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Date: Mon, 23 Dec 1996 17:16:07 +0200
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Subject: [ZPAJOL] GISTI sur la loi Debre (1/2)

les libertés : celles des Français et celles des étrangers en
situation régulière.

II. Confiscation des passeports (article 3)

* Les étrangers en situation irrégulière sur le territoire français,
notamment ceux qui font l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire,
pourraient, aux termes d'un nouvel article 8-1 de l'ordonnance, se voir
confisquer leur passeport par les autorités de police. Ils recevraient en
échange un récépissé valant justification d'identité. Le passeport serait
restitué lors de la sortie du territoire.


Commentaire :

Un des buts de la mesure proposée est de permettre d'éviter que l'étranger
ne se débarrasse de ses documents de voyage pour éviter la mise à exécution
d'une mesure d'éloignement. Mais elle permet aussi, après tout refus de
séjour et avant même la notification d'une mesure d'éloignement, de priver
les étrangers de leur passeport. Ce qui revient, de fait, à leur interdire
d'entreprendre toutes démarches ou actes de la vie civile qui nécessitent
de produire une pièce d'identité. En effet, il faut savoir que beaucoup
d'étrangers n'ont que leur passeport pour retirer un courrier recommandé à
la poste (notamment la notification d'un arrêté de reconduite à la
frontière !), pour demander la scolarisation de leurs enfants, ou se
marier. Et il est peu probable que les services administratifs se
satisfassent du récépissé remis en échange du passeport.
Le passeport d'un étranger en situation irrégulière placé en rétention
administrative ou judiciaire peut être momentanément dans les mains d'une
autre personne (le conjoint, l'avocat, la famille, un colocataire...). Dans
ce cas, ces personnes auront elles l'obligation de remettre le passeport
aux autorités administratives ? Le projet ne prévoit aucune sanction, mais
on se rappelle qu'en octobre 1995 la concubine d'un étranger en situation
irrégulière avait été poursuivie pour aide au séjour irrégulier (art. 21 de
l'ord. du 2/11/1945) par le parquet de Toulouse qui lui reprochait
notamment d'avoir caché et refusé de remettre le passeport de son
compagnon. En l'espèce, l'intéressée avait été relaxée, le TGI de Toulouse
estimant que l'article 21 n'était applicable dans le cas d'une aide
fournie à titre désintéressé. Mais il s'agissait là d'une interprétation
qui reste minoritaire dans l'état actuel de la jurisprudence. Il est donc
légitime de se poser la question des conséquences de cette obligation à
l'égard de l'entourage de l'étranger qui a confié son passeport à une
tierce personne.
La confiscation du passeport pose le problème des conditions de sa
restitution. Comment rendra-t-on son passeport avant son éloignement à un
étranger interpellé loin de son domicile et donc de la préfecture qui le
détient ? Dans quelle mesure laissera t-on à un étranger la possiblité
d'exécuter de son plein gré l'injonction à quitter le territoire dont il a
fait l'objet si son passeport a été confisqué ?


III. Fouilles des véhicules (article 3 du projet)

Les officiers, agents et agents adjoints de police judiciaire pourraient
procéder à la visite sommaire des véhicules circulant sur la voie publique,
à l'exclusion des voitures particulières, afin de lutter contre
l'immigration irrégulière, dans une zone comprise entre la frontière
terrestre de la France avec les États parties à la convention de Schengen
et une ligne tracée à vingt kilomètres en-deçà. Les services de police
doivent obtenir l'accord du conducteur ou, à défaut, l'autorisation du
procureur de la République.

Commentaire :

Comme les dispositions relatives au certificat d'hébergement, la fouille
des véhicules va encore porter atteinte aux libertés individuelles de tous,
qu'ils soient Français ou étrangers, au nom de la lutte contre
l'immigration clandestine. Les pouvoirs accordés aux forces de police
apparaissent totalement disproportionnés au regard du but poursuivi. A
partir de quels critères les policiers vont-ils choisir de contrôler tel ou
tel véhicule ? Après les contrôles d'identité, va t-on assister à des
fouilles de véhicules au faciès ? De plus, le fait de pouvoir relever toute
infraction autre que celle ayant trait aux règles sur l'entrée et le séjour
permet d'utiliser cette disposition à n'importe quelle autre fin. Certes
les policiers devront demander l'accord du conducteur avant de procéder à
la « visite sommaire » de son véhicule. Pour pouvoir s'y opposer, faut-il
encore être informé de ce droit.


