les collectifs citoyens de Paris

L'immigration dans la société française,
un argumentaire

mars 2000

 
 

 

Préface
Sur les collectifs citoyens de Paris

Ce texte s'adresse à tous ceux pour qui la citoyenneté est plus qu'un mot : un droit à faire vivre, un agir ensemble à réinventer dans chaque situation nouvelle. Il a été rédigé par un ensemble de collectifs citoyens de Paris. Collectifs où se retrouvent Français et étrangers, militants associatifs, syndicaux ou politiques et simples citoyens engagés. Au delà de leur diversité, ils portent des convictions communes :

Nous refusons le cynisme de tous ceux qui accusent les pauvres d'être responsables de leur propre misère.

S'il faut rappeler ces vérités premières, c'est sans doute que les partis institutionnels et de larges secteurs de l'État se servent des étrangers comme boucs émissaires en vue d'empêcher les citoyens de ce pays d'identifier clairement les responsabilités dans la montée du chômage et dans les ravages de la précarité.

Même si la solidarité concrète, de terrain avec les sans papiers a absorbé une bonne part de notre énergie depuis des mois, nos collectifs ne se sont pas créés exclusivement pour lutter contre la xénophobie et aux côtés des « sans papiers », mais bien pour faire émerger une citoyenneté ouverte à tous et active à l'échelle locale. Ainsi certains d'entre nous luttent actuellement pour obtenir des locaux associatifs et pour la mise en place de conseils de quartier.

 

 

Introduction
Appréhender le réel pour fonder une politique

Une politique se fonde sur des valeurs et une représentation du réel. Les forces politiques qui se réclament de la démocratie affichent explicitement des valeurs semblables, telles la liberté et la justice. Cependant, les constructions du réel véhiculées par les unes et les autres trahissent l'acceptation de valeurs implicites fort différents, contradictoires avec celles revendiquées.

Ceci montre l'importance du travail de dévoilement auquel nous voulons contribuer ici, en rappelant quelques données objectives et en déconstruisant les discours dominants.

C'est ainsi que nous tenterons de donner une approche plus fidèle de la réalité des phénomènes migratoires et de leurs causes, des dynamiques de développement et des questionnements induits sur les politiques de coopération et sur l'évolution du droit des étrangers. Nous démonterons quelques discours fantasmatiques, de « la pression migratoire » exercée par « la misère du monde » aux violences des « sauvageons » - saluons au passage le retour lexical à l'ordre colonial - en passant par l'aide au retour, cet euphémisme du rejet et du mépris. Nous jetterons enfin un coup de projecteur sur l'actualité du droit d'asile et de la régularisation des étrangers dits « sans-papiers », avant de plaider pour une refonte de la politique d'immigration.

Sa mise en oeuvre, la diffusion préalable des éléments qui permettront de la fonder nécessitent une remise en cause de l'ordre existant et passent par une mobilisation citoyenne : la votre. Nous espérons y aider.

 

 

Sur l'immigration et ses causes

De la haute Antiquité jusqu'à nos jours, les migrations ont joué un rôle considérable. Il y a mille ans, la région de Berlin, qui n'était pas encore l'Allemagne, était un territoire occupé par les Slaves. Les Maures régnaient sur la plus grande partie de la péninsule Ibérique. L'Inde ne connaissait pas la domination musulmane et sa culture religieuse rayonnait jusqu'à Java. Migration par conquête ou migration de fuite, les migrations de masse ont été essentiellement la résultante de conjonctions de déstabilisations politiques et de guerres. C'est toujours le cas en cette fin de 20ème siècle comme les conflits en ex-Yougoslavie ou dans la région des Grands Lacs africains le montrent. Pourtant, on entend souvent dire que la raison principale, voire unique des migrations serait de fuir la misère pour aller chercher dans un pays « riche » des conditions de vie meilleures. Sans vouloir en nier l'importance, cette motivation n'a certainement pas la place centrale qu'on lui prête si facilement. Les raisons qui conduisent aux migrations et les migrations elles-mêmes sont en fait multiples.

Personne ne quitte son pays par plaisir

C'est un déchirement pour celui qui quitte son conjoint, ses enfants et ses parents, ses amis, sa terre natale, son village et ses coutumes. S'il s'agissait d'une décision anodine, c'est par dizaines de millions que les ressortissants des pays dits du tiers-monde se retrouveraient dans les pays très industrialisés, ce qui n'est pas le cas. Lorsque la sécheresse toucha durement les pays du Sahel dans les années 70, il n'y a pas eu d'émigration massive vers la France, alors même que les ressortissants du Tchad, du Niger, du Mali et du Burkina Faso (Haute-Volta à l'époqu) bénéficiaient de la libre circulation.

Des raisons culturelles peuvent induire des migrations qui s'inscrivent alors dans une tradition collective : c'est le cas des Soninkés (Sénégalais et Maliens) alors que les habitants du Burkina Faso émigrent très peu vers les pays occidentaux, même si ce pays est plus pauvre. La poursuite d'études supérieures, la volonté d'accéder à une qualification sont aussi des motifs importants d'émigration, y compris pour les Français.

Les principaux pays d'accueil sont des pays pauvres

Par ailleurs, lorsque la pauvreté endémique et la destruction de l'environnement (concentration urbaine excessive, mutations technologiques couplées à des atteintes directes portées aux milieux naturels) se conjuguent pour pousser hommes et femmes à quitter leur lieu de vie, la migration se fait prioritairement au sein du même territoire national, puis dans les pays limitrophes, laissant les pays riches à l'écart. Les chiffres sur l'immigration mondiale évaluent à 80 millions le nombre de personnes vivant dans un pays autre que celui où elles sont nées (source : ILO, Europa Yearbook, IDC). 20 millions d'entre elles sont des réfugiés reconnus par le HCR (Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés), dont la plupart vivent en Afrique et en Asie. De plus, l'Europe n'est pas le « centre du monde » mais constitue un pôle de développement et d'attraction parmi d'autres tels l'Australie, le Japon ou l'Amérique du Nord.

La fermeture des frontières : obstacle pour les émigrés, bonheur pour les passeurs

Si émigrer est difficile, c'est aussi parce que c'est une opération coûteuse et particulièrement risquée. Depuis le début des années 1970, les pays riches ont considérablement diminué « l'accueil » des étrangers, si bien que ceux qui veulent émigrer sont le plus souvent obligés de venir illégalement (pour un paysan ou un ouvrier du tiers monde, un visa de touriste est quasiment impossible à obtenir) et de s'installer dans les pires conditions, là où une politique ouverte aurait permis des va et vient avec le pays d'origine. Cela implique de prendre des risques considérables et de dépenser des sommes folles au profit des passeurs et autres trafiquants de main d'oeuvre. Bénéficiant de la complicité bienveillante de certains fonctionnaires, ceux-ci jouent d'ailleurs un rôle déterminant dans les émigrations chinoise (passeurs) et européenne (trafiquants de main d'oeuvre) notamment. Pour les migrants, les risques consistent par exemple à s'embarquer en clandestins dans des bateaux, dans des containers, dans des camions. Parfois les passeurs les jettent à la mer à l'approche de la police et on a retrouvé des passagers clandestins morts de déshydratation ou d'asphyxie. Chaque année, des Africains, embarqués sur des bateaux de fortune dans le détroit de Gibraltar et des Albanais, en route vers l'Italie à travers la mer Adriatique, se noient. C'est un des grands scandales de cette fin de siècle. Opération risquée enfin, car nombre des candidats à l'émigration connaissent les difficultés économiques durables que traversent les pays dit développés.

A la lecture des chiffres de l'immigration concernant la France pour l'année 1995 (INSEE) et malgré le contrôle et donc la sélection exercée aux frontières, on peut se faire une idée de la diversité des motifs de l'immigration. Sur 50000 personnes ayant obtenu un titre de séjour d'au moins un an, 63 % sont venues pour des raisons familiales (principalement pour regroupement familial), 9 % ont obtenu le statut de réfugié, environ 2 % sont venues pour études et 26 % pour travailler.

Une chance pour le développement

Les motifs des migrations sont donc bien multiples et rarement réductibles à une explication simple. Quant à la question des motifs économiques de l'immigration, elle ne pourra trouver de solution que dans un développement socialement et environnementalement durable mené à l'échelle mondiale. Dans cette optique et à la suite des associations luttant pour une réelle solidarité internationale, il nous semble que la liberté d'aller et de venir est seule susceptible de favoriser un développement simultané des pays riches et pauvres. C'est la liberté de se déplacer qui facilitera une vie commune des populations immigrées ou pas, dans le respect des caractéristiques propres de chacune et dans l'échange. Une dynamique commune de développement ne s'enclenchera pas sans une politique d'immigration ouverte des pays dits riches. Ne serait ce que parce que les transferts financiers (mais ce ne sont bien sûr pas les seuls échanges induits par l'immigration, loin s'en faut) dus au travail des émigrés sont beaucoup plus importants et efficaces que l'aide publique consacrée au développement.

