Date: Sat, 24 Aug 1996 14:08:47 +0100
From: tieth <chango@club-internet.fr>
Mime-Version: 1.0
To: pajol@bok.net
Subject: après l'évacuation
X-Url: http://www.bok.net/pajol/sanspap.html#ecrire
Il est peut-etre trop tard pour envoyer ce message de soutien après
l'évacuation de l'église Saint-bernard, mais après cinq mois de
présence discrète et quotidienne auprès des sans-papiers comme
journaliste cameraman , le silence n'est pas tenable.
j'ai vécu la dernière nuit à l'église et je me suis réveillé cinq
minutes avant l'assaut donné par les forces de l'ordre. J'ai tout
filmé, les barricades, la violence et la brutalité des gendarmes
mobiles,la dignité des Africains écoutant le sermon du Père Coindé
tandis que les premiers d'entres eux étaient triés comme des bêtes
avant l'évacuation, les sympathisants d'abord, les célibataires
ensuite, les femmes et les enfants enfin.En voyant Ababacar Diop se
débattre en hurlant, traîné hors de l'église par quatre brutes
casquées alors que j'avais filmé le porte-parole des sans-papiers reçu
par Debré quarante-huit heures plus tôt, j'ai compris qu'il avait été
trahi, après une nuit de négociations informelles, par un gouvernement
qui manoeuvre entre duplicité, mépris et lâcheté.
Après l'évacuation, j'ai retrouvé le seul occupant laissé en
liberté.Il était en situation régulière et luttait depuis le début aux
côtés de ceux qui ne l'étaient pas. Il fixait du regard ses compagnons
emmenés de force dans les bus de la police , jusqu'au dernier. Quand
tout était terminé, il m'a dit que la lutte ne faisait que commencer,
qu'il y aurait d'autres Saint-Bernard partout en France, que les
Anciens allaient prendre la relève dans les foyers de travailleurs
immigrés et que L'Afrique n'oubliera jamais, de Bamako à Dakar, le
chemin de croix des sans-papiers de Saint-Ambroise à Saint-Bernard, ni
l'attitude de la France dans cette affaire.
J'espère que ce site ne disparaitra pas quand les premiers charters de
Maliens auront quitté le sol français. Sinon, que vaudra le souvenir
de ces hommes , ces femmes et ces enfants qui ont fait face avec tant
de dignité, de courage, de détermination et d'humour parfois au
cynisme d'un gouvernement qui ne voit rien, qui ne comprend rien au
monde dans lequel il vit?