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Date: Mon, 23 Dec 1996 17:34:09 +0200
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Subject: [ZPAJOL] GISTI sur la loi Debre (2/2)

Contre le droit des gens, les libertés et l'intégration (suite)

V. La suppression de la commission du séjour (article 5 du projet de loi)

Rappel des dispositions existantes. - Lorsque le préfet envisage de refuser
un titre de séjour à un étranger mentionné à l'article 15 (carte de
résident de plein droit) et/ou art. 25 (protection contre l'éloignement) de
l'ordonnance du 2 novembre 1945, il doit solliciter l'avis, émis à titre
consultatif, de la commission du séjour des étrangers. Cette commission est
composée de trois magistrats.

Selon le projet de loi :

La commission du séjour des étrangers est supprimée.


Commentaires :

Après avoir réduit la portée de son avis (il n'est plus impératif mais
seulement consultatif depuis la loi Pasqua) et limité les cas de sa
saisine, la mise à mort finale de cette commission est programmée par le
projet Debré. De toute évidence, elle gêne les préfets, même dans sa
version édulcorée, en accordant à des magistrats un droit de regard sur
leurs décisions de refus de séjour. Il s'agit d'une garantie de procédure
importante qui risque de disparaître.
Selon l'exposé des motifs, la suppression de la commission du séjour est le
corollaire de l'article 4 du projet de loi. Comme si la cote mal taillée
réservée aux étrangers présents en France depuis quinze ans, ainsi qu'aux
conjoints de Français et aux parents d'enfants français réglait la totalité
du contentieux relatif aux refus de séjour des catégories mentionnées aux
articles 15 et 25 de l'ordonnance. Rien n'est plus faux car, d'une part,
nous l'avons vu, l'article 4 du projet Debré ne mettra pas un point final
aux difficultés rencontrées par ces personnes qui ont de fortes attaches en
France et, d'autre part, les catégories énumérées aux articles 15 et 25 ne
se réduisent pas à ces trois cas.
Par ailleurs, la réglementation communautaire reconnaît aux ressortissants
de l'Union européenne le droit d'être entendus , sauf urgence, par une
autorité indépendante, différente de celle qualifiée pour prendre la
décision, en cas de refus de renouvellement du titre de séjour. La
commission du séjour permet de satisfaire à cette exigence. En la
supprimant, le projet de loi ne respecte plus les garanties procédurales
prévues par la directive européenne 64/221.


VI. Compétence des cours administratives d'appel (article 6 du projet)

Le projet Debré introduit au chapitre IV de l'article 22 bis de
l'ordonnance une référence aux nouvelles cours administratives d'appel
auprès desquelles les étrangers éloignables pourront former, à partir du
1er septembre 1999, le recours qu'ils forment actuellement devant le
Conseil d'état dans l'hypothèse où, en première instance, les tribunaux
administratifs ont confirmé la légalité des arrêtés préfectoraux de
reconduite à la frontière qui les frappent.


VII. Droit d'asile (article 7 de projet)

Rappel des dispositions existantes. - Un demandeur d'asile a droit au
séjour sur le territoire français pendant toute la durée d'instruction de
sa demande, d'abord devant l'OFPRA, puis devant la Commission des recours
des réfugiés. Tout au long de cette procédure, il lui est délivré un
récépissé de demande de titre de séjour, renouvelé de trois mois en trois
mois. Son passeport est conservé pendant l'instruction de sa demande par
l'OFPRA, et lui est restitué en cas de décision négative de l'Office. La
décision négative de la Commission des recours peut faire l'objet, de la
part du demandeur d'asile, d'un recours en cassation, mais sans que cette
initiative lui conserve son droit au séjour.
Toutefois, la préfecture peut refuser l'admission au séjour du demandeur
d'asile dans quatre cas :
1° si l'examen de la demande relève d'un autre État en vertu des
accords de Schengen ou de la Convention de Dublin. L'étranger n'est alors
pas autorisé à saisir l'OFPRA et peut être "remis" sans délai, et sans
recours suspensif, aux autorités du pays responsable ;
2° s'il est admissible dans un État autre dans lequel il peut
bénéficier d'une protection effective ;
3° si sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre
public ;
4° si la demande d'asile repose sur une fraude délibérée, ou
constitue une recours abusif aux procédures d'asile, ou a pour but de faire
obstacle à une mesure d'éloignement.
Dans ces quatre cas, l'étranger ne reçoit aucun titre de séjour ; il peut
se voir notifier une mesure d'éloignement et être placé en centre de
rétention. Il peut cependant saisir l'OFPRA de sa demande qui sera traitée
en urgence, et la mesure d'éloignement ne sera mise à exécution qu'après la
décision de l'OFPRA, mais avant une éventuelle décision de la Commission
des recours des réfugiés.

