Portrait de Abdarrahmane
35 ans, mauritanien
[sans-papiers] |
COMME beaucoup de ses compatriotes qui occupent l'église Saint-Pierre du Havre depuis le 14 mars, Abdarrahmane est arrivé en France en 1990 suite aux massacres des négro-mauritaniens qui ont lieu en 1989 en Mauritanie. Aujourd'hui, sa demande d'asile en France est dans l'impasse. Face à la réplique de la sous-préfecture du Havre disant que les Mauritaniens ne risquent rien en rentrant dans leur pays, il n'est pas inutile de rappeler le drame qui se joue dans ce pays depuis 1989, touchant essentiellement la population négro-mauritanienne. Son déclenchement a été un fait divers : un conflit entre éleveurs sénégalais et mauritaniens fut le prétexte saisi par le gouvernement mauritanien pour démarrer une répression contre les négro-mauritaniens. En effet, le gouvernement de Ould Taya, porté au pouvoir par un coup d'état en 1984, s'était allié avec les nassériens, composante chauviniste et raciste du paysage politique mauritanien. Ces derniers prônaient une discrimina-tion raciale envers les négro-mauritaniens, majoritaires dans la population. S'ensuivit depuis 1986 un processus d'arabisation de l'école et de l'administration publique mauritaniennes. Le conflit qui éclata en 1989 entre éleveurs sénégalais et maurita-niens dégénéra, il eut des pogroms de part et d'autre. Au Sénégal, des Haratines furent massacrés et en Mauritanie ce fut l'opportunité pour les nassériens de lancer une vaste opération d'épuration ethnique des négro-mauritaniens: massacres, tortu-res, spoliation des terres et expulsion de ces derniers vers le Sénégal. C'est ainsi qu'Abdarrahmane et sa famille furent expulsés vers le Sénégal. En revenant furtivement récupérer ses biens en Mauri-tanie, il fut arrêté et emprisonné. Par chance, il réussit à s'évader et se rendit d'abord en Algérie avant d'entrer en France en 1990. Depuis, il est sans nouvelles de sa famille. Il déposa aussitôt une demande d'asile qui fut refusé de même que le recours qu'il tenta en 1991. Les raisons de ces refus : les autorités françaises disent qu'il n'a pas fourni suffisamment de preuves de son expulsion de Mauritanie et du danger qu'il encourt en y retournant. Or les autorités françaises ne peuvent pas ignorer le drame qui se joue dans ce pays depuis 1989. La Mauritanie avait alors fait l'objet de condamnations au niveau international. En outre, on peut se demander s'il est dans l'habitude d'un pays de donner des papiers à celui qu'il expulse ? C'est plutôt le contraire qui s'est déroulé en Mauritanie : les expulsés ont vu leur papiers confisqués ou déchirés pour qu'ils ne puissent pas prouver leur identité mauritanienne. Il faut dire que cette région de Mauritanie (Gorgol) qui fut l'un des théâtres de massacres en 1989 était constamment occupée par les forces de l'ordre. Comment alors demander des preuves supplé-mentaires sur des événements mondialement reconnus, dans lesquels le Haut Commissariat aux Réfugiés (H.C.R.) est intervenu pour apporter son assistance aux expulsés ? Lorsque la circulaire Chevène-ment sortit en avril 1997, Abdarrahmane crut qu'elle pouvait l'aider à sortir de ce casse-tête mais rien à y faire. Sa demande fut à nouveau rejetée. Pendant ce temps, il a travaillé avec le titre provisoire obtenu en arrivant en France, et possède bulletins de paye et certificat de travail. Abdarrahmane raconte avec tristesse et amertume la visite qu'ils ont reçue dans l'Eglise Saint-Pierre, d'un ancien combattant d'origine mauritanienne qui a fait la guerre de 14-18 et de 39-45 aux côtés de la France. Cet homme a rappelé les bons et loyaux services rendus à la France par les combattants Africains, en les comparant au traitement humiliant et dégradant infligé à une partie des Africains aujourd'hui en France. Ce sentiment d'avoir été trahi a provoqué une vive émotion parmi les occupants de l'Eglise. Abdarrahmane rappelle avec justesse l'exploitation des Africains et des richesses des sous-sols africains par la France. Pendant les deux guerres mondiales, ³ la chair à canon africaine ² était très désirable. Après les guerres, il fallait encore les mains pour balayer les rues, vider les ordures ou faire des ³ sales ² travaux. La France n'a pas hésité à aller chercher les africains chez eux. Aujourd'hui, elle expulse des Africains dont certains sont menacés de morts. Alors, pourquoi continue-t-elle à soutenir des dirigeants africains dont elle sait qu'ils ne respectent pas les droits de l'homme, des dirigeants qui rendent impossible la survie des hommes et femmes africains et les contraignent à fuir leur pays ? Où donc aller, se demande Abdarrahmane. Rappelons que le régime de Ould Taya bénéficie de la coopération militaire française. Le Président Chirac qui le considère ³ comme un sage ² lui a rendu visite en automne dernier et lui a apporté le soutien du ³ pays des droits de l'Homme ²... |