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Date: Mon, 23 Dec 1996 17:16:07 +0200
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Subject: [ZPAJOL] GISTI sur la loi Debre (1/2)

GISTI Groupe d'information et de soutien des travailleurs immigrés


Projet de loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration
et décision du Conseil constitutionnel du 14 octobre 1996

Analyse et commentaires


projet de loi debré


Contre le droit des gens, les libertés et l'intégration

Le projet de loi modifiant l'ordonnance du 2 novembre 1945, que le
ministre de l'intérieur, Jean-Louis Debré, a fait adopter par le conseil
des ministres du 6 novembre 1996, est présenté par les pouvoirs publics
comme une tentative de régler « des difficultés réelles de mise en ¦uvre »
de la loi Pasqua. A cet aspect supposé purement technique, s'ajoutent les
leçons tirées « de certaines affaires (qui ont) plus spécialement défrayé
la chronique ». Que le gouvernement juge innommable la lutte des
sans-papiers de Saint-Ambroise - Saint-Bernard et de leurs homologues de
banlieue et de province donne une petite idée de son désir réel d'agir sur
les causes de cette révolte. Il n'empêche que cette évocation gênée de
l'actualité lui permet de présenter son projet comme une innovation
équilibrée, caractérisée par un savant dosage entre fermeté et libéralités,
et susceptible de répondre aux principales revendications de bon nombre des
sans-papiers. Une partie de la presse a un peu rapidement fait sienne cette
appréciation.

En réalité, le projet de loi Debré repose sur un véritable parti
pris en faveur de la précarité des étrangers. Il n'hésite pas à porter
atteinte aux libertés des Français et des étrangers en situation régulière.
Il s'efforce de rendre plus difficile le rôle du juge judiciaire en matière
d'éloignement. Enfin, malgré des évidences statistiques de notoriété
publique qui prouvent le contraire, il entretient délibérément
l'assimilation entre travail illégal et présence en France d'étrangers en
situation irrégulière.


Option en faveur de la précarité

S'il est vrai que le projet de loi prévoit la régularisation de
certains jeunes entrés en France hors de la procédure du regroupement
familial, d'étrangers en situation irrégulière depuis plus de quinze ans,
de conjoints de Français et de parents étrangers d'enfants français, il
prend explicitement le parti de placer les uns et les autres dans la
précarité. La solution trouvée à l'impasse juridique créée par les lois
Pasqua, en particulier à la création des catégories d'étrangers ni
éloignables ni régularisables (sauf dérogation, toujours possible), repose,
en effet, sur la délivrance de titres de séjour provisoire, dont le
renouvellement est moins que jamais assuré.

De toute évidence, le gouvernement n'a plus le moindre souci de
l'insertion. C'est d'ailleurs, pour la première fois depuis bien longtemps,
une notion totalement absente - y compris à titre de clause de style - de
l'exposé des motifs. Il est vrai que Jean-Louis Debré s'est rattrapé depuis
lors (le Figaro, 7 novembre 1996) en substituant massivement
l'« assimilation » à l'intégration.


Nouvelles atteintes aux libertés de tous

Une fois encore, la lutte contre l'immigration clandestine se
retourne contre les libertés individuelles. Elles avaient déjà souffert de
rudes coups portés par Charles Pasqua dans les domaines des contrôles
d'identité et des mariages. Voilà que son successeur permet aux maires de
refuser de délivrer des certificats d'hébergement aux Français et aux
étrangers en situation régulière qui n'auraient pas certifié que leur
invité étranger est reparti au terme de la durée de validité de son visa. A
la faveur de cette innovation, qui invite à la délation et peut en
légitimer d'autres, les premiers magistrats de nos cités ne pourront pas
identifier les « fautifs » pour les punir sans les avoir, d'une manière ou
d'une autre, inscrits dans un fichier. A partir de là, n'est-il pas
imaginable que de nombreuses communes entreprennent de tenir un registre ou
un fichier de tous les demandeurs de certificats d'hébergement ?


Que dire encore de ce curieux privilège qui, si le projet était
adopté, conférerait un caractère suspensif au seul appel formé par le
ministère public contre la remise en liberté, décidée par le juge de
première instance, d'un étranger placé en rétention ? Ce qui reviendrait à
prolonger la privation de liberté d'un individu qui viendrait pourtant
d'être libéré par la justice.