 

 

L'immigration et l'économie française

La France, un pays d'immigration ancienne

On entend souvent que la France serait envahie par les immigrés. C'est oublier un peu vite que la France est un pays d'immigration ancienne, en raison de la faiblesse de sa fécondité. En se limitant au 20ème siècle, la France a réquisitionné les immigrés et les colonisés quand il s'agissait de défendre le pays en temps de guerre (tirailleurs sénégalais et autres) et a encouragé l'immigration pour le reconstruire sitôt la paix venue (Italiens, Espagnols, Polonais, Algériens...). C'est l'apparition de classes creuses, après la saignée de chaque guerre mondiale, qui a nécessité l'appel à une main-d'oeuvre étrangère. La part des immigrés (français et étrangers) dans la population totale a ainsi atteint 7% en 1931, a ensuite baissé, puis a retrouvé ce niveau en 1968 pour s'y stabiliser. Il n'y a donc pas d' » invasion », puisque le nombre d'immigrés progresse au même rythme que la population française. Les chiffres de l'INSEE témoignent de plus de l'insertion des immigrés, puisque 30% d'entre eux sont devenus Français (source : INSEE Première, juin 1996). Au total, la part de l'apport global de l'immigration dans la population française depuis 1900 est de 12 millions de personnes (source : rapport du Haut Conseil à l'Intégration, 1992). Parmi les personnes nées en France, une sur cinq a au moins un parent ou un grand-parent immigré. Quant aux étrangers (immigrés ou nés en France), ils représentent 6,3% de la population totale en 1996 (source : OCDE) et leur part dans la population active décroît depuis 20 ans.

Est immigrée toute personne née à l'étranger et vivant en France ; une personne immigrée peut-être de nationalité Française ou pas.

Est étrangère toute personne de nationalité étrangère.

Les immigrés, premières victimes du chômage

Venus en France dans l'espoir de trouver une source de revenus inexistante dans leur pays d'origine, les travailleurs étrangers n'ont souvent pas d'autre solution que d'endurer des conditions de travail excessivement difficiles et ont rarement les moyens de discuter leur rémunération. Ils sont ainsi fragilisés sur le marché de l'emploi. Si leur part dans la population active totale est d'environ 7%, ils représentent 13% des intérimaires : ils occupent souvent des emplois peu qualifiés, travaillent dans des secteurs économiques ayant fait l'objet de restructurations (automobile, métallurgie) ou sensibles à la conjoncture (BTP). Ce sont les premières victimes des vagues de licenciement, des plans sociaux et de la flexibilité. Par ailleurs, le caractère pénible et parfois dangereux de certains emplois occupés par les étrangers (ils sont par exemple sur-représentés parmi les travailleurs dans le nucléaire) explique la surmortalité qui les frappe et fait qu'on trouve parmi eux 13% des accidentés du travail.

A qualification équivalente, les jeunes issus de l'immigration sont victimes d'une discrimination raciale et ils doivent faire face à un taux de chômage plus élevé que celui des jeunes français dans leur ensemble (source : Eurostat, Enquête communautaire sur les sources de travail). Un racisme à l'embauche vient donc s'ajouter aux inégalités sociales qui les frappent massivement.

Contrairement à une idée répandue, le lien immigration-chômage n'a jamais été prouvé. Un contre-exemple frappant de cette idée reçue vient des États-Unis, qui ont accueilli depuis 10 ans près de 10 millions de migrants et où pourtant le taux de chômage est bas. Un rapport de l'OCDE (Tendances des migrations internationales, 1994) montre l'absence de relation de cause à effet entre immigration et chômage. Au contraire, il existe un lien de complémentarité entre la main-d'oeuvre nationale et étrangère. Ces deux populations sont peu substituables car les étrangers occupent des emplois pénibles que les Français refusent. De plus, les travailleurs étrangers clandestins forment un volant de main-d'oeuvre qui permet de maintenir des salaires extrêmement faibles et jouent un rôle de tampon sur le marché du travail, en permettant un ajustement entre offre et demande de travail.

Les immigrés créent des emplois

Non seulement les immigrés ne « prennent pas le travail des Français », mais ils créent des emplois : travailleurs, ils sont aussi des consommateurs dont la présence est une source de débouchés. A ceux qui pensent qu'un immigré de moins, c'est un travail de plus pour les Français, on conseillera de se souvenir de l'exemple de Montbéliard, où Peugeot licencia près de 1600 étrangers. Avec leurs familles, ce furent plus de 6000 étrangers qui partirent. Le petit commerce a perdu 10% de son chiffre d'affaires, la grande surface locale près de 20%, ce qui a entraîné des licenciements, des fermetures de classes, etc.

Travail illégal : les employeurs coupables

Un amalgame très répandu réduit délibérément le travail « clandestin » à l'immigration illégale. Or les chiffres de la MILUTMO (mission interministérielle de lutte contre l'emploi clandestin) indiquent qu'en 1994, l'écrasante majorité (plus de 90%) des infractions au Code du travail pour ce motif fut le fait de Français. Alors que les immigrés et en particulier les immigrés clandestins, sont les premières victimes de la course à la productivité et au coût social le plus faible possible, le discours ambiant les désigne comme fautifs, quand les seuls coupables sont les donneurs d'ordre sans scrupules. Les gouvernements, quels qu'ils soient, font grand cas du nombre d'immigrés clandestins arrêtés, mais restent beaucoup plus discrets sur le nombre d'employeurs poursuivis et pénalisés pour les employer illégalement. L'absence de volonté politique réelle entraîne un manque criant d'inspecteurs du travail pourvus de consignes claires. Le développement de la sous-traitance, consécutif à la généralisation du travail à flux tendu, contribue vivement au travail illégal. Nombre de grandes entreprises françaises y ont ainsi indirectement recours : il n'y aurait pas de travailleurs illégaux s'il n'y avait pas d'employeurs pour les employer. Les entreprises de BTP (et de fort connues...) ont été légion à faire appel au travail clandestin lors de la construction du Stade de France ou encore pour Eurotunnel. Il en va de même sur le chantier de Météor à Paris.

Transferts sociaux : les immigrés paient plus qu'ils ne perçoivent

Le discours sur l'immigration se polarise souvent autour de son coût, notamment en ce qui concerne les comptes sociaux. Comme tous les travailleurs, les immigrés cotisent à la Sécu. Jusqu'à la fin des années 70, c'était tout bénéfice pour les finances publiques, puisque de par sa structure démographique (jeunesse et meilleure santé relatives, taux de chômage quasi-nul), la population étrangère était moins exposée que la population française aux risques sociaux. Elle donnait plus qu'elle ne recevait. Maintenant, il semble que l'on se rapproche de l'équilibre : les travailleurs ont vieilli et les familles se sont agrandies, notamment par le regroupement familial (la fécondité des femmes immigrées ayant pour sa part très largement décru). Mais nombre d'éléments plaident en faveur d'une contribution nette positive des immigrés aux comptes sociaux.

Côté retraite, il s'agit d'une population plus jeune que la moyenne et souffrant d'une mortalité supérieure avant l'âge de la retraite (ce qui est lié à la pénibilité des conditions de travail). En ce qui concerne la maladie, un rapport de mission de la Direction de la population et des migrations (Ministère des affaires sociales) montre que les étrangers ont une moins bonne couverture sociale que les Français et vont moins souvent chez le médecin. Il y a d'ailleurs fort à parier qu'ils n'ont pas intérêt à tomber malade lorsqu'ils sont en situation de travail précaire. Pour ce qui est des prestations familiales, s'ils sont effectivement surreprésentés parmi les familles nombreuses et défavorisées, il ne faut pas oublier que plus de 75% des allocations versées aux étrangers concernent des enfants de nationalité française ou appelés à le devenir (source : Antoine Math, conseiller au bureau de la recherche de la Caisse Nationale d'Allocations Familiales (CNAF)). Enfin, le niveau des allocations perçues au titre du chômage est inférieur à la moyenne nationale, les emplois qu'ils occupent se situant souvent en bas de l'échelle des salaires. Ils perçoivent ainsi 10% des allocations chômage, alors qu'ils représentent 12% des chômeurs.

Vont-ils devenir une bénédiction ?

Une étude de l'INSEE montre que si la fécondité reste à son niveau actuel, la France souffrira d'une grave pénurie de main-d'oeuvre d'ici 10 ans, nécessitant de faire appel à 160 000 immigrants en moyenne par an jusqu'à 2030 pour stabiliser le niveau de la population active (alors que le solde migratoire actuel est de l'ordre de 50 000 entrées par an). Si l'objectif était de maintenir l'équilibre actifs/retraités, ce sont 600 000 personnes qu'il faudrait accueillir chaque année ...

« La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde »
étude d'un cas de paranoïa politique.

Un argument souvent opposé aux partisans de la régularisation des sans-papiers est que « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Cette affirmation suggère une situation où la France serait un îlot de bien-être soumis au danger d'une « pression migratoire » intense. L'étranger serait un envahisseur qui amènerait avec lui toute la misère du monde. Cette problématique fallacieuse est un des arguments majeurs de l'extrême droite.

L'immigration n'est pas un facteur de déstabilisation économique

Contrairement aux idées reçues, l'immigration de longue durée en France est très réduite depuis 20 ans. De plus, les étrangers présents en France constituent un apport économique positif et travaillent dans des secteurs où ils sont peu en concurrence avec les Français (voir le chapitre L'immigration dans l'économie française).

