les collectifs citoyens de Paris

Opération de « régularisation »
et loi Pasqua-Debré-Chevènement

Recueil de cas et analyse
par le Collectif des citoyens du XIVe
  1. Bilan de l'opération de « régularisation » du gouvernement Jospin

  2. Recueil de dossiers de demandes de régularisation suivis par le Collectif des citoyens du XIVe

  3. La loi Chevènement reste dans la logique des lois Pasqua-Debré et porte atteinte aux droits de l'homme

  4. Annexes sur la loi Pasqua-Debré-Chevènement
 

 
Le Collectif des citoyens du XIVe est constitué d'un regroupement d'associations et de citoyens du XIVe arrondissement de Paris. Une des préoccupations majeures de ce Collectif est de promouvoir une citoyenneté active et effective pour tous. Dans ce cadre, nous nous sommes particulièrement investis aux cotés des sans-papiers dans la lutte qu'ils ont menée pour faire valoir leurs droits.

Nous avons suivi les dossiers de demande de régularisation de 189 sans-papiers. Cette situation nous a permis d'être des témoins directs de l'opération de « régularisation » engagée par le gouvernement actuel. À l'opposé de l'autosatisfaction affichée par Lionel Jospin, le sentiment d'injustice qui nous a amenés aux côtés des sans-papiers ne s'est pas tari, bien au contraire.

Cette opération nous paraît très contestable tant dans son esprit que dans son application pratique. En effet, contrairement à ce que pourrait laisser paraître une vision superficielle et médiatique du problème, il ne s'agit pas de quelques dysfonctionnements isolés. Le suivi régulier des dossiers nous a permis de constater un nombre d'injustices et d'atteintes aux droits trop systématiques pour n'être que de simples accidents.

Pour ceux qui en douteraient encore, nous présentons ici un dossier comportant un recueil de cas représentatifs de ce que nous avons observé et une analyse en forme de bilan de cette opération de « régularisation ».

Mais, outre l'opération de « régularisation », c'est surtout de la loi du 11 mai 1998 dont il s'agit. À propos de la loi Chevènement, le Secrétaire National du Parti Socialiste ou le Ministre de l'Intérieur n'ont de cesse de présenter les avancées « généreuses » ayant permis de supprimer les « errements législatifs »discriminatoires des textes de loi précédents.

Pourtant, pour les étrangers avec ou sans papiers, peu de choses ont changé. Nous constatons la même précarité, la même permanence du mépris et de l'arbitraire administratif, les mêmes injustices, les mêmes violences policières. Et tout cela, dans le cadre de la loi ! En fin de compte, la seule différence avec les gouvernements de droite, c'est peut-être l'hypocrisie...

 

 

I. Bilan de l'opération de « régularisation » du gouvernement Jospin

Pour de nombreux sans-papiers intégrés et présents en France depuis longtemps l'opération de « régularisation » a été une impasse

Parmi les sans-papiers du Collectif des citoyens du XIVe on constate qu'à la fin 1999, seuls 53% de ceux qui étaient régularisables selon les critères de la circulaire de réexamen ou de la loi Chevènement ont bénéficié d'un titre de séjour.

Le désir de sortir de la clandestinité s'est très souvent retourné contre ceux qui ont fait une demande de régularisation

La police possède désormais un fichier comportant les adresses, des informations sur le lieu de travail et sur la vie privée de 60.000 personnes non régularisées. Ce fichier devient lourd de menaces suite à la circulaire Chevènement du 11 octobre 1999 demandant aux préfectures de faire des contrôles dans les « lieux où se concentrent les clandestins » afin d'intensifier les interpellations et les expulsions...

Le Collectif a observé que, l'opération de « régularisation » se transforme souvent en un véritable piège kafkaïen. Suite à un refus de régularisation pour « défaut de preuves » beaucoup de sans-papiers reçoivent un Arrêté Préfectoral de Reconduite à la Frontière (APRF) qui facilite grandement leur expulsion.

De plus, toute personne à qui a été opposé un refus lors de l'opération de régularisation selon la circulaire de juin 1997 se voit systématiquement exclue ultérieurement lors d'une demande de régularisation au titre de la loi Chevènement. Dans certains cas, le premier rendez-vous qui lui permettrait de présenter cette demande est refusé à priori, sans aucun examen du dossier comportant les documents qui témoignent des dix ans de présence en France.

La logique du soupçon et les pratiques discriminatoires ont présidé à l'examen des dossiers

Stéphane Hessel, du Collège des médiateurs, notait, dans une lettre au journal Le Monde du 31 août 1999, que les préfectures avaient appliqué les « textes » avec des « attitudes de soupçon et de rejet à l'égard de tout étranger dont la couleur de peau ou le maniement de notre langue le (...) fait apparaître d'emblée comme indésirable ».