Selon le projet de loi :

La présentation de plusieurs demandes d'admission au séjour au titre de
l'asile sous des identités différentes constituerait un recours abusif à la
procédure d'asile.

Commentaire

Cette disposition brouille un peu plus les contours des notions « de fraude
délibérée » et « recours abusif » en matière de demande d'asile introduite
par la loi Pasqua. La circulaire du 8 février 1994 qualifie les demandes
d'asile multiples sous plusieurs identités de « fraudes délibérées ». Le
projet de loi précise maintenant qu'il s'agit de « recours abusifs à la
procédure d'asile ». Tout cela démontre bien que des notions aussi floues
permettent à l'administration de faire à peu près n'importe quoi.

VIII. Rétention administrative (article 8 du projet)

Rappel des dispositions existantes. - Lorsqu'un étranger doit être éloigné
du territoire, il peut, pendant le temps nécessaire à son départ, être
maintenu par décision du préfet dans des « locaux ne relevant pas de
l'administration pénitentiaire » (art. 35 bis de l'ordonnance). Cette
rétention peut durer, dans un premier temps, 24 heures. Elle n'est
prolongeable que par jugement du TGI, pour une durée de six jours, puis, en
cas d'« urgence absolue et de menace d'une particulière gravité pour
l'ordre public » ou si l'étranger ne présente pas les documents de voyages
nécessaires, la rétention peut être encore prolongée par le juge pour une
nouvelle période de 72 heures (soit au total 10 jours).
Les décisions de prolongation de la rétention sont susceptibles d'appel
devant un magistrat de la cour d'appel qui doit statuer dans un délai de 48
heures. Le droit d'appel appartient à l'intéressé, au ministère public et
au représentant de l'Etat dans le département ; ce recours n'est pas
suspensif.


Dans le projet :

* Le préfet pourrait placer en rétention un étranger sous le coup d'une
mesure d'éloignement pendant 48 heures (au lieu de 24 heures actuellement)
avant qu'il soit présenté à un magistrat du tribunal de grande instance
pour une éventuelle prolongation de ce délai. Du coup, la prolongation de
la rétention potentiellement fixée par ce magistrat passerait de six à cinq
jours, le total étant donc inchangé.

* Le recours en appel contre toute décision judiciaire relative à la
rétention resterait non suspensif. Toutefois, le projet Debré prévoit que
le juge de la Cour d'appel peut conférer un caractère suspensif à cet appel
quand il est formé par le ministère public et seulement par lui. L'étranger
serait alors maintenu en rétention jusqu'au moment où le magistrat de la
cour d'appel statuerait. Ce « maintien à la disposition de la justice », en
dépit du fait que le juge de première instance aurait libéré l'étranger,
serait pris sans délai sur la seule base des pièces contenues dans le
dossier.

* L'étranger pourrait être à nouveau placé en rétention dans les sept jours
suivant la fin d'une précédente rétention si la mesure d'éloignement
n'avait pu être exécutée.


Commentaire :

La modification de la durée des différentes phases de la rétention et le
retard de 24 heures de l'intervention du juge judiciaire sont un « choix
contraint », ainsi que le précise l'exposé des motifs. Faute de pouvoir
augmenter la durée totale de la rétention (10 jours) en raison des limites
fixées en la matière par le Conseil constitutionnel, le projet de loi
s'attache dans un premier temps à retarder et à limiter les effets de
l'intervention du juge judiciaire dans la procédure ; et, dans un second
temps, à permettre le renouvellement de plusieurs périodes de rétention en
exécution d'une même mesure d'éloignement.
Le but avoué de ces modifications étant de « rendre plus efficace le
dispositif d'éloignement des étrangers », il faut en déduire que, selon
l'administration, l'intervention du juge au bout des premières 24heures et
les garanties qu'elle représente en termes de protection des libertés
individuelles, nuisent à l'efficacité du dispositif. Cette approche très
contestable de la question est sûrement à mettre en relation avec la
récente décision de la Cour de cassation du 22 mai 1996 (M. Onder) qui
reconnaît au juge de la rétention la possibilité, en tant que gardien de la
liberté individuelle, de se prononcer sur les conditions d'interpellation
de l'étranger placé en rétention et de le libérer en cas d'irrégularité de
la procédure. De plus, en mettant fin à la concordance de durée entre la
présentation des personnes éloignables au juge judiciaire de la rétention
et le délai de recours devant le juge administratif contre les arrêtés de
reconduite à la frontière, cette disposition supprime la possibilité pour
les étrangers de former un recours contre l'arrêté de reconduite à la
frontière au cours de l'audience du 35 bis - situation fréquente - , en
bénéficiant éventuellement de l'aide d'un avocat.
La possibilité de replacer plusieurs fois en rétention un étranger pour
l'exécution d'une seule et même mesure d'éloignement a pour objet de
neutraliser une autre décision de la Cour de cassation (28 février 1996,
Rasmi) qui a estimé qu'une mesure d'éloignement ne peut permettre qu'un
seul placement de sept jours en rétention.
Quant à la reconnaissance de l'effet suspensif d'une décision judiciaire de
libération de la rétention au seul ministère public, elle déséquilibre
totalement la procédure au dépend de l'étranger retenu. Jugé libérable en
première instance, un étranger sous le coup d'une mesure d'éloignement
restera en rétention si l'administration espère que le juge d'appel sera
plus sensible à ses arguments que son collègue de première instance.