La liberté d'aller et de venir ne sort pas non plus renforcée du
projet de loi, puisqu'il prévoit que les « véhicules circulant sur la voie
publique, à l'exclusion des voitures particulières », pourront désormais
subir des « visites sommaires (...) en vue de rechercher et constater les
infractions relatives à l'entrée et au séjour des étrangers en France »
dans une zone de vingt kilomètres à partir de la frontière avec les états
signataires de la Convention de Schengen (actuellement tous les pays
frontaliers, sauf la Suisse). Même si ces nouveaux contrôles impliquent
l'accord du conducteur ou l'autorisation du procureur de la République, ils
étendent les pouvoirs de la police sur les citoyens.

Il en est de même de la possibilité pour la police d'entrer bientôt
dans des lieux professionnels pour contrôler l'identité de ceux qui y
travaillent de façon à vérifier s'il ne s'agit pas de travail illégal.


Amalgame entre travail illégal et étrangers

Même si le projet de loi vise en principe les seuls employeurs, on
peut craindre des dérapages. Mais il y a pire. Le texte permettant à la
police de pénétrer dans des ateliers figurait initialement, sous la forme
d'un article 3, dans le projet de loi préparé par le ministre du travail et
des affaires sociales, Jacques Barrot. Il en a été retiré, le 16 octobre,
par le conseil des ministres (et non par le Conseil d'état, comme une
rumeur tenace tend à l'établir) qui a préféré l'insérer dans le projet du
ministre de l'intérieur « relatif à l'immigration ». Comme si le
gouvernement souhaitait entretenir l'idée qu'il y a un lien de cause à
effet entre travail illégal et présence des étrangers en France. Il sait
pourtant qu'ils y participent à hauteur de 10%, et qu'on relève la présence
d'étrangers en situation irrégulière dans 6% seulement les procès verbaux
de police relatifs à ce type d'affaires.

Faut-il que le gouvernement veuille marginaliser les étrangers et
les exposer à la vindicte pour avoir en plus rebaptisé le projet du
ministre du travail ? Avant son adoption, il s'intitulait « Projet de loi
relatif au renforcement de la lutte contre le travail illégal ». Après
cette adoption, il est devenu « Projet de loi relatif au renforcement de la
lutte contre le travail clandestin ». Tout un programme quand on sait la
connotation de la clandestinité par les temps qui courent.

Minimisation du rôle du juge judiciaire dans la procédure d'éloignement

« Le bras séculier » de la volonté du ministre de l'intérieur étant
« l'exécution des reconduites à la frontière » (le Figaro, 7 novembre
1996), son projet n'hésite pas à proposer que le contrôle du juge
judiciaire sur le maintien en rétention des étrangers en voie d'éloignement
s'exerce 48 heures après le début de la rétention au lieu de 24 heures
actuellement. Il sera ainsi possible de renvoyer dans leurs pays des
étrangers qui sont aujourd'hui remis en liberté, surtout depuis que - et
peut-être bien parce que - la Cour de cassation a autorisé le juge à
examiner la légalité des conditions d'interpellation.

Analyse par article


I. Nouvelles conditions de délivrance des certificats d'hébergement
(article 1 du projet)

Rappel des dispositions existantes. - Le certificat d'hébergement est une
des pièces nécessaires aux étrangers qui sollicitent la délivrance d'un
visa de court séjour pour entrer en France dans le cadre d'une visite
privée. Il concerne donc principalement les personnes dont le but de la
venue en France est à caractère familial ou amical.

Le visa de court séjour permet également aux étrangers, mariés à des
Français depuis moins d'un an, de demander à l'arrivée en France la
délivrance d'un titre de séjour en tant que conjoints de Français.

Le certificat d'hébergement est établi, en France, par une personne,
française ou étrangère, qui s'engage à héberger l'étranger pendant la durée
de son séjour.

En l'état actuel de la législation, le certificat, qui doit être visé par
le maire de la commune où réside l'hébergeant, peut être refusé par
celui-ci s'il apparaît que l'étranger ne peut être hébergé dans des
conditions normales ou que les mentions portées sur le certificat sont
inexactes. S'il a des doutes sur ces points, le maire peut faire vérifier
si ces conditions sont remplies en demandant à l'OMI d'effectuer des
vérifications à domicile.


Le projet introduit les modifications suivantes :

* Obligation pour le signataire d'un certificat d'hébergement qui aurait
accueilli l'étranger à qui il était destiné d'informer la mairie de sa
commune du départ de cet l'étranger (le projet ne précise pas s'il s'agit
du départ du domicile de l'hébergeant ou du départ de France, mais on peut
penser qu'il s'agit du départ du domicile).

