille à leur sort avec l'appui de nombreux élus de la région. La solidarité de Français a aussi beaucoup contribué à convaincre la préfecture des Yvelines de céder à la revendication de huit étrangers qui, du 15 au 26 avril, ont mené une grève de la faim danns la cathédrale de Versailles. Avec le soutien d'associations, de syndicats, d'élus de toutes tendances, de l'évêque, ils ont obtenu la promesse écrite que l'administration délivrerait des titres de séjour aux cent trente parents étrangers d'enfants français du département (cartes d'un an aux Algériens en raison d'une clause restrictive des accords franco-algériens, de dix ans aux autres).
A Toulouse, une grève de la faim menée du 9 au 27 mai par six étrangers a contraint la préfecture de la Haute-Garonne à des concessions voisines en faveur des parents étrangers d'enfants français. Ils s'inscrivaient « dans le mouvement plus vaste des sans-papiers, dont l'opinion publique a pris conscience à l'occasion des événements de Saint-Ambroise à Paris ».
Du 23 au 30 mai, à Longjumeau dans l'Essonne, un couple de Zaïrois, demandeurs d'asile déboutés en France depuis 1990, a lui aussi été acculé à la grève de la faim pour obtenir finalement des papiers. A Nantes, soixante-quinze français et étrangers ont participé, les 3 mai et 1er juin, à un jeûne de soutien à soixante quinze familles d'étrangers parents d'enfants français maintenus sans papier, qui voulaient s'engager dans une grève de la faim.
Plus récemment, à Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis, une trentaine de sans-papiers ont trouvé accueil, le 8 juin, dans un local paroissial de la ville, dont ils entendent sortir quand ils auront été régularisés. À Lille, sept pères d'enfants ont, quant à eux, opté en faveur d'une grève de la faim commencée le 7 juin. Trois jours plus tard, le 10 juin, douze parents d'enfants français se sont engagés dans la même voie à Lyon.
À ces huits mouvements de sans-papiers, il faut ajouter la montée d'au moins deux autres manifestations de mécontentement en région parisienne. À Créteil et à l'Haÿ-les-Roses, dans le Val-de-Marne, le droit de vivre en famille est revendiqué haut et fort. Dans les Hauts-de-Seine, Colombes bruisse de la colère d'immigrés maintenus en situation irrégulière malgré une longue présence en France. Dans toutes ces villes et dans quelques autres, des comités de soutien tentent d'obtenir une solution par la négociation avec les pouvoirs publics.
Ce tour de France des mouvements de sans-papiers bat en brèche quelques idées reçues et souvent cultivées à dessein sur les étrangers en situation irrégulière. A l'image stéréotypée de l'« invasion » quotidienne du pays par des passe frontières qui, à défaut de la fortune, viendraient glaner des miettes de richesse à la faveur de séjours clandestins, il oppose une réalité composée de victimes de régimes répressifs venues demander à la France une protection qu'elle leur a refusée; et de familles que les lois et les pratiques administratives maintiennent en situation irrégulière. Ou bien ces familles comportent des enfants français; ou bien elles ont des enfants étrangers nés et/ou élevés en France; ou bien il existe en leur sein un conjoint en situation régulière qui, n'étant pas parvenu à obtenir un regroupement familial légal, s'est résolu de guerre lasse à un regroupement familial « sauvage »; à moins qu'il ne s'agisse de jeunes adultes, dont toute l'histoire s'est déroulée en France mais qui, faute d'une entrée régulière sur le territoire quand ils étaient enfants, ne peuvent désormais espérer de papiers. Tous vivent dans l'Hexagone depuis des années. Tous n'ont cessé de frapper nombre de fois aux portes des préfectures. Tous sont de purs produits d'une politique d'immigration qui, pas à pas depuis une vingtaine d'années, entraîne la France à ignorer droit d'asile et droit de vivre en famille, en violation des conventions internationales. Ils ne sont ni de près ni de loin des clandestins. Sauf à Versailles, à Nantes et à Toulouse, les pouvoirs publics leur opposent ce qui ressemble fort à de l'indifférence. En témoigne l'attitude du premier minnistre qui, saisi du cas des « réfugiés de Saint-Ambroise » de Paris par un collège de vingt-six personnalités agissant en qualité de médiateurs, leur concède tout juste un exament individuel certes baptisé « bienveillant » de leur situation, sans autre garantie. Que sont devenus les dix critères raisonnables proposés par ces médiateurs, qui tentaient de corriger ponctuellement les aberrations de la loi ? Ils sont passés aux oubliettes. De toute évidence, les pouvoirs publiccs entendent au mieux jouer à la loterie le sort de ces sans-papiers. Ils cherchent à casser ainsi leur mouvement en le divisant.
Une fois encore, un gouvernement de plus se moque des étrangers. Une fois encore, il trompe l'opinion en lui faisant croire que la multiplication des sans-papiers correspond à une invasion du pays, alors que ce sont les lois qui métamorphosent à la chaîne en clandestins des immigrés présents en France depuis plusieurs années pour des raisons légitimes. A ce titre, les « réfugiés de Saint-Ambroise », leurs semblables de Colombes, de Créteil, de l'Haÿ-les-Roses, de Lille, de Longjumeau, de Lyon, de Morlaix, de Nantes, de Saint-Denis, de Toulouse, de Versailles et d'ailleurs doivent être régularisés. Au-delà, s'il veut éviter que leurs mouvements se multiplient à l'infini, il serait salutaire que le gouvernement régularise l'ensemble des sans-papiers qui se trouvent dans les mêmes situations, et qu'il profite de l'occasion pour changer de politique en révisant dans nos lois tout ce qui crée des situations humainement et juridiquement inacceptables.