IX Rétention judiciaire (article 8 du projet)

Rappel des dispositions existantes. - La loi du 30 décembre 1993 a inséré
dans le code pénal et le code de procédure pénale des dispositions qui
prévoient, lorsque l'étranger ne présente pas les documents de voyage
permettant l'exécution d'une mesure d'éloignement du territoire ou ne
communique pas les renseignements permettant cette exécution - ce qui
constitue un délit aux termes de l'article 27 al. 2 de l'ordonnance, -, que
le juge peut ajourner le prononcé de la peine et placer l'intéressé sous le
régime de la « rétention judiciaire » pendant un délai de trois mois en lui
enjoignant de communiquer les documents requis.

Selon le projet de loi :

L'étranger dépourvu des documents de voyage permettant l'exécution d'une
mesure d'éloignement et coupable de l'infraction prévue à l'article 19 de
l'ordonnance (entrée ou séjour irrégulier qui peuvent être punis d'un an de
prison, 25 000F d'amende et d'une interdiction du territoire de trois ans
maximum) pourrait être placé en rétention judiciaire.

Commentaire :

A défaut de pouvoir augmenter la durée de la rétention administrative, le
gouvernement envisage d'étendre les possibilités de placer les étrangers
dépourvus de titre de séjour en rétention judiciaire. Il ne s'agirait plus
de retenir seulement l'étranger qui refuse de remettre à l'administration
les documents de voyage permettant l'exécution de la mesure d'éloignement
prononcée à son encontre ou de communiquer les renseignements permettant
cette exécution, mais de retenir aussi celui qui est dépourvu de documents
de voyage. L'intention de faire obstacle à l'exécution de la mesure
d'éloignement ne serait plus nécessaire, il suffirait seulement d'être en
situation irrégulière et de ne pas pouvoir matériellement présenter un
passeport, ce qui peut être le cas notamment des demandeurs d'asile
déboutés qui ont fui rapidement leur pays, pour faire l'objet d'une mesure
de rétention judiciaire.


X. Contrôles d'identité et de la régularité du séjour sur les lieux de
travail (article 2 et 10 du projet de loi)

Rappel des dispositions existantes. - Les officiers de police judiciaires
et, sur ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, les agents de police
peuvent contrôler l'identité de toute personne à l'égard de laquelle existe
un indice faisant présumer :
- qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction ;
- ou qu'elle se prépare à commettre un crime ou un délit ;
- ou qu'elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à
l'enquête en cas de crime ou de délit ;
- ou qu'elle fait l'objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaires.
Sur réquisitions du procureur de la République, l'identité de toute
personne peut être également contrôlée dans les lieux et pour une période
de temps déterminée par ce magistrat.
Quel que soit le comportement de la personne, un contrôle d'identité peut
être effectué pour prévenir une atteinte à l'ordre public, notamment à la
sécurité des personnes ou des biens.
Dans le cadre de ces contrôles d'identité, les étrangers sont tenus de
présenter leur titre de séjour.


Selon le projet :

Les deux articles du projet de loi se combinent entre eux :

L'article 10 crée un nouvel article 78-2-1 dans le code de procédure
pénale. Cet article autorise les fonctionnaires de police, sur réquisition
du procureur de la République, à effectuer des contrôles d'identité dans
des lieux à usage professionnel, sauf s'ils constituent un domicile, de
toute personne y exerçant une activité en vue de vérifier qu'elles sont
inscrites sur le registre unique du personnel et que les déclarations
préalables à l'embauche les concernant ont été effectuées.

