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Date: Mon, 23 Dec 1996 17:21:27 +0200
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Subject: [ZPAJOL] GISTI sur la loi Barrot

GISTI
Groupe d'information et de soutien des immigrés
3, villa Marcès, 75011 Paris
Tel 01 43 14 84 84 - Fax 01 43 14 60 69

Projet de loi relatif au renforcement
de la lutte contre le travail clandestin

Quand la bataille contre l'emploi illégal
sert de machine de guerre contre les étrangers


Le « projet de loi relatif au renforcement de la lutte contre le
travail clandestin » portait un autre nom jusqu'à son adoption, le 16
octobre 1996, par le conseil des ministres. Le ministre du travail, Jacques
Barrot, l'avait baptisé « projet de loi relatif au renforcement de la lutte
contre le travail illégal ». La modification de l'intitulé de ce texte par
le gouvernement n'a pas seulement une portée sémantique. Elle recèle une
intention politique. De toute évidence, elle vise à profiter de la
xénophobie ambiante pour laisser penser qu'il s'agit d'un nouveau moyen de
lutte contre les étrangers en situation irrégulière, les clandestins. Ce
dérapage a connu des précédents, par exemple la loi du 31 décembre 1991
« renforcant la lutte contre le travail clandestin et la lutte contre
l'organisation de l'entrée et du séjour irréguliers d'étrangers en France »
adoptée à l'initiative du ministre du travail de l'époque, Jean-Pierre
Soisson, au temps du gouvernement d'Edith Cresson.

En légitimant une nouvelle fois certains automatismes erronés de
pensée, selon lesquels « travail au noir » et clandestins iraient ensemble,
le gouvernement actuel encourage à son tour sciemment la xénophobie, que le
président de la République entend combattre par ailleurs, surtout dans le
filtrage à l'entrée des boîtes de nuit.

Cette étonnante contradiction se trouve renforcée par l'exportation
de l'article 3 du projet initial du ministre du travail - il permet à la
police de pénétrer dans les lieux de travail - dans le projet de loi
« portant diverses dispositions relatives à l'immigration » du ministre de
l'intérieur, Jean-Louis Debré. L'insertion de cette mesure (devenue
l'article 10) dans un dispositif de lutte contre l'immigration clandestine,
qui permet les opérations les plus spectaculaires de répression du travail
illégal, démultiplie l'effet xénophobe des deux projets de loi qui seront
discutés en décembre 1996 par le Parlement.

A cela s'ajoute, à la faveur du projet de loi contre l'immigration
clandestine (celui du ministre de l'intérieur), l'insertion dans l'article
8 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 d'une référence au nouvel article
78-2-1 du code de procédure pénale, qui permet aux officiers de police
judiciaire de demander son titre de séjour à l'étranger qui a fait l'objet
d'un contrôle d'identité sur son lieu de travail.

La boucle est ainsi bouclée. Le projet de loi contre le travail
illégal qui, par bien des aspects, permet opportunément d'engager avec
davantage d'efficacité la répression des employeurs de salariés non
déclarés, n'évite pas de frapper les étrangers. Il devient une nouvelle
machine de guerre en matière de répression de l'immigration. Bientôt fini
le temps où les Français d'origine étrangère, les Domiens, les étrangers en
situation régulière pouvaient s'estimer à l'abri des contrôles d'identité
une fois arrivés à leur travail.


Qu'est-ce que le travail clandestin ?

Le travail clandestin est une infraction avant tout économique.
Bien que généralement appelé « travail au noir », le travail clandestin
stricto sensu ne peut être reproché qu'à un travailleur indépendant ou à un
employeur. Jamais à un salarié. Tout salarié, même au courant et
consentant, est toujours considéré par la loi comme une victime du travail
clandestin : c'est l'employeur qui a des obligations de déclarations, pas
l'employé. Le salarié est tout au plus susceptible d'être coupable de
fraudes aux ASSEDIC ou aux prestations sociales (RMI, etc.). Il n'est
jamais fauteur de travail clandestin, même s'il travaille au noir.

Le travail clandestin n'a donc rien à voir, sur le plan juridique,
avec les étrangers sans papiers, dits également « clandestins ». La
nationalité, la régularité ou l'irrégularité du séjour n'y changent rien.