Le mythe de la « pression migratoire »

La « pression migratoire » est beaucoup moins importante qu'on ne le prétend car émigrer est une entreprise hasardeuse, très coûteuse financièrement et psychologiquement. Ainsi, l'ouverture des frontières des anciens pays communistes n'a pas engendré de mouvement migratoire important. De même, la famine qui a sévi au Sahel dans les années 70, alors que les frontières françaises étaient ouvertes, n'a pas entraîné d'immigration massive vers la France. L'a priori selon lequel les mouvements migratoires seraient polarisés des pays les plus pauvres vers les plus riches est d'ailleurs erroné. Par exemple, dans le cas du Mali, seul 2% des migrants sont installés en France. Les études sur les migrations montrent que la majorité d'entre elles se produisent des pays pauvres vers d'autres pays pauvres limitrophes.

Les migrants ne sont pas automatiquement les plus misérables

La logique qui voudrait que tous les miséreux de la planète soient candidats à l'immigration vers les pays riches est une illusion. En effet, ceux qui émigrent en France ne sont généralement pas les plus défavorisés du pays d'origine mais bien les plus dynamiques (journal Le Monde 20/1/99). De plus, la majorité des étrangers présents en France ne sont pas originaires des pays les plus pauvres. Ils proviennent surtout de pays ayant des liens historiques avec la France comme le Maroc ou l'Algérie ou bien de régions dont les peuples ont une tradition ancienne de migration comme les Soninkés (Mali). Ainsi, on constate que la population en provenance du Mali ou du Sénégal est plus importante que celle provenant de pays plus pauvres tels que le Burkina Faso ou la République de Centrafrique. Et ce, alors que jusqu'à une époque récente des conventions d'établissement facilitaient l'entrée en France pour certains de ces pays très défavorisés.

La banalisation politique de l'illusion du « danger migratoire »

Malgré l'absence totale de fondements rationnels, les notions de « danger migratoire » et de « maîtrise des flux migratoires » sont des dogmes politiques que personne n'ose remettre en question. Lors d'un discours, le 17 novembre 1998, Lionel Jospin utilisait ces arguments « indiscutables » et brandissait le risque d'un « appel d'air considérable » pour justifier le refus de la régularisation de tous les sans-papiers. Pour étayer son propos, il évoquait le cas de l'Italie qui, à l'annonce d'une régularisation massive, avait vu en quelques jours arriver 3000 sans-papiers à ses frontières. Au delà de l'excitation médiatique, l'analyse de cet événement ne fait que prouver l'absurdité du danger évoqué par M. Jospin, car seul un infime pourcentage des sans-papiers européens ont tenté le déplacement. Malgré la régularisation de 250 000 sans-papiers, l'Italie n'a pas été l'objet d'un afflux « considérable » en provenance des pays pauvres de la planète.

Les conséquences d'un discours dominant

L'accueil de « toute la misère du monde » est un fantasme qui déforme de façon grotesque les problèmes réels des sans-papiers qui ne représentent que 0,4 % de la population résidant en France (estimation de la police). En absence de statut publique, ils sont contraints au silence face à l'exploitation des employeurs clandestins, aux violences policières et aux abus d'une justice de plus en plus répressive (voir le chapitre Les étrangers face au droit). Loin de lutter contre la misère, la politique du soupçon et de la « fermeté » à l'égard des étrangers contribue à la précarisation qui s'étend désormais à l'ensemble des salariés. Enfin, loin de rompre avec l'idéologie du « danger migratoire », le gouvernement de Lionel Jospin, tout en modérant les propos de la droite française, a donné à ce concept une pseudo-rationnalité qui conforte la stigmatisation de l'étranger et légitime abusivement la pénalisation extrême du délit de « séjour irrégulier ». Aujourd'hui, alors qu'à bien des égards la situation est la même que sous les lois Pasqua-Debré, le dogme absolu du « danger migratoire » produit un puissant effet de censure contre toute dénonciation des discriminations, des injustices et des traitements dégradants dont sont victimes l'ensemble des immigrés de France.

L'aide au retour, une fausse bonne idée

La plus récente des « aides au retour » annoncée en direction de travailleurs sans papiers originaires de certains pays (Maroc, Mali, Mauritanie, Sénégal), fait état d'une volonté politique de participer au développement des pays d'origine.

Conçu comme un « contrat de réinsertion dans le pays d'origine » (C.R.P.O.) il proposerait aux sans papiers non régularisés qui s'engagent à quitter définitivement le territoire français une formation, un suivi, une aide financière et un visa à entrées multiples pour des séjours de courte durée en France. Aucune modalité concrète de mise en oeuvre n'a été précisée.

Par contre, l'expérience antérieure des « aides au retour » a montré depuis 1977, que :

  • ces aides n'ont intéressé que ceux dont le projet antérieur était de rentrer au pays ; elles n'ont ainsi concerné qu'une infime minorité d'immigrés ;

  • on ne transforme pas un individu en « chef de projet », en commençant par le rejeter, puis en prétendant l'aider individuellement à se réinstaller.

Dans le même temps, les études réalisées ont permis de confirmer l'apport financier continu et de plus en plus organisé des communautés d'étrangers vivant en France à leur région d'origine. Elles ont souligné le volume de ces apports et leur adéquation aux besoins locaux (ce qui est loin d'être le cas avec les coopérations d'État à État).

En fait, le co-développement, dans sa forme actuelle :

  • reste extérieur à toute réflexion (définition) d'une politique renouvelée de coopération et d'échanges,

  • repose d'abord sur l'obsession de mettre fin à l'entrée des étrangers en France, dans une ambiance générale de « rejet de l'étranger »,

  • ignore la complexité des phénomènes migratoires,

  • ne s'adresse au mieux qu'à quelques centaines d'individus...

Il s'inscrit essentiellement dans l'horizon borné d'un échéancier électoral et, de ce fait, au-delà des effets d'annonce, apparaît très vite comme l'alibi humanitaire d'une politique d'immigration avant tout répressive.

(sources : Monique Chemillier-Gendreau et Observatoire Permanent de la Coopération Française).

 

 

L'immigration pour renouveler la coopération

La France, plus de 30 ans après les indépendances, n'a toujours pas clarifié ses relations avec les peuples qui ont subi son colonialisme. Les mêmes, qui affirment sans ressentir de doute que la misère conduit à l'exil, ont prêté la main à ces politiques avec une continuité sans failles sur plusieurs décennies.

Les crédits de coopération civile baissent, mais les crédits militaires ou destinés aux forces de police sont sauvegardés et font l'objet de programmes pluriannuels comportant :

A ceci s'ajoute la présence de l'armée française au titre des accords de défense bilatéraux passés avec 8 pays.

La promotion de l'industrie française de sécurité se porte bien (Amnesty International). Les fonds de l'aide, notamment civile, sont gérés dans des conditions discutables. Le Ministère des Finances a la maîtrise de l'essentiel des crédits et des procédures opaques permettent d'apporter un soutien politique, policier et militaire à des régimes en place, à travers des sommes qui ne seront d'aucun effet de « développement » pour les peuples en désaccord avec ces régimes (Comores, Tchad, Togo, Centrafrique, Rwanda, pour ne citer que les cas les plus connus et les plus graves). Ce n'est donc pas par ce type de coopération et par des mesures répressives contre les populations en provenance de ces pays que nous servirons les intérêts français.

Nos relations avec les peuples d'où proviennent encore la majorité des étrangers n'ont d'avenir qu'à travers une rénovation complète. Rien ne se fera de profond ni d'utile si l'on ne commence pas par un bilan public de la coopération. Or, on ne peut pas mener cette réflexion en excluant la question des échanges humains.

Il faut une conférence générale de la coopération, mêlant tous les acteurs concernés pour redonner son sens à l'idée d'agir ensemble et remettre la notion d'intérêts mutuels au centre d'une approche démocratique. On pourrait alors distinguer trois secteurs de la coopération selon leurs objectifs et préciser les liens entre eux :

On peut se demander pourquoi les mécanismes démocratiques ont été si longtemps ignorés et s'il serait si difficile de les introduire ? Si les fonds relatifs à tout programme de coopération n'étaient affectés qu'après que le projet auquel ils correspondent et son estimation exacte auraient été discutés et votés par les instances parlementaires et celle des collectivités territoriales des deux Etats concernés, la démocratie dont nous prétendons faire un modèle universel prendrait un peu de sens.

La mise en oeuvre de cette coopération ne pourra se faire sans des échanges humains équilibrés et non par une mobilité à sens unique de « coopérants français ». Il est grand temps, à cet égard, de prendre en compte l'ensemble des actions de développement et de coopération menés par des immigrés vivant en France, en faveur de leurs communautés d'origine non seulement par les fonds qu'ils envoient régulièrement à leurs familles, mais à travers les centaines d'associations auxquelles ils participent et les projets qu'ils promeuvent et soutiennent régulièrement.