Les préfectures, fidèles à leur tradition administrative, considèrent celui qui fait une demande de régularisation comme un fraudeur présumé coupable. Comme le montre le recueil de cas présenté plus bas, tout prétexte peut être retenu contre le demandeur qui doit prouver son « innocence » afin de bénéficier d'un droit théoriquement garanti par les textes. Ainsi, il faut avoir un passé irréprochable et produire un nombre important de documents « fiables ». Beaucoup de documents sont exclus (feuilles de maladie, d'hospitalisation ; bulletins BIAO de virement d'espèces de France vers le Mali, relevés bancaires réguliers, attestations des agences bancaires parisiennes, factures d'achats, enveloppes du courrier reçu à leur nom en France depuis des années, attestations d'hébergement en foyer etc.) et, seuls quelques-uns sont retenus, comme les feuilles de paie ou les rôles d'imposition annuels. Exigences extrêmement restrictives et quasi absurdes quand qu'il s'agit de sans-papiers!

Nous avons constaté que, parmi les sans-papiers, ceux qui n'ont pas de conjoint « légal » ou de parents directs en France, considérés abusivement comme « célibataires sans charge de famille », ont été l'objet d'une discrimination à priori. Ils ont subi tout particulièrement les effets de cette logique du soupçon, et ce, quel que soit leur degré d'intégration à la société française. De nombreux pères de famille contribuent par leur travail à la subsistance des leurs « au pays ». Pourtant, ils sont déclarés « célibataires » et peuvent être expulsés « sans porter une atteinte disproportionnée à leur vie privée et familiale » (sic).

L'esprit de l'opération de « régularisation » n'a pas été celui du droit mais celui du contrôle policier

L'essentiel se résume dans le choix du gouvernement d'attribuer la responsabilité des décisions de régularisation aux préfectures en procédant au cas par cas. Des pays tels que l'Espagne, l'Italie ou la Belgique n'ont pas procédé ainsi mais ont régularisé massivement en faisant appel à des commissions indépendantes.

Les fonctionnaires travaillant aux guichets des préfectures ne sont pas entièrement responsables des discriminations observées. Les différentes circulaires du Ministère de l'Intérieur et la hiérarchie préfectorale ont largement donné le ton de la « rigueur policière » (Cf. annexe 3 : Quels droits face aux préfectures de police?).

De plus, la loi donne tout l'arsenal nécessaire aux préfectures pour imposer arbitrairement les refus et les assortir de sanctions (Cf. Annexe1 : Analyse de la CNCDH sur le projet de loi Chevènement). Ainsi, la notion nébuleuse de « trouble à l'ordre public » s'avère redoutable. Elle est systématiquement utilisée pour refuser une régularisation au motif d'un délit passé, même celui-ci est mineur, même si la peine a été purgée, et parfois même le si casier est redevenu vierge. Lors d'interpellations, le délit peut aussi être totalement imaginaire (pied sur une banquette dans un train, traversée de la rue en dehors des passages piétons, papier jeté sur le trottoir...) mais impossible à réfuter face à une déclaration d'agent de police assermenté. Le « trouble à l'ordre public » permet aussi de motiver une expulsion ou une interdiction de territoire.

 

 

II. Recueil de dossiers de demandes de régularisation suivis par le Collectif des citoyens du XIVe

Les exigences absurdes des préfectures sur les « preuves de l'ancienneté du séjour »

Les conséquences perverses d'une demande de régularisation...

Vie privée et familiale

Personnes atteintes de pathologies graves

Pratiques policières....

 

 

III. La loi Chevènement reste dans la logique des lois Pasqua-Debré et porte atteinte aux droits de l'homme

Les observations détaillées précédemment ne valent pas uniquement pour l'opération de « régularisation » passée. Nous constatons aujourd'hui que les exigences des préfectures pour obtenir un titre de séjour dans le cadre de la loi Chevènement sont plus sévères encore. Des interprétations très restrictives des textes de loi ont été préconisées dans les circulaires d'application. Réduisant presque à néant les quelques avancées de la loi Chevènement (Cf. Annexe 2 : Refus de régularisations au titre de la loi des « dix ans »).

La loi actuelle sur « l'entrée et le séjour des étrangers » reste une loi policière destinée avant tout à surveiller et punir. Elle attribue un pouvoir arbitraire et démesuré aux préfectures. En conséquence, les droits effectifs des sans-papiers sont presque inexistants face aux décisions préfectorales et aux pratiques policières (Cf. Annexe 3 : Quels droits face aux préfectures de police?).