Comme les Français ou les étrangers en situation régulière, les
étrangers sans papiers ou sans autorisation de travail qui travaillent au
noir ne sont pas coupables, du point de vue juridique, de travail
clandestin, pour autant qu'ils soient salariés.

Les statistiques du ministère du travail, qui comptabilisent les
infractions de travail clandestin (ceux qui se font prendre) indiquent que
près de 90 % des affaires de ce type concernent des Français ou des
étrangers en règle.


Les changements

Définition (art. 1 du projet)

La définition du travail clandestin est modifiée. Jusqu'à présent,
cette définition est limitée aux activités exercées à but lucratif, et
comporte trois variantes :

- l'absence volontaire d'immatriculation au registre du commerce ou
au répertoire des métiers ;
- l'absence de déclaration aux organismes de protection sociale et
au fisc, ce qui vise les activités économiques qui n'ont pas à être
immatriculées au registre du commerce ou au répertoire des métiers (par
exemple, les professions libérales comme les comptables, le conseil, les
détectives privés) ;
- le camouflage d'emploi de salarié par l'omission des documents
prévus par le code du travail (registre du personnel, déclaration préalable
à l'embauche, bulletin de paie, livre de paie).

La modification du projet sépare cette définition en deux parties :

- les activités à but lucratif restent qualifiées de travail
clandestin dans les mêmes conditions que celles des deux premiers cas cités
ci-dessus ;
- le camouflage (la dissimulation, pour parler plus juridiquement)
d'emploi de salarié deviendrait du travail clandestin dans tous les
domaines d'activités, même à but non lucratif.

Cette évolution vise les formes d'activité qui ne s'avouent pas à
but lucratif (associations, fondations, etc.). Elles pourront être
poursuivies pour dissimulation de salariés beaucoup plus facilement, alors
qu'auparavant il fallait démontrer qu'elles étaient en réalité à but
lucratif, ou bien se contenter de poursuites pour de simples
contraventions. Il suffit de penser à la recherche sur le cancer pour
trouver des exemples d'associations pas très claires.


Clarification (art. 2 du projet)

La déclaration préalable à l'embauche était l'une des obligations
de l'employeur, dont l'omission pouvait être un élément de preuve du
travail clandestin. Mais cela ne se trouvait pas clairement exprimé, car
cette déclaration était visée indirectement, par le biais de l'article L
620 -3 du code du travail, qui contenait aussi - et depuis plus longtemps -
le registre du personnel.

Le projet clarifie donc la loi sur ce point.


Information des salariés (art. 3 du projet)

Le projet de loi prévoit que les salariés peuvent obtenir des
agents de contrôle autorisés à relever les infractions de travail
clandestin les informations sur la déclaration préalable à l'embauche que
leur employeur a accomplie.

Actuellement, les services de contrôle peuvent vérifier si cette
déclaration a été accomplie en interrogeant un serveur Minitel grâce à un
code secret. Mais rien ne les autorise à répondre à un salarié qui leur
demanderait si la déclaration a bien été faite. Le salarié ne peut donc pas
agir lui-même en justice s'il est employé de façon dissimulée.

Il pourra à l'avenir être renseigné, si la loi est votée. Et, dans
l'hypothèse où la déclaration n'aurait pas été faite, il peut aussi être
renseigné par les services de contrôle sur le point de savoir s'il a été
inscrit dans le registre du personnel. Il faudra pour cela que l'agent de
contrôle se rende dans l'entreprise pour se faire présenter le registre du
personnel. La loi ne lui impose pas un tel contrôle ; elle habilite
seulement l'agent de contrôle à renseigner le salarié.


Recherche active du travail clandestin (art. 4 et 5 du projet)

L'article L 324-12 du code du travail contient actuellement la
liste des services de contrôles qui peuvent relever par procès-verbal
l'infraction de travail clandestin.

La formulation de ce pouvoir est clarifiée, par l'ajout de la
possibilité pour ces services, de rechercher cette infraction. Certains
considéraient que, faute d'avoir explicitement inscrit ce mot dans la loi,
ils ne pouvaient verbaliser que s'ils trouvaient, par hasard, du travail
clandestin, mais qu'ils n'avaient pas à en chercher les éléments.