Si, par le passé, les immigrés se contentaient d'envoyer de l'argent au pays, ils agissent de plus en plus pour le développement local de leur propre région, sans que cela s'inscrive nécessairement dans un projet de retour à court terme. Ils prennent conscience de leur rôle en tant qu'acteurs civiques et économiques actifs. Cette mobilisation prend la forme de soutien logistique et financier pour la réalisation de différents projets de construction de routes, d'écoles. Cela a aidé à l'émergence d'un mouvement associatif formel et informel ayant pour objectif l'aide au développement des initiatives issues des populations concernées.

Ainsi, sur une centaine d'associations des trois pays du fleuve Sénégal (Mali, Sénégal, Mauritanie), 43,5 millions de francs ont été collectés par les migrants, permettant à 340 réalisations de voir le jour sur une quinzaine d'années.

Mais l'essor de ce type de coopération est entravée par deux types de considérations : une conception rigide de l'intégration en France et notre fermeture au mouvement des personnes. Répétons ici que, pour nous, une intégration bien comprise est celle qui ne néglige pas, mais au contraire favorise la double appartenance. Quant à l'obsession néfaste de la limitation et de la maîtrise des entrées d'étrangers, elle ne peut trouver aucune solution tant que l'immigration est considérée comme une question relevant de l'ordre public. C'est à travers le temps passé ici et la possibilité d'y revenir que des étrangers acquièrent le désir et les moyens de solliciter le marché français, les technologies, les entreprises françaises, d'entrer ou de se maintenir dans la francophonie. Le fait d'entraver les migrations ne conduit pas seulement à introduire le malheur dans des destins individuels, il mène aussi à détruire des courants d'échanges qui sont la base de survie et parfois du développement pour les peuples, ceux d'autres contrées mais aussi le nôtre.

La violence dans les banlieues : sauvageons ou problème social ?

On entend souvent dire que les « immigrés » sont la cause première des problèmes rencontrés dans les « banlieues ». Les mots eux-mêmes sont révélateurs et chargés de sens.

Sont assimilés aux « immigrés » les jeunes issus de l'immigration, dont la plupart ne sont pas immigrés car nés en France et sont de nationalité française. Quant aux « banlieues » ainsi stigmatisées comme territoires de l'exclusion (comme si elles se réduisaient à cela), leur principale caractéristique est de cumuler les problèmes sociaux et politiques que connaît le pays. D'abord celui du chômage d'exclusion. Comme l'écrit Henri Rey (La peur des banlieues, Presses de Sciences Po) « comment peut-on imaginer un instant que la cohésion d'une formation sociale pourra être maintenue si se prolonge cet état de fait, dans lequel plusieurs millions de citoyens aptes à l'exercice d'une profession, jeunes qui plus est dans bien des cas, sont privés de ce qui fait la plus grande part de l'intégration sociale, le travail ? Ce que donnent à voir les banlieues, c'est qu'il n'y a pas de palliatif à ce manque. »

Quand ces citoyens, exclus du travail et du logement, le sont pour des motifs discriminatoires, que de nombreux jeunes constatent que leurs origines sociales, la couleur de leur peau ou leur adresse leur interdisent d'avoir un ticket d'entrée dans la société, un passeport pour la ville et pour la vie, pour « jouer la partie », que leurs parents ne peuvent pas leur servir de référence lorsqu'ils sont au chômage et humiliés au quotidien surtout quand ils sont Africains et que les obstacles à l'intégration sociale sont multiples... que leur reste-t-il à espérer ? Bouchées, les perspectives. Pessimiste, la vision.

Cette violence subie au quotidien est l'une des causes (mais pas la seule, car interviennent d'autres facteurs comme les phénomènes de groupes) de la violence exercée en retour en direction des autres. Le passage à l'acte suppose également une réceptivité très forte au sentiment d'injustice. Ce sentiment est parfois reconstruit artificiellement par les jeunes, mais, comme l'écrit le sociologue Hugues Lagrange (Le Monde, 17-18 janvier 1999), « il est surtout alimenté par les contrôles au faciès et le constat du traitement asymétrique des affaires, qui nourrissent la conviction du caractère partisan de la police ».

Le malaise provient aussi de l'insuffisante mixité sociale et culturelle dans les services publiques, en particulier ceux qui sont en contact avec la population. Il culmine avec les violences policières, tant il est vrai que « chaque mort violente d'adolescent marque pour longtemps la mémoire des quartiers ». Comment justifier auprès de cette population que, huit ans après les émeutes de 1991 à Mantes-la-Jolie qui avaient vu la mort d'un policier et de deux jeunes du quartier, seul le procès du meurtrier du policier a eu lieu alors que les proches des deux jeunes attendent toujours que les éventuels responsables soient sanctionnés ?

 

 

Les étrangers face au droit

Depuis 25 ans, la France, comme la plupart des pays européens, a décidé de suspendre l'immigration des travailleurs. La « maîtrise des mouvements migratoires » est devenu l'objectif prioritaire des pouvoirs publics, entraînant des mesures législatives, administratives et des comportements qui vont bien au delà des objectifs proclamés. La FIDH (Fédération Internationale des Droits de l'Homme), dans son rapport d'enquête de mai 1996, stigmatisait le gouvernement français qui « par ses diverses mesures législatives et administratives entretient la xénophobie et érige l'étranger en bouc émissaire », dérivant vers une approche exclusivement sécuritaire.

La liberté de circulation démantelée

La première dérive constatée est celle qui consiste à porter atteinte à la liberté de circulation, pourtant inscrite dans le droit international (Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles, adoptée par l'Assemblée Générale des Nations Unies en décembre 1990).

Pour freiner en amont l'arrivée des étrangers, la formalité des visas a été rétablie en 1986 sous prétexte de faire face à la vague terroriste et des instructions ont été données aux consulats afin de ne les distribuer qu'avec parcimonie. 126 pays sont soumis à cette obligation selon les accords de Schengen de 1995, liste à laquelle il convient d'ajouter 22 pays supplémentaires par décision du gouvernement français. Entre 1987 et 1994, le nombre total de visas délivrés a ainsi chuté de 5,6 à 2,3 millions.

Les ressortissants de certains pays, qualifiés de « pays à risque migratoire » par les autorités, sont soupçonnés de vouloir rester en France une fois la durée de leur visa expirée. Aussi est-il préférable de venir des Etats-Unis, du Canada ou de la Suisse où nul visa n'est demandé que de l'Algérie par exemple (le nombre de visas délivrés aux Algériens est passé de 1987 à 1994 de 571 000 à 103 000). Les consulats sont seuls habilités à délivrer des visas et à quelques exceptions près, prévues par la loi Chevènement, ne sont pas tenus de motiver les refus. Une fois le visa obtenu, les autorités de police aux frontières ont encore tout pouvoir pour refuser l'entrée en France en alléguant que les documents présentés ne sont pas pertinents ou qu'ils dissimulent le véritable objet du séjour.

Tous ces obstacles pour entrer en France ne devraient pas viser les demandeurs d'asile. Et pourtant, à leur arrivée en France, ceux-ci sont parqués dans des zones d'attentes où ils peuvent rester jusqu'à 20 jours. Celles-ci ont été légalisées par la loi Quilès de 1992 et devaient assurer aux étrangers « des prestations de type hôtelier » ! L'ANAFÉ (Association Nationale d'Assistance aux Frontières pour les Étrangers) dénonce « les conditions inhumaines de détention » et qualifie de « couloir de la honte » la zone de Roissy, sans parler des violences policières qui y ont cours.

Quand la détention arbitraire devient la règle

Autre signe de cette dérive, le sort fait à la liberté individuelle et au droit de ne pas être détenu sans jugement.
C'est en 1980 avec la loi Bonnet qu'a été inventé le concept de « rétention administrative » pour les étrangers en instance d'expulsion. Le terme de rétention est utilisé pour ne pas dire détention, contraire à l'article 66 de la constitution de 1958: « nul ne peut être arbitrairement détenu ». La gauche s'y était violemment opposée, pourtant elle l'a maintenue en revenant au pouvoir, précisant que cette « rétention » resterait exceptionnelle. Elle est devenue la règle.

Un étranger en situation irrégulière, s'il est interpellé peut, après avoir été gardé à vue, être placé dans une zone de rétention pour 48 heures sur simple autorisation administrative. La rétention est renouvelable 5 jours sur autorisation judiciaire et à titre exceptionnel à nouveau 5 jours. Dans ces « lieux d'enfermement pour étrangers » comme les qualifie Monique Chemillier-Gendreau, professeur de droit, la rétention peut donc durer 12 jours (contre 7 avant 1998).

Ce sont de véritables zones de non-droit, souvent situées en sous-sol des commissariats, où de rares associations ont un droit de visite strictement réglementé, où des abus de toutes sortes se produisent (passages à tabac, violences sexuelles).

Le crime d'être là

L'irrégularité du séjour a même été criminalisée puisqu'elle peut entraîner une peine d'emprisonnement ferme d'un an maximum et/ou une amende de 25 000F maximum (20% des étrangers incarcérés en France le sont au seul motif d'irrégularité du séjour).

Quant aux expulsions, elles sont toujours une profonde insulte faite aux droits de l'homme : expulsés menottés, bâillonnés sous forte escorte policière sont le lot commun. Parfois, un drame vient cruellement illustrer cette part honteuse de nos sociétés : Semira Adamu, nigériane de 20 ans, est morte étouffée par des gendarmes en Belgique le 22 septembre 1998 lors de son expulsion.

