RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
Premier Ministre

Commission nationale consultative des droits de l'homme
[sommaire]


  • 3 juillet 1998 : avis sur le réexamen des dossiers des « sans-papiers » déboutés

    
    
    
    AVIS CONCERNANT
    LES CONDITIONS DE REEXAMEN DES DOSSIERS
    DES " SANS PAPIERS " DEBOUTES

    (adopté par l'assemblée plénière du 3 juillet 1998)

    - Emue de la gravité de la situation de milliers d'étrangers en situation irrégulière, dits " sans papiers " dont les demandes de régularisation ont été déboutées au terme de la circulaire du 24 juin 1997 du Ministre de l'Intérieur, et particulièrement ceux d'entre eux qui entreprennent des grèves de la faim ;

    - Rappelant ses avis du 12 septembre 1996, portant sur l'admission au séjour d'étrangers dits " sans papiers ", et du 14 novembre 1996, sur le projet de loi portant diverses dispositions sur l'immigration, qui demandaient au Gouvernement d'accorder la régularisation, dans le meilleurs délais, au séjour d'étrangers faisant partie de six catégories déterminées ;
    ainsi que sa proposition de confier au Médiateur de la République une mission de suivi, en liaison avec les services compétents, de l'instruction des demandes de régularisation ;

    - Rappelant son avis du 11 janvier 1995, concernant l'accueil en France d'Algériens menacés dans leur vie et dans leur liberté, qui proposait au gouvernement que des titres de séjour soient plus largement accordés aux Algériens - ne requérant pas le statut de réfugiés - mais qui les demandent en raison des menaces qui pèsent sur leur sécurité et leur liberté ;
    et que la plus grande prudence soit adoptée dans l'exécution des mesures d'éloignement prononcées à l'encontre de ressortissants algériens ;

    - Rappelant sa note d'orientation du 3 juillet 1997 sur le droit des étrangers et son avis du 1er octobre 1997, sur le projet de loi relatif à l'entrée et au séjour des étrangers en France et à l'asile, particulièrement en ce qui concerne les propositions portant sur le traitement des étrangers ayant troublé l'ordre public ;

    - Constatant que la mesure de régularisation, telle que mise en oeuvre à ce jour, a débouté un nombre significatif de demandeurs, et qu'il n'est ni faisable, ni souhaitable d'expulser massivement des dizaines de milliers de personnes. Mais qu'il n'est pas acceptable non plus d'enfermer celles-ci, pur un temps indéterminé, dans la clandestinité et dans le désespoir ;

    - Prenant acte des déclarations répétées du Premier ministre, du Ministre de l'Intérieur et d'autres membres du Gouvernement selon lesquelles les opérations de régularisation entreprises à partir de juillet 1997 se seraient inscrites dans le cadre des critères de régularisation proposés par la CNCDH, eux-mêmes proches de ceux présentés en mai 1996 par le Collège des médiateurs ;

    - Relevant toutefois que la circulaire du 24 juin 1997, et l'application qui en a été faite par les Préfectures ont conduit à des résultats qui sont considérablement éloignés de ces critères ; que là est sans doute la source des difficultés persistantes qui ont engendré la déception légitime des intéressés.

    - Contatant que la mise en oeuvre de l'opération a été fondée, en effet, sur la distinction tranchée entre des catégories de populations, certaines relevant de la régularisation, d'autres n'en relevant pas ; que l'exigence de preuves documentaires, seules à même d'établir ces distinctions, a représenté une difficulté insurmontable pour la majorité des étrangers concernés.

    - Remarquant que, profondément différents dans leur esprit, les critères proposés par la CNCDH reposent sur une prise en compte des situations concrètes de chacune des personnes ; qu'ils supposent une appréciation de ces situations individuelles dans leurs divers aspects, éventuellement cumulatifs - particulièrement en ce qui concerne le critère de " bonne insertion dans la société française "- qui ne relève pas seulement de la founiture de pièrces officielles, mais doit être appréciée à travers tous moyens de preuve ;
    et que toute procédure fondée sur une logique du soupçon ne peut aboutir qu'à un échec ;

    - Estimant dès lors que, dans la mesure où le Gouvernement affirme que ces critères sont les siens, il s'avère indispensable que les personnes auxquelles un refus de régularisation a été opposé puissent obtenir un réexamen de leur demande, en réelle conformité avec l'esprit et la logique de ces critères ;

    - Relevant en outre que les disparités de solution entre différentes Préfectures face à des demandes concernant des situations personnelles de même nature -telles que constatées par la Commission sénatoriale d'enquête sur les régularisations d'étrangers en situation irrégulière - constituent une rupture du principe d'égalité et appellent un réexamen cohérent des demandes ;

    - Considérant que le Médiateur de la République, autorité indépendante, exerce selon la loi une double mission : il reçoit les réclamations individuelles transmises par l'intermédiaire des parlementaires et présente des recommandations à l'administration : à l'occasion de ces réclamations, il propose des réformes.

    En conséquence :

    1. La Commission nationale consultative des Droits de l'homme, en raison de l'urgence née de la situation actuelle, demande :

      1. qu'indépendamment des réclamations individuelles dont le Médiateur de la République peut être saisi en la matière par l'intermédiaire de parlementaires, soient mises en place par le Gouvernement les conditions qui permettront le réexamen des dossiers des " sans papiers " déboutés, et cela dans les délais les plus rapides ;

      2. que le Premier ministre popose au Médiateur de la République de mener une mission de réflexion et de propositions portant sur les critères de régularisation des étrangers en situation irrégulière, ainsi que sur leur interprétation et leur mise en oeuvre ; mission dont les conclusions seront rendues publiques ;

      3. que le Médiateur de la République soit assisté dans l'exécution de cette mission par un Conseil consultatif ;

      4. que ce Conseil consultatif soit composé de persones reconnues pour leurs compétences en ce domaine, de magistrats de l'ordre judiciaire et administratif, d'universitaires, désignés par le Médiateur de la République, en coordination avec la CNCDH ;

    2. La Commission nationale consultative des droits de l'homme regrette de ne pas avoir été consultée sur la nouvelle procédure envisagée par le Gouvernement.

      En l'état des informations dont elle dispose, elle ne peut y donner un avis favorable dans la mesure où :

      1. la Commission consultative proposée -qui ne comporte que trois magistrats - est majoritairement composée de fonctionnaires d'autorité ;

      2. la mission de cette Commission -qui ne fait l'objet que d'un communiqué du ministère del'Intérieur- est insuffisament définie, notamment en ce qui concerne l'examen de ce cas individuels.

    3. Quelle que soit la procédure finalement retenue, la Commission nationale consultative des droits de l'homme insiste pour que les procédures de reconduite à la frontière relatives aux personnes concernées soient suspendues.