IV. Nouveaux cas d'attribution de plein droit d'une carte de séjour
temporaire (article 4 du projet de loi)

Rappel des dispositions existantes. (art. 12 bis de l'ordonnance) - La
carte de séjour temporaire est délivrée de plein droit à dix-huit ans aux
jeunes étrangers entrés par regroupement familial pour rejoindre un parent
lui-même titulaire d'un titre temporaire ou qui justifient résider
régulièrement en France depuis qu'ils ont atteint au plus l'âge de six ans.
Son titulaire est autorisé à exercer une activité professionnelle.

Selon le projet :

Quatre nouvelles catégories de bénéficiaires de plein droit d'une carte de
séjour temporaire sont créées:

* les jeunes étrangers qui justifient avoir leur résidence en France depuis
qu'ils ont atteint au plus l'âge de dix ans, s'ils justifient être dans
l'impossibilité de poursuivre toute vie familiale dans leur pays d'origine ;

* les étrangers non polygames qui justifient par tous moyens résider en
France habituellement depuis plus de quinze ans ;

* Les conjoints de Français mariés depuis au moins un an à condition qu'ils
soient entrés régulièrement sur le territoire ;

* Les étrangers non polygames parents d'un enfant français âgé de moins de
seize ans, résidant en France, à la condition qu'ils exercent même
partiellement l'autorité parentale et qu'ils subviennent effectivement à
ses besoins.


Commentaire :

Jeunes entrés avant l'âge de 10 ans : La loi du 24 août 1993 a supprimé le
cas de délivrance de plein droit de la carte de résident aux enfants entrés
avant l'âge de 10 ans. Elle prévoit la délivrance d'une carte d'un an aux
seuls jeunes entrés en France avant l'âge de 6 ans. Cette modification a
multiplié les cas de jeunes entrés hors regroupement familial sans
possibilité d'obtenir un titre de séjour et qui peuvent aussi faire l'objet
d'une mesure d'éloignement à leur majorité. Le projet de loi ne revient pas
sur ces dispositions. Il se contente d'entrouvrir une porte pour les jeunes
entrés entre six et dix ans, qui pourront prétendre à une carte de séjour
temporaire à leur majorité s'ils justifient être dans l'impossibilité de
poursuivre toute vie familiale dans leur pays d'origine. Face aux
difficultés prévisibles pour renvoyer des jeunes majeurs qui auront vécu,
pour certains, pendant douze ans en France, le gouvernement se contente de
reprendre un des critères posés par la jurisprudence pour apprécier les
atteintes au droit de mener une vie familiale normale, au sens de l'article
8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

Résidence habituelle depuis plus de quinze ans : Il s'agit aussi d'un cas
de délivrance de plein droit d'une carte de résident qui a été supprimé par
la loi de 1993. Mais la protection prévue contre l'éloignement à
l'article 25 de l'ordonnance du novembre 1945 pour cette catégorie
d'étrangers n'a pas disparu. Il en résulte la création d'un cas
supplémentaire de personne à qui on refuse toute régularisation mais qu'il
n'est juridiquement pas possible d'éloigner du territoire. Le gouvernement
tente de mettre fin à cette aberration en ouvrant un droit à la carte de
séjour temporaire après 15 ans de séjour. Toutefois, on peut s'interroger
sur le sens d'une disposition qui consiste à délivrer une carte de séjour
temporaire, par définition susceptible de ne pas être renouvelée d'une
année sur l'autre, à des personnes présentes sur le territoire depuis si
longtemps, et que le droit protège de l'éloignement.

Les conjoints de Français : Sous le régime de la loi Pasqua, les conjoints
étrangers de Français reçoivent une carte de résident dès lors qu'ils sont
en situation régulière et qu'ils sont mariés depuis au moins un an. Pendant
la première année de mariage, ils bénéficient d'une carte de séjour
temporaire. Quant à ceux qui sont en situation irrégulière, ils ne sont
protégés contre une mesure d'éloignement qu'à l'issue de la première année
de mariage . Pour autant cette protection ne leur permet pas de régulariser
leur situation. Ils doivent nécessairement quitter le territoire pour
obtenir - ce qui n'est pas acquis d'avance - un visa dans leur pays
d'origine. Mais dans ce cas, ils peuvent difficilement prouver la
communauté de vie qui est exigée pour obtenir un titre de séjour.
Le projet Debré fait mine de régler le problème. Selon le nouveau texte,
les conjoints étrangers devront attendre un an après leur mariage avant de
pouvoir régulariser leur situation. Ils recevront alors une carte d'un an.
Mais pendant la première année de mariage, ils n'ont droit à rien. Ils sont
pourtant contraints de se maintenir sur le territoire français pendant
cette période sous peine de ne plus remplir la condition de communauté de
vie. Ainsi, ils n'ont plus qu'à vivre cachés en espérant passer au travers
des mailles du filet jusqu'au première anniversaire de mariage.
L'irrégularité du séjour devient un préalable obligé à la régularisation !
Si le projet Debré est adopté, on aura donc, d'un côté, les « bons »
conjoints de Français dotés d'une carte de résident ; de l'autre, les
« mauvais » conjoints de Français dotés d'une carte provisoire de séjour.
Tout semble décidément fait pour dissocier encore un peu plus la délivrance
d'une carte de résident et la notion de plein droit.