La suspicion généralisée

Pour renforcer l'idée que tout étranger est un délinquant en puissance, les contrôles d'identité sont multipliés, « contrôles d'identité au faciès » dont le seul motif peut être d'avoir jeté un papier par terre ou marché sur la chaussée. Ils constituent un encouragement au racisme et, sous couvert de lutte contre l'immigration clandestine, chacun s'habitue à un système répressif et souvent illégal, dangereux pour tous. On a tous en mémoire comment le plan « Vigipirate », initialement mis en place pour lutter contre une menace terroriste, a rapidement dégénéré en gigantesque « chasse aux étrangers ».

L'obsession du verrouillage, la transformation de notre pays en forteresse conduit nos dirigeants à soupçonner tout étranger d'être un fraudeur : celui qui veut se marier par exemple.
Sous couvert de lutter contre les mariages de complaisance, l'administration astreint l'étranger et son conjoint à des contrôles préalables excessifs qui sont une atteinte au droit à mener une vie familiale normale. Ainsi l'officier d'état civil peut se baser sur le seul « comportement douteux » du couple pour saisir le procureur de la République pour différer le mariage.

Les conjoints de Français, entrés en France irrégulièrement, peuvent être expulsés pendant la première année de leur mariage, la régularité de l'entrée en France étant un critère de l'obtention d'un titre de séjour. Seuls les ressortissants des pays pauvres sont concernés car le visa est obligatoire pour eux. Pourtant l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme dit « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale. » Pour ceux qui sont entrés légalement, le soupçon demeure pendant la première année du mariage où le conjoint étranger n'a droit qu'à une autorisation provisoire de séjour d'un an, puis s'il s'est bien comporté, à une carte de dix ans.

Autre fraudeur en puissance, l'étudiant étranger. Les étudiants étrangers doivent justifier de 2 500 F minimum de ressources par mois pour pouvoir s'inscrire dans une université française, alors que leur accès à l'emploi est strictement limité.

La discrimination commence au berceau

Et que dire de ces jeunes nés en France qui ne pourront être français qu'à 13 ans ? Ils ont le même mode de vie que leurs copains français, ils ont reçu la même éducation scolaire mais n'ont pas le même statut. Cette inégalité se révèle à l'occasion des voyages scolaires et plus grave, cette méfiance des autorités françaises à leur égard laissera certainement des traces. Selon la loi « Guigou » de 1998, un enfant né en France de parents étrangers, reste étranger au minimum jusqu'à l'âge de 13 ans. Il peut alors devenir français avec l'accord de ses parents ou bien attendre 16 ans pour faire sa propre démarche. Il deviendra français automatiquement à sa majorité sauf s'il exprime une volonté inverse. Avant 1993 (loi « Méhaignerie » instituant la « manifestation de volonté » entre 16 et 21 ans), les parents pouvaient obtenir la nationalité pour leur enfant né en France dès la naissance.

Autre injustice flagrante qui concerne les jeunes arrivés en France après l'âge de 10 ans, hors regroupement familial : ils sont expulsables dès qu'ils deviennent majeurs, même s'ils ont leur famille ici dans une situation régulière, au mépris de leur histoire et de leurs droits.

Un droit inégalitaire

Maintes fois remaniée jusqu'à 1998 et la loi dite Chevènement, l'ordonnance de 1945, qui régit la législation des étrangers, a varié au gré des supposés intérêts économiques de la France et a fait peu de cas des droits fondamentaux.
L'État s'est arrogé le pouvoir de décider de manière unilatérale des droits reconnus aux étrangers qui vivent ou ont vécu dans notre pays. Il maintient des discriminations tant dans le domaine des droits sociaux que dans ceux des droits économiques et des droits politiques.

Le domaine politique est un des plus propices pour porter atteinte au principe d'égalité. Les droits de vote, d'éligibilité et de participation aux référendums sont en effet conditionnés à la nationalité. Une brèche a cependant été ouverte récemment, puisque les étrangers de l'UE peuvent voter aux élections européennes et locales, suite aux accords de Maastricht de 1992 qui ont institué la notion de « citoyenneté européenne ». Par ailleurs, la Suède a accordé depuis plus de 20 ans le droit de vote aux élections locales aux étrangers résidents, le Danemark, les Pays Bas, l'Irlande, la Finlande et la Norvège depuis bientôt 15 ans. François Mitterrand avait inscrit cette proposition dans son programme avant les élections de 1981, mais elle n'a jamais été mise en application. Comment prétendre intégrer les étrangers, qui contribuent par leur travail à la richesse de la France, s'ils sont privés de tout droit civique ? Pourquoi leur dénier le droit de s'exprimer sur des sujets touchant à la vie locale dont ils sont acteurs à part entière ?

Dans le domaine des droits sociaux, même si les étrangers ont progressivement acquis d'importants droits à l'égal des Français, des inégalités persistent. Avec la carte retraité (créée par la loi Chevènement), sorte de visa permanent, les retraités ne bénéficieront pas de toutes les prestations de la sécurité sociale lors de leur séjour en France. Ils ont pourtant cotisé comme les Français.

Dans leur pays, le montant de la pension de retraite est versée en fonction du taux de change de la monnaie, ce qui conduit à une baisse substantielle de revenu pour le retraité, au grand bénéfice des caisses de retraite. Par ailleurs, le montant des retraites des anciens combattants « des pays ou territoires ayant appartenu à l'Union française ou à la Communauté », n'est pas indexé sur le coût de la vie. Là où un ancien combattant Français touche 4 018 francs par mois, son compagnon d'armes Guinéen, à égalité de services rendus, en reçoit royalement 673 !

« Chacun a le droit d'obtenir un emploi » et « nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines » est-il précisé en préambule de la constitution de 1946. Et pourtant, les étrangers, en particulier les étrangers non communautaires, sont exclus de plus de 4,5 millions d'emplois : de la quasi totalité des emplois de fonctionnaire, d'un grand nombre d'emplois du secteur public et nationalisé (EDF-GDF, SNCF, RATP, Air France) et d'une liste interminable d'emplois salariés et de professions libérales du secteur privé (certains métiers des transports, des assurances, de la communication, de la santé...). Ces discriminations sont maintenues avec pour unique souci de protéger les nationaux de la concurrence étrangère mais le plus souvent sans aucune justification en regard de nos principes constitutionnels. Pour les étrangers titulaires d'une carte de séjour temporaire d'un an, le renouvellement est refusé lorsque l'emploi proposé est susceptible d'être occupé par un Français, même si le demandeur présente un contrat de travail ou une promesse d'embauche (sauf pour certains emplois très qualifiés).

Par ailleurs, les discriminations à l'embauche, pour les promotions professionnelles ou les formations sont patentes (voir Le racisme dans l'entreprise de P. Bataille, éd. La Découverte et le Rapport 1998 de la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme). La loi de 1972 contre le racisme permet en principe d'attaquer en justice ce type de discrimination lorsqu'il y a des preuves précises, ce qui est rare en pratique (il y a eu seulement 4 condamnations dans ce domaine en 1995). Cette discrimination touche particulièrement les étrangers originaires du Maghreb et d'Afrique noire, mais aussi ceux issus de la seconde et même de la troisième génération de l'immigration, français en grande majorité. Ainsi, chez Ikéa, on a voulu retirer les employés de couleur, qu'ils soient français ou étrangers, du contact avec la clientèle. Dans la chaîne d'hôtels Ibis, des employés ont dû franciser leurs noms à la demande de la hiérarchie. Dans les lycées professionnels, le refus de stage pour une couleur de peau ou un nom à consonance étrangère est monnaie courante et parfois clairement exprimé.

Dans le domaine pénal enfin, une grave discrimination subsiste : la double peine. Un étranger avec toutes ses attaches familiales et privées en France, y ayant fait sa scolarité, peut être expulsé après avoir purgé une peine de prison pour un délit de droit commun. L'expulsion est souvent complétée par une interdiction judiciaire du territoire français. C'est une violation flagrante de l'article 8 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme qui précise, répétons-le encore, que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ».

Le peu de cas qui est fait des droits fondamentaux des étrangers s'inscrit dans une législation, qui, depuis 1945, varie principalement au gré des supposés intérêts économiques de la France et des ressortissants français.

Il faut comprendre que les États-nations modernes se sont constitués historiquement en identifiant la souveraineté à la nationalité et donc la citoyenneté à la nationalité. Par suite, un droit spécifique des étrangers a été mis en place, donnant par exemple à l'État français l'occasion d'affirmer son pouvoir régalien :

A cet égard, l'intégration européenne ne modifie pas fondamentalement cette philosophie. Elle ne fait que transférer aux autorités supranationales les mêmes prérogatives de la puissance publique et la tendance est déjà à s'aligner sur les législations les plus dures.

Ainsi ce ne sont pas les nécessités de toute société démocratique qui inspirent la loi et le droit, mais bien une vision politique intrinsèquement inégalitaire (car nationaliste) de la citoyenneté.