L'inhumanité des lois Pasqua-Debré-Chevènement est flagrante quand on considère le sort réservé aux Algériens (Cf. Annexe 4 : L'inhumanité de la loi : l'exemple des Algériens) ou d'autres récits de vies détruites.

En Conclusion, il apparaît clairement que, contrairement a ce qui est régulièrement déclaré par le gouvernement Jospin, la loi Chevènement n'a pas supprimé les dispositions discriminatoires et portant atteinte aux droits de l'homme des lois Pasqua-Debré.

Comme le soulignait l'analyse de la Commission Nationale Consultative sur les Droits de l'Homme, l'esprit de la loi Chevènement est le même que celui de ses prédécesseurs (Cf. Annexe 1 : Analyse de la CNCDH sur le projet de loi Chevènement). Les conséquences de la loi actuelle sont aussi les mêmes. Comme en témoignent les données ci-dessous, les expulsions se poursuivent à un rythme soutenu et touchent des personnes intégrées.

Données statistiques sur un échantillon 492 personnes en rétention (Rapport CIMADE 1998)

Exemples d'expulsions de personnes intégrées à la société française

cas observés en 1998 et 1999 par le Comité de vigilance contre les expulsions de Toulouse

Quelques statistiques sur la persistance de la criminalisation du séjour irrégulier...

 

 

Annexes sur la loi Pasqua-Debré-Chevènement

Annexe 1 : Analyse de la CNCDH sur le projet de loi Chevènement

La Commission Nationale Consultative sur les Droits de l'Homme (CNCDH) avait alerté les pouvoirs publics sur les dangers du projet de loi Chevènement. En particulier, elle mettait en garde sur différents points :

Annexe 2 : Refus de régularisations au titre de la loi des « dix ans »

(extrait du journal Le Monde du 15 novembre 1999)

Le « troisième collectif » de sans-papiers a déposé à la préfecture de Paris 25 « dossiers béton » au titre de la loi des « 10 ans » : tous ont été refusés. 150 dossiers ont été envoyés au médiateur de la République par l'Association des travailleurs turcs (ATT), sans résultat.

Les motifs de refus opposés par les préfectures varient d'un département à l'autre. Première raison invoquée, l'insuffisance des preuves fournies. C'est le motif objecté à ce Malien, entré en France le 21 février 1988, qui a fourni au moins deux preuves par an de sa présence sur le territoire français ; la préfecture de police de Paris explique le rejet de sa demande parce qu'il n'est « pas parvenu à réunir suffisamment de preuves de la réalité de [sa] présence », tout en listant, quelques lignes plus loin, les fameuses preuves présentées : « des enveloppes cachetées à son nom, (...) des factures manuscrites, des versements bancaires en espèces (...) , deux certificats médicaux et un duplicata de feuille de soins ». Ou cet Algérien copropriétaire d'un bar qui, après avoir fourni la photocopie de son acte de propriété du fonds de commerce, ses avis d'imposition, les relevés de banque attestant ses remboursements d'emprunt, se voit opposer « l'insuffisance de preuves ».

L'insuffisance de ressources semble également revenir comme un motif classique de refus alors qu'elle ne figure dans aucun texte. Ainsi M. Whu, jeune Chinois arrivé à l'âge de 16 ans chez ses parents et ses deux frères (tous munis d'une carte de résident), s'est vu reprocher par la préfecture de police l'« absence de ressources régulières ». Il avait pourtant présenté ses bulletins de paye pour les deux années où il était demandeur d'asile, une promesse d'embauche pour 1999, force factures et enveloppes adressées à son nom. « Il est arrivé mineur chez ses parents, toute sa famille est ici. Mais on lui refuse sa carte parce qu'il a des revenus insuffisants ! Son seul tort est d'avoir vingt-six ans », assure Elisabeth Allès, sinologue et animatrice du « troisième collectif ».

Quand certains ont la chance de pouvoir montrer des fiches de paye, elles sont mises en doute : un Malien qui a pu produire des bulletins de salaire pour les années 1988 à 1991 et 1993 à 1997 s'est vu répondre de façon énigmatique qu'ils ne pouvaient être pris en considération, car les entreprises les ayant émis « ne pouvaient employer de la main-d'oeuvre salariée ». D'autres motifs peuvent être sortis du chapeau de l'administration : rejet des relevés sous prétexte que l'intéressé pouvait se trouver à l'étranger, rejet des attestations émanant de personnes privées, rejet des factures non émises par un système informatique... Tous les documents qui ne proviennent pas d'organismes officiels sont ainsi sujets à caution. « La culture préfectorale est toujours d'appliquer les lois dans un sens restrictif et de repérer le fraudeur », explique-t-on au Gisti.

