PAR PHILIPPE LEFAIT | [débat] |
Dans les logiques implacables d'audience de l'audiovisuel, la tentation est grande pour les journalistes de commencer un journal par ce qui parle d'abord à l'émotion plutôt que par ce qui fait appel à la réflexion. Dans ce système concurrentiel, devant ce qui apparaît, à tort ou à raison, comme l'actualité la plus forte, il est cohérent d'« ouvrir » avec l'abomination d'un quadruple meurtre à Boulogne-sur-mer. Je l'ai fait. Nous le faisons. Mais le citoyen que je suis a un doute sur le choix du journaliste. Malgré le travail explicatif des envoyés spéciaux et une volonté évidente de mesure et de distance, il est difficile de ne pas retenir de ce fait divers, au-delà de la misère d'une arrière-cour dans laquelle vivaient les présumés assassins, l'horreur de l'acte et ces interviews de quelques mères de famille réclamant la peine de mort. La démocratie est aussi faite pour que ces idées s'expriment
Mais, une fois le bouton poussé, ne subsiste que le goût acide de la solution radicale qui doit convenir à l'extrême droite et à ceux qui lui bâtissent des ponts. D'autant que, dans les mêmes journaux, à deux pas, on aura vu des barons de la droite se saisir de ce crime pour emboucher les trompettes du tout-sécuritaire. Il y a désormais dans la mise en ordre de l'actualité une réflexion à poursuivre sur ce qui peut favoriser l'idéologie de l'extrême.
Dans ce contexte, la manifestation contre la loi Debré apparaissait comme une « info » de moindre mesure. Peu importe que ce mouvement ait été largement ou peu suivi, qu'il ait semblé plus parisien que provincial, plus intellectuel que populaire ! Il illustrait la vie de la République, donnait à réfléchir sur les doutes et les questionnements de notre société. Sans garantie d'audience, cette nouvelle établissait une distance et donnait plus à penser qu'à pleurer. De moindre mesure, aussi Dolly, cette brebis aussi douce que clonée, qui offrait une occasion d'intéresser à l'avenir bioéthique de la planète...
L'Audimat, c'est donc parfois, dans la rigueur, l'automatisme ou l'inconscient de comportements professionnels, jouer de cet instinct qui est le fond de commerce du FN. Le paysage audiovisuel imaginé par le politique des années 80, droite et gauche confondues, confronte ceux qui font l'information télévisée au risque de l'immédiateté et du titre alléchant, à l'évidence du fait divers. Dont acte ! Mais, alors que les parlementaires discutent aménagement des lois sur l'audiovisuel, il est utile de se demander pourquoi et comment les professionnels que nous sommes doivent préférer la tête au ventre, l'intelligence à la part d'ombre.