Immigration : pour l'honneur, revenons sur la loi

PAR BERNARD STASI [débat]


libe du mercredi 15 janvier 1997 (Débats).

Peut-être ont-ils raison, ces députés de la droite dure qui, malgré la résistance courageuse de Jean-Louis Debré, de Pierre Mazeaud et de quelques députés centristes, et aussi grâce à sa désertion d'une bonne partie des députés de gauche, ont réussi, à la fin de l'année, à faire adopter quelques amendements qui ont sensiblement durci le projet de loi gouvernemental sur l'immigration. Oui, peut-être ont-ils raison de penser que l'adoption de mesures de cette nature, de cette brutalité, est susceptible de faire perdre quelques points au Front national lors des prochaines échéances électorales.

Mais il serait grave, pour la majorité, de se laisser convaincre par cet argument, dont on ne sait si ceux qui l'utilisent font preuve de naïveté ou de perversité.

Serait-ce, en effet, un progrès pour la qualité de notre démocratie si la représentation nationale prenait majoritairement à son compte des théories xénophobes et des fantasmes racistes, leur donnant en quelque sorte une caution officielle et une consécration législative, à seule fin de faire reculer le Front national ?

Ce serait payer un coût moral très élevé pour un gain électoral aléatoire.

Il est évident que, même si le Front national perdait quelques points dans la manoeuvre, il pourrait, à bon droit, se vanter d'avoir remporté une belle victoire.

Par ailleurs, ces défenseurs enragés, et qui se voudraient exemplaires, de l'identité française rendent un mauvais service à notre pays. Il suffit de voyager un peu à travers le monde, et pas seulement dans les pays d'où sont originaires les immigrés, pour constater les dégâts.

En raison de la véhémence haineuse des discours de certains de nos responsables politiques qui n'appartiennent pas tous au Front nationale, et aussi du fait de certaines brimades commises à l'égard des étrangers, le France, malgré les prises de position claires et vigoureuses du président de la République et du Premier ministre contre le Front national et son idéologie, risque d'apparaître aux yeux de beaucoup comme un des pays les plus xénophobes parmi les nations démocratiques. Beaucoup de nos amis, à travers le monde, s'en étonnent et s'en attristent.

Enfin, au moment où, après une période de confusion, le débat politique dans notre pays, d'après tous les commentateurs de la chose publique, s'ordonne à nouveau clairement autour du clivage traditionnel « gauche-droite », certaines dérives seraient suicidaires pour ce que l'on appelle, par une fâcheuse simplification, la droite, en oubliant, soit dit en passant, que le centre est l'une des composantes essentielles de la majorité. Mais pour que le centre soit reconnu par tous les observateurs et par tous les citoyens dans sa spcificité, sans doute soit-il exprimer encore plus haut et plus fort son message et ses exigences. Et les problèmes dans lesquels la dignité de l'homme est en cause, comme c'est le cas de ceux liés à l'immigration et de l'intégration, doivent lui en fournir précisément l'occasion.

En tout cas, si la majorité, aux yeux des Français, apparaissait dominée par ceux qui considèrent tout étranger comme un suspect et qui ne voient pas de salut, pour notre pays, en dehors de la logique diabolique de l'enfermemtn et du rejet, elle perdrait immanquablement les élections, face à une gauche qui pourrait alors revendiquer le monopole de l'humanisme et se parer des couleurs de la générosité.

Certes, les Français, dans leur très grande majorité, veulent, à juste titre, que leurs dirigeants fassent preuve de fermeté dans le combat contre l'immigration clandestine. Mais la compréhension et la sympathie dont, l'ét dernier, ont bénéficié les sans-papiers de l'église de Saint-Bernard ont témoigné du sens de la justice de nos concitoyens et de leur souci de voir des préoccupations humanistes tempérer, face à certaines situations, la rigueur des lois. On peut ajouter que les récentes élections partielles de Marignane et de Dreux ont montré que les électeurs français étaient de plus en plus nombreux à vouloir faire barrage au Front national. Qu'ils votent habituellement à gauche, au centre ou à droite, ils n'ont pas eu besoin de consignes pour choisir, au second tour, le vote républicain.

Aussi les hommes politiques qui, aujourd'hui, croient de bonne guerre de courir après le Front national dans l'espoir de récupérer des électeurs ne se rendent-ils pas compte qu'ils vont à contre-courant des sentiments d'un nombre croissant de nos concitoyens. En tout cas, lorsque le Sénat aura à se prononcer sur les amendements adoptés par l'Assemblée nationale, sa décision sera lourde de conséquences. Au-delà des chances de la majorité lors des prochaines élections, c'est aussi l'image et l'honneur de notre pays qui sont en jeu.


Bernard Stasi est député européen et vice-président de Force démocrate.