Enfin, l'absence de justification du visa de long séjour revient dans nombre de refus. L'obligation de présenter ce document pour entrer en France figure dans l'ordonnance de 1945. Mais la circulaire d'application a précisé qu'un titre de séjour doit être délivré aux étrangers « dont les conditions d'entrée en France constituent un obstacle à la délivrance d'un titre de séjour, mais qui ont pu tisser des liens personnels du fait de l'ancienneté de leur séjour ». On ne peut donc arguer de l'absence d'un visa de long séjour pour refuser une régularisation par la loi. « C'est un détournement manifeste. Les pratiques de guichet sont tellement restrictives qu'il doit y avoir eu des consignes du ministère », estime Emmanuel Terray , directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), animateur du « troisième collectif » et ancien gréviste de la faim.

Annexe 3 : Quels droits face aux préfectures de police ?

Depuis des années, des membres de la CIMADE assistent aux audiences dites « du 35bis », qui se déroulent dans une petite salle du Tribunal de Grande Instance de Paris. Chaque jour, des dizaines d'étrangers sous le coup d'une procédure d'expulsion ou de reconduite à la frontière y comparaissent devant un juge délégué qui décidera s'ils seront ou non maintenus en rétention administrative. Danielle Deriaz nous livre son témoignage sur deux affaires auxquelles elle a assisté.

Contrôles « au faciès »

A deux reprises, des étrangers sans-papiers ont été contrôlés et arrêtés devant la Préfecture, à Toulouse. Ils venaient pourtant, sur rendez-vous, y déposer un dossier de demande de régularisation.

Les policiers n'avaient par ailleurs aucune réquisition pour effectuer des contrôles d'identité dans ce périmètre et à cette heure. Ces failles juridiques ont conduit le Tribunal à relâcher la personne concernée. Au cours de la 2e audience, les policiers ont affirmé ne posséder aucune des pièces que les sans-papiers ont déclaré avoir sur eux au moment de l'arrestation. Lors de leur séjour au centre de rétention pour étrangers de Toulouse, ils ont juste dit que leur dossier comportait leurs justificatifs de domicile, de revenu, leurs pièces d'identité, leur passeport...
(D'après un Collectif Toulousain.)

Droit des femmes ?

KC est une jeune malienne de 24 ans en situation irrégulière, fragilisée. Après une sortie en boîte, un homme l'embarque chez lui, la bat et la viole. Le lendemain KC est prise en charge dans un hôpital. Un avocat assure qu'il n'y a aucun risque si CK dépose une plainte pour viol.

CK décide de porter plainte et se rend au commissariat central de Toulouse. A 15h10 KC est amenée seule dans un bureau du commissariat, dont elle ne ressortira pas car le fonctionnaire de la brigade des moeurs, la retient en garde-à-vue au motif de sa situation irrégulière. Au commissariat, on parle de procédure de reconduction immédiate à la frontière !
(D'après François P.)

Utilisation arbitraire du trouble à l'ordre public et ses conséquences

A Toulouse, un Angolais, concubin d'une congolaise (régularisée au titre de la circulaire de juin 1997), et père d'un enfant (né en France fin 1996). Il a été arrêté à sa sortie de prison, un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF) lui a été notifié et il a été expulsé le 29 novembre 1998.

Pourtant, il etait régularisable au titre de la circulaire de juin 1997. Alors que la peine avait été purgée et qu'aucune juridiction n'avait prononcé une interdiction du territoire, la préfecture a invoqué le « trouble à l'ordre public » et ainsi n'a pas tenu compte de la situation familiale.

Lors d'un jugement rendu au tribunal de grande instance (TGI) qui a eu lieu pendant la durée de la rétention, le juge a pu dire, en lisant les attendus du jugement, qu'il n'y avait pas atteinte à la vie familiale alors même qu'étaient présents dans la salle du tribunal la compagne et l'enfant de la personne retenue!

 

 

Annexe 4 L'inhumanité de la loi. L'exemple des Algériens

Le nombre d'Algériens expulsés s'élevait à une trentaine par semaine en 1998. Seuls 6% des Algériens qui ont fait une demande d'Asile Territorial au Ministère de l'Intérieur ont reçu un avis favorable...

Voici des témoignages d'Algériens recueillis en centre de rétention par la CIMADE en février et mars 1998 :

 
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