Celle-ci s'appuie sur une volonté de contrôle des corps mis au service des besoins du marché. C'est pour un véritable renversement de ces perspectives que nous devons nous battre, pour une égalité de tous.

Droit d'asile : la peau de chagrin

Dans un contexte de durcissement de la législation sur l'immigration depuis les lois Bonnet de 1980 jusqu'aux lois Debré/Chevènement, tout réfugié ou demandeur d'asile fait figure de fraudeur (autrement dit de réfugié économique). Il voit opposer à sa demande d'asile tout un arsenal administratif et juridique destiné à le décourager. Alors qu'il a fui son pays parfois dans conditions dramatiques, il se voit contraint d'apporter les preuves des persécutions qu'il a subies (comme si les tortionnaires délivraient des certificats !). Et en la matière les exigences se font d'années en années plus élevées.

Il n'est qu'à regarder les chiffres pour se convaincre que le droit d'asile s'est réduit comme une peau de chagrin. Ainsi le nombre de bénéficiaires est passé de 8 600 en 90 à 3 800 en 96 alors que dans le même temps la guerre civile faisait rage en Algérie et en Ex-Yougoslavie notamment.

L'administration a beau jeu de justifier cette chute par la baisse concomitante des demandes d'asile (54 800 en 90 contre 17 534 en 96). En fait sur cette période le taux de rejet est très élevé : autour de 80 % à comparer avec les 22% de 1981. On constate la mise en place d'un dispositif de plus en plus répressif destiné d'une part à dissuader et même à entraver le dépôt de la demande et d'autre part à restreindre le champ d'application du droit d'asile.

L'entrave au dépôt de la demande est particulièrement insidieuse parce qu'invisible. Les demandeurs d'asile refoulés à ce stade ne figurent dans aucune statistique.

Le premier obstacle à franchir pour un réfugié potentiel est de déposer une demande dans le pays refuge et pour cela il faut pouvoir entrer sur le territoire de ce pays. On sait que la politique des visas extrêmement restrictive pratiquée par les pays européens empêche les réfugiés de nombreux pays de prendre la fuite avec tous les papiers requis. Cette politique des visas est une première entrave qui ne dit pas son nom.

Reste alors le voyage clandestin avec tous les risques que cela comporte. Les États européens ont cherché à se prémunir contre ces passagers illégaux. Ainsi les accords de Schengen prévoient une amende de 10 000 F pour les transporteurs dont les passagers ne seraient pas autorisés à entrer sur le territoire ainsi que le renvoi du passager aux frais du transporteur (en 1994, 1 400 procès-verbaux ont été dressés contre des transporteurs aériens). De sorte que les compagnies de transport sont contraintes de vérifier que leurs passagers sont en possession des documents d'identité et visa pour l'entrée sur le territoire. Ce qui revient ni plus ni moins à déléguer des tâches de police à des compagnies de transports privées. Un réfugié qui déciderait de quitter précipitamment son pays peut se voir refuser l'accès au bateau ou à l'avion car il n'a pas de visa.

Une fois sur le territoire, les demandeurs d'asile qui sont maintenus en zone d'attente rencontrent souvent des difficultés à faire enregistrer leur demande. Par manque d'information, par manque d'interprètes, par négligence des agents des douanes et dans un climat de suspicion renforcé par des directives politiques, de nombreux réfugiés potentiels se voient refuser l'accès à la procédure de détermination de statut de réfugié. La mission d'enquête de la FIDH (Fédération Internationale des Droits de l'Homme) de mai 1996 concluait à l'issue de sa visite de la zone d'attente du terminal 2A de Roissy : « L'impression générale est que, sauf dans le cas de personnes éduquées, il doit être très difficile d'expliquer sa situation et faire valoir son point de vue face à des fonctionnaires suspicieux qui ont tout vu, tout entendu et qui sont engagés dans une lutte sans merci à l'immigration illégale. »

Enfin dernière entrave toujours dans le cadre des accords de Schengen : un pays peut refuser d'examiner une demande d'asile si le demandeur a transité par un pays tiers d'accueil.

Si malgré toutes ces entraves, le réfugié parvient à faire enregistrer sa demande, il verra souvent opposer à celle-ci une lecture restrictive de la Convention de Genève par l'OFPRA (Office Français pour la protection des Réfugiés et Apatrides).

Mais avant même que sa demande ne soit examinée par l'OFPRA, la DAF (Division de l'asile aux frontières) qui dépend du Ministère des Affaires Etrangères, est tenue depuis la loi de 1992 d'examiner le caractère fondé ou infondé de la demande. Or « la demande manifestement infondée » reçoit souvent une définition extensive de la part de l'administration. L'imprécision, l'incohérence, les contradictions du récit suffisent pour refuser au demandeur l'entrée sur le territoire. La marge d'appréciation laissée à l'administration est large face à des réfugiés qui ont fui leur pays dans la précipitation, qui vivent dans la peur d'y retourner et qui sont sous le coup de l'émotion, du dépaysement et des fatigues du voyage.

Selon la Convention de Genève, est réfugiée, toute personne « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques et (...) ne peut ou ne veut se réclamer de la protection de [son] pays ». Pour l'OFPRA, les persécutions doivent émaner des autorités étatiques. Ce qui a pour conséquence d'exclure du champ d'application de la Convention de Genève tous les réfugiés qui ne mettent pas en cause les autorités de leur pays. C'est le cas notamment des Algériens, victimes de persécutions des Islamistes, dont les demandes sont presque toutes rejetées. En 1995, 15 Algériens se sont vus reconnaître le statut de réfugié sur un total de 2 028 dossiers examinés ! Combien parmi ces recalés l'ont payé de leur vie ?

Cette lecture extrêmement restrictive de la Convention de Genève a été dénoncée à plusieurs reprises par le HCR qui considère que lorsque les persécutions sont perpétrées par des autorités non-gouvernementales, le statut doit être accordé si l'État refuse ou est dans l'incapacité d'offrir une protection effective.

On le voit, l'OFPRA s'en tient à une interprétation littérale de la Convention de Genève, ce qui est loin d'être le cas de tous les pays occidentaux (Canada notamment). Enfin l'OFPRA refuse d'accorder le statut de réfugié aux transsexuels, aux femmes craignant l'excision ou aux Chinoises enceintes, car selon sa propre jurisprudence, aucun de ces cas de figure n'entre dans le champ de la Convention de Genève, laquelle ne prévoit pas la discrimination sexuelle comme motif de persécution.

Depuis 1998 la loi reconnaît l'asile territorial à l'étranger qui encourt des risques certains en cas de retour dans son pays mais qui ne relève pas de la Convention de Genève telle qu'elle est interprétée par l'OFPRA.

Il s'agit d'inscrire dans la loi une pratique administrative initiée par Pasqua (et continuée par ses successeurs Place Beauvau) dont auraient bénéficié 3 000 Algériens entre 1993 et 1997. L'asile territorial n'est en fait qu'un sous statut de réfugié très précaire car le renouvellement de la carte de séjour d'un an dépend du bon vouloir de l'administration. Il est à noter que la décision de refus d'asile territorial n'a pas à être motivée par le Ministère de l'Intérieur chargé d'examiner les demandes. On est donc encore dans une logique discrétionnaire où l'administration a tout pouvoir de rejeter une demande au nom des intérêts du pays, qu'ils soient politiques, diplomatiques, économiques, culturels ou stratégiques comme l'avait précisé le Ministre de l'Intérieur au cours des débats parlementaires.

Ainsi le gouvernement a préféré créer une nouvelle catégorie de réfugiés moins protégés par leur statut, plutôt que de donner instruction à l'OFPRA pour faire une lecture plus conforme de la Convention de Genève, comme l'y enjoignaient le HCR (Haut Comité aux Réfugiés) et la CNCDH.

Sur la régularisation des étrangers dits « sans-papiers »

Confiance trahie

Les sans papiers qui avaient déposé une demande de régularisation doivent être régularisés parce qu'ils ont fait confiance à l'Etat. Le gouvernement a doublement trompé la confiance de milliers de sans-papiers et de Français : en n'abrogeant pas les lois Pasqua-Debré comme il s'y était engagé (il les a seulement aménagées) et en refusant de régulariser plus de 60 000 personnes, les transformant en autant de clandestins officiels. Tout le monde en France n'a pas intérêt à voir disparaître les clandestins : comme cela a été écrit ci-dessus nombre d'employeurs sont bien heureux d'exploiter cette main d'oeuvre peu coûteuse et précarisée à l'extrême, qui permet à certains secteurs majeurs de l'économie (BTP, restauration, agriculture...) d'augmenter leur profit, au mépris des droits et de la dignité humaine. Soucieux de ne mécontenter personne, le gouvernement a fait le choix de « l'équilibre » : 80 000 régularisations données à ma gauche, 60 000 clandestins officiels laissés à ma droite à un patronat qui les exploite et qui sait bien que « les immigrés ne sont pas un fardeau » (titre de L'Expansion, octobre 1996), surtout quand il « oublie de payer » les charges sociales !

Quant à ceux qui n'ont pas eu confiance en ne déposant pas un dossier, la suite leur a montré qu'ils avaient eu raison d'être méfiants !

Des critères de régularisation ? Quels critères ?