L'article 2 insère dans l'article 8 de l'ordonnance la référence au
nouvelle article 78-2-1 du code de procédure pénale. Ce qui permet aux
officiers de police judiciaire de demander le titre de séjour à l'étranger
qui a fait l'objet d'un contrôle d'identité sur son lieu de travail


Commentaire :

Pour l'instant seuls les inspecteurs du travail peuvent effectuer des
contrôles sur les lieux à usage professionnel. L'attribution de nouvelles
compétence en la matière aux officiers de police judiciaire risque de
renverser les priorités en matière de lutte contre le travail illégal. Le
glissement sémantique opéré par le gouvernement constitue un premier indice
: dans l'intitulé de la loi, on est passé "du travail illégal" au "travail
clandestin". Ce n'est pas par hasard si la notion de clandestinité,
qualifiant essentiellement pour l'opinion publique la situation des
étrangers sans titre de séjour, a été choisi de préférence à la notion
d'illégalité qui renvoie seulement au non-respect des règles du code du
travail. De même, le fait d'insérer cette disposition dans un "projet de
loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration" après l'avoir
retirée du "projet de loi relatif au renforcement de la lutte contre le
travail illégale" n'est pas anodin.
Cette présomption est fortement renforcée par le fait que l'article 2 du
projet de loi introduisant le nouvel article 78-2-1 du code de procédure
pénale sous l'article 8 de l'ordonnance permettrait aux officiers de police
judiciaire de vérifier la régularité du séjour d'un étranger à l'occasion
de ces contrôles d'identité.
Ainsi que le précise (Le Monde du 24 septembre 1996) l'association
Villermé, qui regroupe des inspecteurs du travail, on risque "d'assimiler
la victime et le coupable", c'est-à-dire de poursuivre en priorité
l'étranger sans papiers qui se fait exploiter au lieu de rechercher la
responsabilité du véritable donneur d'ordres qui l'exploite.

décision du Conseil constitutionnel du 14 octobre 1996


Le gouvernement a saisi le Conseil constitutionnel pour savoir si les
dispositions de l'ordonnance désignant les autorités administratives
habilitées à prononcer des arrêtés d'expulsion en application de l'article
23 - en l'occurrence le ministre de l'intérieur - relèvent du domaine
réglementaire.
Le Conseil constitutionnel a répondu par l'affirmative à cette question
dans sa décision du 14 octobre 1996. Cette décision va permettre de
transférer aux préfets, par décret, le pouvoir de prononcer des arrêtés
d'expulsion à l'encontre des étrangers qui constituent une menace grave
pour l'ordre public, le ministre de l'intérieur restant compétent pour
l'expulsion en urgence absolue ou constituant une nécessité impérieuse pour
la sûreté de l'État ou la sécurité publique.


Commentaire :

Le prononcé d'un arrêté d'expulsion repose sur une appréciation de la
notion de trouble grave à l'ordre public. En l'absence d'une définition
législative précise de cette notion, le ministre de l'intérieur dispose
d'un large pouvoir discrétionnaire pour apprécier si le comportement d'un
étranger constitue effectivement une menace grave pour l'ordre public
justifiant une mesure d'expulsion. L'émiettement de ce pouvoir dans les
mains de chaque préfet risque de générer de fortes disparités d'un
département à l'autre. En raison de la gravité de cette mesure qui entraîne
non seulement l'éloignement du territoire mais aussi l'impossibilité d'y
revenir avant qu'elle ne soit rapportée, il ne serait pas acceptable que la
même règle soit interprétée différemment selon l'endroit du territoire où
l'arrêté d'expulsion a été pris. Les risques d'arbitraire administratif
sont d'autant plus importants que, depuis la loi Pasqua, la commission
d'expulsion n'est plus en mesure d'imposer ses avis lorsqu'elle estime
qu'il n'y a pas lieu de prononcer l'expulsion.
A noter que, comme pour les charters, les DOM ont servi de laboratoire à
cette innovation (art. 25 al. 3 de l'ord. du 2/11/1945), même si les
préfets de ces départements n'en font pas fait un usage immodéré. Il n'en
sera pas nécessairement de même en métropole.
On peut enfin s'interroger sur l'opportunité - voire sur la légalité - de
conférer un pouvoir d'expulsion aux préfets dans la mesure où, à la
différence des arrêtés de reconduite à la frontière, il s'agit d'une mesure
inscrite dans le casier judiciaire des victimes et qui, de ce fait,
s'apparente à une condamnation pénale.


14 novembre 1996

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