L'immigration profite à l'emploi

PAR CHARLES WYPLOSZ [débat]


libe du lundi 10 mars 1997 (Débats - Economiques).

Le débat sur la loi Debré tourne entièrement sur l'idée que l'immigration doit être contrôlée. Trois arguments sont en général avancés pour justifier cette idée : 1 ) le racisme, le fait que la présence de trop d'immigrés non intégrés provoquerait des réactions de rejet ; 2 ) la congestion, le fait que la France ne pourrait recevoir le monde entier sur un territoire somme toute réduit ; 3 ) les effets économiques de l'immigration. Dans le souci de clarifier ce que les économistes, qui se penchent depuis longtemps sur cette question, ont pu établir, examinons ce point. L'immigration est souvent rendue responsable de deux effets : le chômage et la baisse des revenus. Le raisonnement habituel est simple : les immigrés occupent des emplois qui seraient allés à des Français et acceptent des salaires que les Français refusent. Si simple qu'il est largement faux.

Le pays d'Europe où l'immigration est la plus faible (moins de 1 % de la population) est l'Espagne ; taux de chômage : 22 %. Celui où l'immigration est la plus forte (17 %) est la Suisse ; taux de chômage : 5 %. Y a-t-il vraiment concurrence entre immigrés et Français ? Le plus souvent, les emplois en question sont si peu qualifiés et si pénibles que la plupart des Français ne s'y intéressent pas. De plus, la France n'est pas une île. Les salaires sont aussi déterminés par la compétition internationale. Les immigrés à bas salaires permettent de maintenir sur place des activités qui auraient autrement disparu ou migré vers les pays à bas salaires. Ces activités ne fournissent pas d'emplois aux seuls immigrés : en profitent des cadres, sous-traitants, contructeurs de bâtiments, etc. L'automobile ou le tourisme montrent la contribution qu'apportent les immigrés à l'économie française. D'après les études menées un peu partout dans le monde, cet effet positif sur l'emploi, à lui seul, semble souvent compenser l'effet de compétition.

L'immigration a, par ailleurs, un impact économique bénéfique. D'abord, il s'agit d'une main-d'oeuvre flexible, qui se localise là où le besoin existe, alors que les Français rechignent à quitter leur clocher, qui a souvent l'inconvénient de ne pas s'élever là où se développent les emplois. Ensuite, les immigrés ne sont pas que des travailleurs, ce sont aussi des consommateurs. Ils achètent , comme tout le monde, aussi, ils épargnent. Certes, ils envoient une partie de leurs revenus chez eux, mais cet argent est aussi en partie redépensé pour nos produits, ou les produits de nos clients, ou ceux des clients de nos clients. Enfin, ils rajeunissent la population (on ne migre pas à l'âge de la retraite). Le vieillissement de la population française est une bombe à retardement qui explosera quand la génération du baby boom atteindra l'âge de la retraite. Les immigrés sont utiles pour redresser la pyramide des âges et le seront de plus en plus. Faudra-t-il un jour, organiser des charters d'immigrés pour venir cotiser à nos systèmes de retaite en faillite ? Au bout du compte, les effets de l'immigration sur l'économie sont variés. Il est exact que les personnes les moins qualifiées souffrent de la concurrence, mais cette concurrence s'exercerait de toute façon par le biais de la mondialisation. (On peut aussi rêver d'isoler la France de la compétition internationale, qualifiée alors de sauvage : le modèle albanais - version communiste rigoriste - fait toujours des adeptes.) Il n'a jamais été établi que l'immigration ait un effet économique globalement négatif. Ce serait plutôt l'inverse : les Etats-Unis ne seraient pas ce qu'ils sont s'ils ne restaient pas un pays d'immigration.


Charles Wyplosz est professeur à l'Institut de hautes études internationales de Genève.