entretien avec PIERRE MAZEAUD | [débat] |
Un cran supplémentaire a été franchi dans le durcissement des conditions de vie des étrangers en France. Le renouvellement automatique de la carte de séjour de dix ans pour les étrangers a été remis en question jeudi soir par l'Assemblée nationale. Ce document pourrait être retiré en cas de « menace pour l'ordre public », motif également invoqué pour en refuser la délivrance. Les détenteurs de l'historique carte de résident risquent d'être désormais livrés à l'arbitraire de l'administration, tant le critère de la menace à l'ordre public est vague. Les députés ont adopté une autre disposition qui autorise, sur réquisition du procureur de la République, la police à pénétrer dans les entreprises, à se faire présenter le registre du personnel et à contrôler l'identité des personnes qui travaillent. Ces deux dispositions du projet de loi sur l'immigration présentées par le ministre de l'Intérieur s'ajoutent aux autres amendements votés par les députés, et qui visent, tous, à durcir les lois Pasqua. (Voir Libération du 20 décembre). En l'absence de toute opposition, les durs de la majorité n'ont eu aucune peine à faire passer leurs amendements. Les députés communistes étaient occupés à leur Congrès et les socialistes ont laissé Julien Dray seul au front. « Le groupe socialiste a sous-estimé l'ampleur de la bataille. Sur le fond, le parti n'a pas de position sur le sujet. Nous manquons de clarté, il y a trop d'hésitations. Je ne veux pas dire du mal des copains, mais il y a eu une faute politique et morale ». Pierre Mazeaud, président RPR de la Commission des lois à l'Assemblée, a lui voté contre les amendements les plus durs présentés par les chantres anti-immigration de la majorité.
Vous sembliez seul à l'Assemblée pour défendre un point de vue un tant soit peu humaniste.
J'ai été étonné comme tout le monde de l'absence de la gauche, en dehors de Julien Dray (PS) et d'André Gérin (PC). Et de celle des modérés de notre bord. S'ils avaient été là, ils auraient pu soutenir comme l'ont fait les centristes, un point de vue plus humain, mais aussi plus réaliste. Il n'y a pas chez nous que des gens qui pensent comme Suzanne Sauvaigo, Jean-Pierre Philibert (1) ou Jean-Marie André (2) entre autres. Pendant ces débats, j'ai entendu des choses insensées. Il y a des types qui accusent le Conseil Constitutionnel, ou qui veulent supprimer le droit du sol pour acquérir la nationalité française. Le vrai gaullisme, c'est une vue autrement plus ouverte sur le monde.
Comment jugez-vous ces absences ?
L'absentéisme devient habituel et tue peu à peu la démocratie. C'est très grave.
Vous avez assuré ne pas avoir dit votre dernier mot ; quelle évolution de la loi espérez-vous ?
Elle doit maintenant être discutée par les sénateurs qui sont tout de même moins déchaînés et n'envisagent pas de faire une surenchère aux thèses du Front national, pour la bonne raison qu'ils ne sont pas soumis aux mêmes échéances électorales, alors que nous sommes à la veille des législatives de 1998. Le Sénat ne fera pas de vote conforme ou alors je meurs. Car en seconde lecture à l'Assemblée nationale, j'aurai en face de moi les mêmes, les plus durs. Il y a même un vent curieux qui souffle sur notre pays et c'est très inquiétant.
(2) Député-maire UDF de Beaucaire