L'article 5 du projet inscrit en toutes lettres dans le « livre des
procédures fiscales » le pouvoir des « agents de la direction générale des
impôts » de « rechercher (...) les infractions » liées au travail
clandestin.


Habilitation des contrôleurs des transports terrestres (art. 4)

Autre modification de l'article 4 : à la liste des services
habilités à verbaliser le travail clandestin sont ajoutés les contrôleurs
des transports terrestres.

Ces contrôleurs vérifient la régularité de l'activité des
transporteurs, de marchandises et de personnes (déménagement, transport en
commun, tourisme, etc.) et constatent souvent des situations de travail
clandestin, assez fréquentes dans ces professions. Mais, jusqu'à présent,
ils n'étaient pas habilités à en dresser procès-verbaux ; ils pouvaient au
mieux faire un simple rapport.

Force probante de procès-verbaux (art. 4)

Même article : les procès-verbaux de tous les services de contrôle
qui peuvent relever l'infraction de travail clandestin auront la même force
probante, c'est-à-dire feront foi jusqu'à preuve contraire.

D'une façon générale, les procès-verbaux ont la valeur que leur
donne la loi. Cette valeur légale ne dépend pas du domaine des infractions,
mais du corps de fonctionnaires de contrôle. Ainsi, les policiers et les
gendarmes dressent des procès-verbaux qui n'ont pas par eux-mêmes valeur
probante, dès qu'il s'agit d'un délit. Cela veut dire que la personne
poursuivie peut nier la réalité des faits décrits dans le procès-verbal,
qui peut donc être contesté dans des conditions de relative facilité.

En revanche, les procès-verbaux des inspecteurs du travail et de
plusieurs autres corps de contrôle font foi jusqu'à preuve contraire. La
simple négation des faits qu'ils contiennent sans l'apport de la preuve de
leur erreur ou fausseté ne les invalide pas.

Quant aux procès-verbaux des douanes, ils font foi, dans certaines
conditions, jusqu'à inscription de faux, ce qui est plus difficile encore à
combattre que la foi jusqu'à preuve contraire.

Le projet de loi vise à donner la même force probante aux
procès-verbaux de tous les services ayant compétence sur le travail
clandestin. Cette innovation concernerait positivement surtout police et
gendarmerie. Et cela réduit la valeur des PV des douanes.

Cette différenciation dans la force probante des PV de ces services
selon la matière, en commençant par le travail clandestin, est une
innovation qui rompt avec la logique antérieure (force des PV selon les
corps de contrôle, et non selon le sujet, la seule distinction existante
distinguant entre contraventions et délits). On peut se demander si cette
mesure ne va pas encourager une extension de la force probante à tous les
PV de police et de gendarmerie. Et si ce serait une bonne chose...


Présentation de documents (art. 4)

Le même article 4 prévoit la possibilité pour tous les services de
contrôle compétents en matière de travail clandestin de se faire présenter
divers documents :

- justificatifs de l'immatriculation, des déclarations sociales et
fiscales, des documents prévus par le code du travail pour l'emploi de
salariés (déclaration préalable à l'embauche, registre du personnel,
bulletin de paie et livre de paie) ;
- justificatifs du respect de l'obligation de vigilance, qui impose
à chacun lorsqu'il passe un contrat pour au moins 20 000 F, de s'assurer
que le fournisseur ou le prestataire est lui-même dûment immatriculé,
déclaré, etc.
- justificatifs commerciaux (devis, bons de commande, factures,
contrats) relatifs à toute activité effectuée clandestinement.

S'il s'agit grosso modo d'égaliser les moyens de contrôle de tous
les services et notamment de permettre aux inspecteurs du travail d'accéder
à des documents qui ne leur sont pas actuellement accessibles, on peut
s'étonner que les justificatifs commerciaux qu'ils peuvent exiger soient
ceux concernant les activités clandestines : il faut d'abord soupçonner
qu'il y a du travail clandestin et le rechercher avant de pouvoir vérifier
les documents qui le concernent ! Cela vise probablement surtout les
vérifications croisées : une entreprise fait du travail clandestin, et on
vérifie, chez ses clients et fournisseurs, la teneur de son activité.