* Aux motifs déjà prévus de refus opposables par le maire à la délivrance,
en seraient ajoutés deux :

- les demandes antérieures de l'hébergeant font apparaître un
détournement de la procédure au terme d'une enquête de police demandée par
le préfet ;
- le signataire du certificat d'hébergement n'a pas, dans les deux
ans qui précèdent, signalé à la mairie le départ d'un étranger qu'il aurait
accueilli. Toutefois l'absence de signalement n'est pas opposable, si le
signataire est de bonne foi ou s'il fait état, à bon droit, de
circonstances personnelles ou familiales graves.

Bien qu'aucune disposition ne figure dans ce projet de loi sur
l'utilisation des données recueillies par le maire, l'obligation d'informer
du départ de l'étranger hébergé et la sanction qui l'accompagne en cas de
non-respect de cette obligation (refus de délivrer de nouveau visas pendant
deux ans) impliquent nécessairement la création d'un fichier. Un précédent
projet de loi du ministère de l'intérieur du 19 mars 1996 prévoyait la
création d'un "fichier des hébergeant".
Le silence du nouveau texte permettrait à chaque mairie de mettre en place
son propre fichier en y inscrivant toutes les personnes qui demanderaient
un certificat d'hébergement. A moins que le dispositif prévu dans
l'avant-projet du 19 mars 1996, créant un fichier départemental tenu par
les préfectures, réapparaisse dans un texte réglementaire.

Commentaire :

Cédant aux pressions réitérées de certaines maires qui revendiquent depuis
plusieurs années davantage de pouvoirs en matière de lutte contre
l'immigration clandestine, le gouvernement se propose donc d'une part de
légaliser des pratiques qui sont devenues courantes quoiqu'à l'heure
actuelle illégales, d'autre part de mettre en place un dispositif lourd de
conséquences pour toute personne ayant des attaches, même à titre amical,
avec un étranger :

1) En ne faisant figurer aucune disposition dans le projet de loi sur
l'utilisation des données fournies par les hébergeants, le gouvernement
fait l'économie d'un débat devant le parlement sur la création de fichiers,
qu'ils soient gérées par les préfectures, comme cela était prévu par le
premier projet de loi, ou par les mairies. D'une part, l'obligation de
déclarer le départ de l'étranger nécessite un fichage qui peut porter
atteinte à la vie privée des individus, au regard des informations devront
qui être fournies aux mairies (occupation du logement, nom des personnes
hébergéesŠ). D'autre part, rien n'empêcherait que ce fichage, théoriquement
destiné à informer les mairies des précédentes demandes de certificat
d'hébergement par une personne déterminée et à vérifier que l'hébergeant a
effectivement prévenu la mairie du départ de l'étranger, soit également
consulté dans d'autres circonstances, par exemple en cas d'interpellation
d'un étranger en situation irrégulière, afin d'établir l'identité de la
personne qui lui a permis d'entrer en France et éventuellement d'engager
des poursuites à l'encontre de celle-ci pour « aide à l'entrée et au séjour
irrégulier », en alléguant éventuellement un prétendu « détournement de
procédure »

2) La notion de « détournement de procédure », qui pourrait constituer un
motif de refus de délivrance d'un certificat d'hébergement, n'est pas
claire. Elle vise probablement les situations dans lesquelles un étranger,
entré en France sous couvert d'un visa de tourisme, s'est maintenu sur le
territoire au-delà de la durée autorisée par ce visa. Mais c'est aussi le
cas des étrangers qui, pendant la durée de validité de leur visa de
tourisme, sollicitent un titre de séjour pour rester en France (par
exemple, les conjoints de Français, ou les étrangers qui demandent une
autorisation de séjour pour soins, ou encore ceux qui déposent une demande
d'« asile territorial » - on pense notamment aux Algériens). Une personne
ayant demandé un certificat d'hébergement pour un étranger qui, une fois
arrivé en France, solliciterait son admission au séjour pour un de ces
motifs pourrait vraisemblablement se voir opposer par la suite ce
« détournement de procédure ». On peut se demander également sur quels
critères le préfet déciderait d'initier une enquête de police, à moins que
toute demande ne soit précédée d'une enquête, ce qui paraît difficilement
réalisable !

En résumé, le dispositif envisagé en matière de certificat d'hébergement
est conçu pour être le plus dissuasif possible, notamment par la suspicion
qu'il fait peser sur toutes les personnes susceptibles d'établir des
certificats d'hébergement pour des étrangers, et par conséquent pour
diminuer les possibilités d'obtention de visa. On peut s'interroger sur son
efficacité par rapport au but officiellement poursuivi - la lutte contre
l'immigration clandestine. En revanche, il est certain que sa mise en place
multiplierait les difficultés déjà rencontrées par les étrangers qui
souhaitent venir en France dans le cadre de visites familiales et privées.

Une fois de plus, la hantise de la clandestinité conduit à réduire