Les parents d'enfants français : Le projet de loi prévoit la délivrance
d'une carte de séjour temporaire pour les parents étrangers d'enfants
français qui, faute d'une entrée et/ou d'un séjour réguliers, ne peuvent
actuellement obtenir un titre de séjour alors même qu'ils sont protégés
contre l'éloignement. Trois circulaires avaient, en 1995 et en 1996, tenté
de bricoler une solution « humanitaire » à cette absurdité juridique. Le
projet Debré introduit le contenu de ces circulaires dans la loi. Cette
option entraîne l'attribution d'une carte provisoire de séjour à une partie
d'une catégorie d'étrangers qui, jusqu'à présent, recevait une carte de
résident.
Le glissement vers une précarisation généralisée du séjour des étrangers en
France est encore une fois manifeste. Comme pour les conjoints de Français,
il distingue les « bons » parents - ceux qui obtiendront d'emblée une carte
de résident - des « mauvais » parents - punis par la délivrance d'une carte
d'un an, en faisant mine d'ignorer qu'ils sont néanmoins tous des parents
d'enfants français. Le bon sens et l'objectif officiel d'intégration des
étrangers appelés à vivre durablement en France, en théorie toujours
d'actualité, ne résistent pas au souci, de toute évidence primordial, de
précariser la situation du maximum d'immigrés.
Le projet de loi ne reprend pas textuellement les dispositions de l'article
15 de l'ordonnance de 1945 en supprimant les conditions d'entrée et séjour
réguliers :
* les conditions d'exercice de l'autorité parentale et la
prise en charge des besoins effectifs de l'enfant ne sont plus alternatives
mais deviennent cumulatives. Cela constituera à n'en pas douter un obstacle
supplémentaire pour certains parents, surtout lorsque l'on sait de quelle
manière est interprétée l'exigence de subvenir aux besoins de l'enfant par
les préfectures : hors d'un versement de sommes d'argent, l'apport
affectif, la présence aux côtés de l'enfant ne comptent pas. Et comment
verser de l'argent quand on n'a pas le droit de travailler ?
* le droit à la carte de séjour temporaire pour les parents
n'est ouvert que jusqu'au seizième anniversaire de l'enfant. Cette
disposition est conçue pour empêcher la régularisation des parents des
jeunes qui, en vertu de la loi Méhaignerie, peuvent choisir de devenir
français entre seize et dix-huit ans par manifestation de volonté. Le
gouvernement ne souhaite pas qu'ils bénéficient du choix de leur enfant de
devenir français. On peut en conclure avec certitude que, loin de
disparaître, la catégorie des parents étrangers d'enfants français en
situation irrégulière va se perpétuer.

Remarque sur une version alternative du projet :

Dans un avant-projet daté du 9 septembre 1996, cet article comportait une
version alternative qui prévoyait que, en l'absence d'une entrée ou d'un
séjour régulier, les cinq premières catégories énumérées à l'article 15 de
l'ordonnance recevaient une carte de séjour temporaire s'ils pouvaient se
prévaloir du droit au respect de la vie familiale prévu à l'article 8 de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
Cette version non retenue dans l'actuel projet de loi visait les conjoints
de Français mariés depuis plus d'un an, les enfants étrangers de Français,
les parents d'enfants français, et les étrangers titulaires d'une rente
d'accident ou de maladie professionnelle ainsi que leurs ayants-droits. La
cinquième catégorie de l'article 15, les conjoints et les enfants entrés
par regroupement familial, ne pouvaient bénéficier de cette disposition
puisque, par définition, ils sont entrés et séjournent régulièrement sur le
territoire.
Cette option correspondait à l'insertion dans la loi de la jurisprudence du
Conseil d'État qui oblige l'administration, lorsqu'elle examine une demande
de délivrance de titre de séjour, à tenir compte des conséquences d'un
éventuel refus sur le droit de l'étranger au respect de sa vie familiale
garanti par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
La portée d'une telle disposition aurait donc été à peu près nulle.

(a suivre)

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