Le gouvernement prétend qu'il faut une règle en matière d'immigration et qu'il ne peut procéder à une régularisation de tous les sans-papiers qui en ont fait la demande. C'est sa manière de justifier une régularisation selon des critères. Or depuis plusieurs mois l'administration régularise tous les informaticiens et ceci en dehors de tous les critères appliqués aux autres demandes de régularisation. Ainsi un étranger célibataire arrivé récemment en France et ne parlant pas le français n'a aucune difficulté à obtenir un titre de séjour pour peu qu'il soit diplômé en informatique. La preuve est apportée, s'il en était besoin, que la délivrance de papiers dépend des intérêts économiques du pays et a peu à voir avec le respect des critères fixés par la circulaire Chevènement.

L'appel d'air c'est du vent !

L'argument consistant à prétendre que régulariser 140 000 personnes plutôt que 60 000 engendrerait un appel d'air de nouveaux clandestins méconnaît la réalité des mouvements migratoires. Rappelons-nous qu'avant 1974, les ressortissants de l'ancienne Afrique française ne venaient pas en masse alors qu'ils pouvaient le faire librement. Quant aux Centrafricains, Gabonais et Togolais, ils avaient jusque récemment libre accès au marché du travail français : malgré la situation qui sévit dans leur pays, il n'y a pas eu d'immigration massive non plus. De même, les ressortissants de la plupart des pays d'Amérique latine (à l'exception du Pérou) et, en Europe, la Hongrie et la Pologne, sont dispensés de visas de court séjour pour venir en France, ce qui là encore n'engendre pas une émigration significative vers la France.

La non régularisation, c'est ouvrir la porte aux expulsions et les expulsions à d'autres crimes.

Un millier d'immigrés par mois sont reconduits à la frontière. Lors des embarquements, lorsque les intéressés se débattent, ils sont scotchés à leur siège, bâillonnés, parfois drogués ou étouffés par des coussins. Et tout cela au pays des Droits de l'Homme ! Ne nous faisons pas d'illusions : il n'y a pas de manière humaine de renvoyer contre leur gré des gens vers la misère qu'ils ont fuie. Les rétentions et expulsions entraînent nécessairement des crimes divers. Pour l'année 1998 un inventaire sommaire nous apprend qu'à Amsterdam une Africaine en instance d'expulsion a porté plainte pour viol contre un policier chargé de sa surveillance. A Nanterre trois policiers chargés de la surveillance des étrangères en centre de rétention ont agressé sexuellement une Marocaine dans les douches. Surtout, on se souvient qu'en septembre, à Bruxelles, Sémira Adamu, une Nigériane, est morte assassinée par des policiers zélés, soulevant une immense émotion en Belgique et provoquant une crise politique. En 1991, a-t-on appris récemment, un Sri-lankais est mort dans les mêmes circonstances à Roissy. Depuis sept ans, l'enquête suit son cours... Admirable justice qui sait faire vite quand il faut frapper l'opinion (débordement des manifs lycéennes) mais roupille suite à un assassinat.

La répression vise aussi à briser les solidarités dont peuvent bénéficier les sans-papiers : Sirine Diawara en a fait les frais, qui a été condamné à un an de prison ferme pour avoir refusé d'embarquer le 28 mars 1998 pour Bamako. Diawara a été arrêté à l'audience de la Cour d'Appel de Paris le 26 novembre 1998 alors qu'il s'était présenté sans même être convoqué. Son cas a une valeur de symbole : le gouvernement n'a pas supporté dans cette affaire que des passagers indignés aient obligé le commandant de bord à le faire descendre de l'avion.

 

 

Pour une politique de l'immigration ouverte

La politique actuelle, un coût exorbitant

Le coût des politiques d'immigration menées en France depuis 25 ans est énorme.

La prise en compte de droits fondamentaux ?

Sur le plan du droit, les pactes internationaux ont un caractère normatif. De plus, en son article 55, la Constitution française énonce que les traités (ratifiés) sont supérieurs à la loi nationale. Si l'État peut restreindre les libertés, ce n'est donc jamais de façon « arbitraire » et les citoyens sont fondés à lui demander des comptes.

Par exemple, de nombreux textes internationaux proclament les libertés de vivre chez soi et de circuler.

La liberté de vivre « chez soi » : elle constitue un droit fondamental de justice et se déduit de l'article 22 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH)

« Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l'effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l'organisation et des ressources de chaque pays »

et doit être défendue, contre la misère, les conflits et violences qui déplacent des millions de personnes à travers le monde.

Les libertés de sortir et d'entrer : elles constituent un autre droit fondamental, peu connu et donc reconnu.

Les multiples interprétations de ces textes juridiques sont allées jusqu'à présent dans un même sens restrictif, afin de masquer le fait que ces libertés ont été proclamées. Pourtant, le droit de quitter un pays a pour nécessaire corollaire le droit d'entrer dans un autre, faute de quoi la liberté de « quitter » son pays serait pur leurre. Les ressortissants des pays du Nord jouissent pratiquement de cette liberté de circulation/installation qui a pris les formes du « droit de conquête » puis du colonialisme et de l'hégémonisme des puissants. Seuls en sont privés les peuples du Sud.

Indissociabilité développement durable - ouverture des frontières

Comme nous l'avons montré tout au long de ce texte, « la pression migratoire » est un mythe et rien ne permet aujourd'hui d'affirmer ce que pourrait être le résultat d'une ouverture des frontières. Or force est de constater que la fermeture des frontières n'existe pas sur le plan économique puisque règnent la mobilité de l'offre et de la demande, ainsi que la mobilité des emplois. Ces mobilités là, contrepoints de la police sur les corps, sont mises au service d'une minorité qui domine de fait la majorité.

Enfin, la logique de fermeture des frontières, conduit, menée à son terme, à la nécessité de renvoyer les immigrés. Pourtant, l'aide au retour et à la réinsertion ne règlera pas plus les problèmes des relations Nord / Sud que la situation des quelque 60 000 sans-papiers non régularisés, pas plus que la situation de celles et ceux qui, au vu des critères de la circulaire de juin 1997, ont choisi de ne pas présenter de demande.

La politique de fermeture des frontières est une impasse humaine, culturelle et politique. Elle participe aussi et surtout de l'ordre économique de la domination tel qu'il est établi et de la soumission du politique à cet ordre, par peur, intérêt bien senti et par absence d'alternative.

Alternative dont un élément important pourrait être la libre circulation des individus. Pour nous, cette question de l'ouverture des frontières ne peut être traitée indépendamment de la question du droit des peuples au développement durable. Les déplacements de population sont provoqués par les conséquences diverses (y compris sur le plan de l'environnement) de l'exploitation de la misère des pays pauvres par les pays les plus riches et les minorités qui les dirigent, des faibles par les forts. Cet éclairage justifie d'une part le refus des quotas préconisés pour répondre aux seuls intérêts des pays riches et imposés par eux seuls, en fonction de leurs seuls craintes et besoins et milite d'autre part pour l'abandon des accords de coopération bilatéraux au profit d'accords multilatéraux. Dans le contexte actuel du développement inégal, instaurer plus d'égalité entre les peuples passe en particulier par l'annulation de la dette des pays les plus pauvres et un réel co-développement solidaire.

Le phénomène de la mondialisation, l'ouverture du monde, obligent chacun de nous à s'interroger sur les enjeux suivants :

Des réponses à ces questions dépendra notre capacité à promouvoir une ouverture progressive des frontières et, à terme, la libre circulation des personnes. La « mort » de l'AMI (Accord Multilatéral sur les Investissements) au sein de l'OCDE prouve en tout cas que les citoyens peuvent faire bouger les choses dans le sens du droit et de la justice sur le plan politique.

 

 

Postface aux citoyens

Le 17 novembre 1998, le Premier ministre déclarait à l'Assemblée Nationale que « faire passer le message qu'en France tout immigré entré irrégulièrement peut être régularisé, c'est créer un appel d'air formidable ; c'est donc une attitude totalement irresponsable. »

Cette accusation se retourne aisément contre son auteur : l'impossibilité d'expulser tous les sans-papiers produit des « clandestins officiels », comme l'ont souligné la commission sénatoriale d'enquête sur les régularisations d'étrangers en situation irrégulière et le maire socialiste de Limeil-Brévannes. Le « signal » (peu responsable !) délivré aux futurs migrants est donc qu'il est toléré de vivre en France sans papiers à la seule condition de ne pas se faire arrêter lors d'un contrôle inopiné des forces de police (puisqu'il est interdit de faire des contrôles au faciès !). De deux choses l'une, soit la seconde personne de l'État (ou le détenteur du pouvoir législatif ?) est ignorant des réalités de l'immigration et de la situation des sans-papiers, soit elle est cynique.

