COLLECTIF RÉGIONAL DES SANS-PAPIERS D'ILE-DE-FRANCE
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[pajol] |
à Monsieur Jean-Pierre Chevènement
Ministère de l'Intérieur
8, place Beauvau, 75008 Paris
Monsieur le ministre,
Sachant imminente la reprise de vos fonctions à la tête du ministère de l'Intérieur, nous vous adressons cette lettre ouverte pour vous rappeler notre situation, insoutenable, tant sur le plan social que politique.
Tout le monde le sait aujourd'hui : votre circulaire n'aura pas été une bonne décision politique, et la loi que vous avez fait voter se borne à poursuivre, elle aussi, les politiques avec lesquelles votre gouvernement avait pourtant promis de rompre, le temps, il est vrai, d'une campagne électorale.
Certains parlent d'impasse. Nous, sans-papiers, nous vivons un véritable drame et nous nous interrogeons avec angoisse sur notre avenir en France, sur l'avenir de nos familles et de nos proches qui vivent au pays grâce à nos salaires, et sur l'avenir d'une société qui accepterait la discrimination que vous nous imposez.
Car quels sont nos constats ?
Sur les 150 000 sans-papiers qui ont déposé un dossier pour être régularisés :
Votre re-examen aura permis d'imposer le "cas par cas" et les critères arbitraires comme seule politique possible.
Il aura permis de cantonner définitivement les travailleurs immigrés dans une précarité institutionnalisée.
En résumé, il aura instauré une sorte d'apartheid dans la société française.
Lionel Jospin et vous-même, vous dites que vos services de police n'iront pas nous arrêter chez nous. Pensez-vous que ce genre de déclaration honore la démocratie en général, et la gauche plurielle en particulier ? Croyez-vous que nous ignorons que les arrestations se font partout, que les rues, les gares, les métros sont autant de guet-apens en raison du quadrillage permanent que Vigipirate a désormais banalisé? Croyez-vous que nous ignorons que les centres de détention sont pleins, que les expulsions sont quotidiennes ?
Bien sûr, cette répression ne peut nous toucher tous. Vous faites vous-même comprendre que la majorité d'entre nous va rester sur le territoire français, tels que vos lois l'ont décidé, sans droits, et dans la peur permanente d'une interpellation. Quelle aubaine pour ceux qui rêvent de nous voir condamnés au silence des parias et soumis à une exploitation sans frein !
Vous le savez, l'opinion publique n'approuve pas cette situation. Notre lutte qui dure depuis bientôt trois ans a eu, en effet, des conséquences incalculables sur la manière dont sont posés les problèmes de l'immigration en France : notre combat a permis que soient dénoncés tous les prétextes qui faisaient de nous des boucs émissaires ou des criminels en puissance et que soient rappelées les raisons qui nous ont fait quitter notre pays. Pendant que vous persistez à perpétuer et durcir ce que vos prédéceseurs avaient inauguré contre nous, de plus en plus de citoyens se déclarent opposés à votre politique xénophobe et jugent que nous régulariser est la seule mesure juste, la seule appropriée aux principes d'égalité et d'accueil dont se réclame la République française.
Les conséquences de vos mesures sont inacceptables pour nous. Nous ne pouvons imaginer que vous-même et le gouvernement auquel vous appartenez puissiez vous enorgueillir du sort que vous nous faites subir et pensiez convaincre vos concitoyens du bien-fondé démocratique de telles pratiques.
C'est pourquoi nous nous sommes permis de vous rappeler la précarité de notre situation et l'urgence d'une solution qui vous honorerait et nous honorerait.
Veuillez agréer, monsieur le ministre, l'expression de toute notre considération et entendre notre appel.
Le Collectif des Sans-papiers d'Ile-de-France