Audition du personnel (art. 4)

Les services de contrôle de l'Union pour le recouvrement de
sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF), de la Mutualité
sociale agricole (MSA) et des impôts seront « habilités », selon le projet
de loi, « à procéder à l'audition, sur place ou sur convocation et avec son
consentement, de toute personne rémunérée par l'employeur ou par un
travailleur indépendant ».

Récemment, une poursuite pour travail clandestin a été annulée par
les tribunaux, parce que l'inspecteur de l'URSSAF avait interrogé un
salarié à son domicile. Or le texte définissant ses pouvoirs ne le prévoit
pas. Du coup, le projet de loi confère ce pouvoir d'auditionner les
salariés en dehors de l'entreprise.

Du fait de la rédaction de ce texte s'il était adopté en l'état, on
peut se demander ce qui se passerait pour les anciens salariés qui ne sont
plus rémunérés au moment du contrôle, et surtout pour les personnes
employées, éventuellement au noir, que l'employeur ne paye même pas !


Renseignements auprès des organismes sociaux (art. 6 du projet)

Le projet de loi prévoit que les services chargés de la recherche
du travail clandestin pourront obtenir des organismes de protection sociale
et des caisses de congés payés toutes les informations utiles à leur
mission. Ces services pourront aussi fournir à ces organismes les
renseignements et documents leur permettant de recouvrer les sommes
impayées ou de se faire rembourser les versements indus.

Les organismes de protection sociales sont variés : chômage,
retraite complémentaire, etc.

Les caisses de congés payés existent dans les professions où il est
fréquent de changer d'emploi, par la nature même du travail : bâtiment et
spectacle (ces caisses ont été créées après la loi de juin 1936 instituant
les congés payés pour les salariés).

Si l'on voit bien l'intérêt de faire savoir aux organismes de
protection sociale qu'une entreprise fonctionnait clandestinement, surtout
par dissimulation d'emploi de salariés, ce qui permet de récupérer les
cotisations sociales dues pour ces emplois, on voit moins bien en quoi ces
organismes peuvent aider à la mission de découverte du travail clandestin :
le fait de leur verser ou non les sommes dues pour les salariés ne
constitue pas un élément du travail clandestin.


Pouvoirs des douaniers (art. 7 du projet)

C'est le seul point du projet de loi qui concerne explicitement les
étrangers.

Les douaniers sont habilités par le projet de loi à relever
l'infraction d'emploi d'étrangers sans autorisation de travail. Ils ont
déjà de larges pouvoirs en matière de contrôles d'identité. On leur ajoute
un pouvoir de verbalisation supplémentaire.


Sanctions (art. 8 et 9 du projet)

Les sanctions sont renforcées par le projet de loi , sous deux
aspects :

- interdiction des droits civiques, civils et de famille, qui
frappe la personne (employeur) condamnée par un tribunal ;
- refus des aides publiques, à l'emploi ou à la formation
professionnelle, sur la base d'un procès-verbal, même s'il n'est pas - ou
pas encore - suivi d'une condamnation. C'est une sanction administrative,
pécuniaire, qui vise l'entreprise, selon un mécanisme qui existe déjà dans
d'autres domaines (telle la contribution spéciale, amende administrative
infligée à l'entreprise qui a employé un étranger sans autorisation de
travail, à partir du constat de la situation et indépendamment du jugement
pénal).


Prévention (art. 10 du projet)

Les entreprise candidates à un marché public devraient attester que
leur casier judiciaire ne contient aucune condamnation pour travail
clandestin ou pour emploi d'étrangers sans autorisation de travail.

Depuis l'entrée en vigueur du nouveau code pénal (1er mars 1994),
il est en effet possible de condamner une personne morale (société, par
exemple) pour certaines infractions, et notamment pour celles répertoriées
sous la notion de travail illégal (travail clandestin, emploi d'étrangers
sans autorisation de travail, prêt de main d'¦uvre illicite, marchandage).
Un casier judiciaire existe désormais pour les personnes morales.

Les entreprises qui postulent à un marché public doivent déjà
fournir les justificatifs de la légalité de leur existence. Mais le projet
va plus loin, puisqu'il permet aussi de tenir compte du passé, dans la
limite de cinq ans.


(fin)

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