A l'opposé de toute irresponsabilité, c'est bien le mot citoyenneté qui a guidé la rédaction de cet ouvrage collectif. Citons Toni Negri, autre victime de l'arbitraire politique : « Les luttes des sans-papiers indiquent selon moi quelque chose de fondamental : la demande d'un droit de citoyenneté. (...) Une demande radicale de droit de citoyenneté pour ceux qui se déplacent, qui représente un élément subversif pour l'ordre national du droit, dans la mesure où elle est la première transcription en termes politiques d'une situation devenue désormais générale. Cela équivaut vraiment à demander la loi, à réclamer un droit de citoyenneté parce qu'on travaille, parce qu'on s'est déplacé à l'intérieur du marché mondial du travail désormais intégré. Il s'agit donc d'une rupture politique du nouvel ordre productif mondial et un processus de recomposition de mouvements qui en sortent. Il faudrait réussir à imaginer le fait d'être des citoyens du monde au sens plein du terme et à réaliser non plus l'internationale des travailleurs mais une communauté de tous les hommes qui veulent être libres. »[1]

Face à l'accusation d'irresponsabilité, nous, Collectifs Citoyens, nous ne pouvions rester muets. Nés pour défendre la citoyenneté dans nos quartiers, dans nos villes, nous avons été et sommes toujours absorbés par le soutien aux sans-papiers. Nous avons essayé de comprendre la raison de cet acharnement envers ces personnes que nous aidons, parrainons. A travers ce livre nous affirmons une citoyenneté active, la capacité d'analyser et d'opposer un contre discours à des hommes politiques qui nous méprisent.

Nous avons récusé ici au moins trois idées implicites. Premièrement, la vieille idée qui consiste à crier à la manipulation, vu que « ces gens-là » seraient incapables d'organiser une action politique efficace.

En fait, le mépris du dominant continue de vouloir les rabaisser au rôle de simples pantins, à les déposséder de la paternité de leur action. La grève de la faim faite à plusieurs moments par des sans-papiers et encore dans des villes comme Marseille n'est pas le fait d'une manipulation mais un type d'action récurrent des luttes d'immigrés depuis le début des années 70. Cet ultime recours démontre combien le déni de leur désir de vivre dignement leur apparaît comme une question de vie ou de mort. Face à la négation de l'existence même de la personne, risquer sa vie devient dérisoire, autant pour l'Algérien de 20 ans qui sera enrôlé de force dans l'armée sitôt expulsé, que pour le Chinois n'ayant pas remboursé sa dette, ou l'Africain qui perdra les moyens élémentaires de nourrir les siens.

Deuxièmement, il est temps d'arrêter d'asséner le thème de « la pression migratoire ». On peut ainsi lire dans un rapport de l'OCDE de 1994 : « l'immigration n'entraîne pas d'effet d'éviction sur le marché du travail, elle ne déprime pas le revenu des nationaux. Ces conclusions sont d'autant plus robustes qu'elles s'appuient sur une grande variété de données et d'approches méthodologiques. »[2] Alors, que penser de la déclaration de Lionel Jospin du 24 novembre 1998 sur France Info : « Je voudrais revenir à une idée simple : si on veut faire l'intégration, il faut maîtriser les flux migratoires ; si les flux migratoires ne sont pas maîtrisés, on ne pourra pas faire l'intégration. » Simple ou simpliste ?

Par ailleurs, avoir déclaré qu'« en raison des différences de développement entre l'Europe riche et son pourtour méditerranéen et africain, la tentation du mouvement vers l'Europe est une tendance forte et durable, à laquelle il ne faut pas céder », témoigne de l'égoïsme des pays riches mais aussi d'une méconnaissance des dynamiques migratoires. Quand bien même cette « tendance forte et durable   » serait avérée, la plus forte des forteresses n'a jamais été capable dans l'histoire d'y faire face. De même, « poser la question de notre identité nationale » - même dans un sens républicain qu'il faudrait d'ailleurs définir - ou celle « de [notre] capacité à intégrer [les] étrangers [et] les citoyens français d'origine étrangère » renvoie à des amalgames douteux et oublie que les personnes les plus désocialisées, les moins intégrées, sont essentiellement les chômeurs de longue durée. A l'inverse, nous pourrions considérer comme « trop bien intégrés » ces jeunes beurs et keublas qui adoptent les modes de consommation occidentaux sans recul critique, cédant à une véritable aliénation consumériste.

Troisièmement, il est absurde de lutter contre le travail dissimulé en tentant de châtier les victimes, les sans-papiers au lieu de leurs employeurs. La dénonciation en paroles du travail dissimulé - un phénomène à 90% franco-français ! - s'accompagne d'une hypocrite tolérance de fait, qui durera tant que l'inspection du travail n'aura pas les moyens tant financiers qu'humains d'appliquer la loi dans les secteurs économiques concernés, secteurs non délocalisables (bâtiment, métiers risqués ou dégradants, confection...). Faire sortir les travailleurs et leurs familles de l'illégalité aurait été justement le moyen d'assécher le bassin où viennent se servir les employeurs.

Si nous critiquons le fond, nous critiquons aussi la méthode des critères. Nous qui parrainons et aidons des sans-papiers, nous savons tous que l'arbitraire administratif est la règle et non l'exception, à croire qu'un quota de régularisations a été prédéfini avant l'examen de tous les dossiers. Notre colère n'est ni isolée ni nouvelle. Le 10 juillet 1997, dans une lettre ouverte au Premier ministre, des associations (Act Up-Paris, Cedetim, Droits Devant !!, FASTI, GISTI, Syndicat de la magistrature) annonçaient déjà que « les conditions définies par [la circulaire] condamnent une majorité de sans-papiers à demeurer dans la clandestinité.(...) On peut donc prévoir qu'elle n'éteindra pas le mouvement de protestations et de revendications des sans-papiers. » Et d'ajouter à propos de la disposition sur les conjoints de Français ou d'étrangers en situation régulière : « elle prend acte du fait qu'il existe sur le territoire français des étrangers appelés à y vivre durablement et qui n'en partiront donc pas. Ils seront donc à terme mis en possession d'un titre de séjour. Il n'empêche qu'ils doivent subir l'épreuve de la clandestinité avant d'obtenir des droits. »

Nous pensons que cette production administrative de clandestins participe du processus de précarisation du monde du travail, contrairement à la régularisation qui donne la possibilité de faire valoir des droits. Sont ainsi renvoyées dans la clandestinité des personnes qui ont, par leur demande de régularisation, fait un acte civique, preuve d'une volonté d'insertion dans la vie de la cité. La peur d'affronter l'opinion publique ne peut dicter une politique, car le rôle du Politique est de combattre toutes les idées reçues attachées à l'influence supposée néfaste de l'immigration sur notre société. S'y refuser, c'est dénaturer les principes de la gauche politique en s'appropriant des idées d'extrême droite, en transformant en vérités des préjugés infondés (lien entre immigration et chômage, criminalité et « individus allogènes »...). S'il y a un problème de l'immigration, c'est en fait celui de l'image de l'Immigré(e) en France. Ce nécessaire débat s'inscrit parmi les autres grands débats publics.

L'immigré(e) est un(e) membre parmi d'autres du projet de société à définir collectivement tant sur le plan interne (quel lien social ?) qu'externe (quelle relation entretenir entre la France et les pays d'émigration ?).

D'une manière générale, la question de l'immigration révèle la crise de l'État et de la légitimité de ses institutions. L'État social est incapable d'assurer à ses sujets la sécurité économique qu'il leur garantissait auparavant. Pour reconstituer sa légitimité, il s'efforce aujourd'hui de trouver des boucs émissaires, de manifester sa puissance comme État national, notamment à travers la politique dite de fermeture des frontières et de contrôle des mouvements migratoires. L'application des lois qui en découlent se heurte au respect des libertés publiques, les rendant ainsi inefficaces au regard des objectifs affichés. L'impuissance de l'État condamne les gouvernants à une fuite en avant vers un renforcement toujours plus répressif de l'appareil législatif. La loi Chevènement n'échappe pas à cette logique (allongement du délai de rétention, extension des pouvoirs de police...)

L'erreur de nos gouvernants et de Lionel Jospin en particulier, est de croire que l'on peut attaquer impunément les droits d'une catégorie de personnes quelle qu'elle soit. Attaquer leurs droits, c'est attaquer les nôtres. Tant qu'une telle injustice persistera, nous continuerons à nous battre. L'égalité des droits n'a pas de prix. La liberté suprême est celle d'aller et de venir. Comme l'a admirablement montré Yann Moulier-Boutang dans sa thèse dédicacée aux sans-papiers et publiée aux PUF , De l'esclavage au salariat, économie historique du salariat bridé (1998), face à la fuite perpétuelle des travailleurs et à leurs désirs de liberté, le capitalisme a toujours essayé de brider les déplacements des individus.

Pour conclure, terminons par l'article 13, alinéa I de la Déclaration universelle des droits de l'homme : « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un État », ce qui revient à considérer les Étranger(e)s comme des citoyen(ne)s et des acteur(trices) à part entière de la société. Pour nous, la citoyenneté n'est pas réservée aux Français(es) de nationalité. La France, terre traditionnelle d'immigration, doit reconnaître et respecter la richesse culturelle de ses immigré(e)s.

 

 

Bibliographie indicative

Sans-papiers et régularisation

Droit des étrangers

Immigration


[1] Toni Negri, Exil, collection Les petits libres, édition des Mille et une nuits, 1998.

[2] OCDE, SOPEMI, Tendances des migrations internationales, 1994, p. 181.

 
les collectifs citoyens de Paris