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Pour mémoire...
«Dans l'Eglise, nul n'est étranger et l'Eglise n'est étrangère à aucun homme ni à aucun lieu. En tant que sacrement d'unité, et donc signe et force de regroupement de tout le genre humain, l'Eglise est le lieu où les immigrés en situation illégale eux aussi sont reconnus et accueillis comme des frères. Les différents diocèses ont le devoir de se mobiliser pour que ces personnes, contraintes à vivre en dehors de la protection de la société civile, trouvent un sentiment de fraternité dans la communauté chrétienne. La solidarité est une prise de responsabilité à l'égard de ceux qui sont en difficulté. Pour le chrétien, le migrant n'est pas simplement un individu à respecter selon des normes fixées par la loi, mais une personne dont la présence l'interpelle et dont les besoins deviennent un engagement dont il est responsable. "Qu'as-tu fait de ton frère?" (Jean 4,9). La réponse ne doit pas être donnée dans les limites imposées par la loi, mais dans l'optique de la solidarité.»
Une fois n'est pas coutume, nous sommes d'accord avec ce message du pape Jean-Paul II. Nous voulons obéir à cet appel auquel, pour l'instant, sa propre Eglise n'obéit pas. C'est pourquoi depuis le vendredi 29 mars jusqu'à aujourd'hui même, les Théâtres de la Cartoucherie, Epée de Bois, Chaudron, Soleil, Tempête, Aquarium, ont accueillis à leur tour les étrangers errants, qui, de Saint-Ambroise au gymnase Japy, tentent, comme ils le peuvent, de sortir de l'impasse dans laquelle les lois Pasqua les ont placés.
Aujourd'hui, ils se sont installés dans un autre lieu, et nous voulons continuer à les accompagner.
Il y a, parmi eux, des épouses et des époux d'étrangers en
situation régulière, auxquels on n'a pas accordé le droit
au "regroupement familial", pourtant prévu par des conventions
internationales.
Il y a des enfants étrangers nés en France et leur parents. La
loi française ne prévoit plus de leur faire une place.
Il y a des parents étrangers d'enfants français. Si la loi
française empêche leur expulsion, elle interdit leur
régularisation. Comme pour les conjoints étrangers de
Français, elle en fait donc des clandestins institutionnels.
Il y a des jeunes qui ont passé presque toute leur existence de mineurs
en France ; mais la loi est ainsi faite que, à l'heure de leur
majorité, même ceux là ne sont plus tolérés
dans l'Hexagone.
Il y a aussi des étrangers qui craignent pour leur
sécurité s'ils sont renvoyés d'où ils sont venus
pour demander, en pure perte, la protection de la France.
Bref, parmi ces trois cent étrangers dont on ne veut pas, il existe
quantité de personnes que le simple bon sens impose d'accueillir, mais
la loi française ignore désormais à la fois le bon-sens et
la fraternité.
Cela dit, les familles africaines, les associations qui les soutiennent, et les théâtres qui les ont hébergés sont plus que jamais déterminés à ouvrir la voie à un dialogue avec le gouvernement.
C'est pourquoi ils ont souhaité que soit constitué un
Collège de médiateurs.
Vous trouverez, dans le hall d'accueil, la liste des personnalités qui
ont acceptés d'en faire partie.
Afin de laisser ce collège travailler avec la sérénité nécessaire, les sans-papiers ont décidé de surseoir à la grève de la faim, qu'ils devaient reprendre dès ce jour.
Pendant l'entr acte, nous procèderons à une collecte pour pourvoir aux besoins les plus pressants;
Merci.
25 août 1996 | La Cartoucherie |
Vous nous avez réveillés.
Le cadeau le plus précieux que l'on puisse faire à son semblable est de le tirer du sommeil des émotions humaines qui est si proche de la mort et dans lequel la lourdeur vénéneuse du mauvais air politique plonge tout un peuple parfois pendant des mois parfois pendant des années.
Aujourd'hui nous sommes malheureux, inquiets, furieux, enragés, nous avons peur de vous perdre, nous avons des dizaines de peurs avec vous, pour vous, pour nous. Nous avons peur du mal et du pire qui risque d'arriver ; nous avons peur sur deux continents, dans plusieurs pays et plus encore. Nous avons horreur de l'obstination dans la bêtise et des durcissements du coeur et du cerveau de bien de nos concitoyens qui s'enorgueillissent de leurs péchés et de leur inhumanité.
Nous sommes amers et malheureux, mais il faut le dire, entre nous, nous
sommes heureux.
Car ceux dont la flamme a été ranimée par des amis,
frères, soeurs, semblables, ont pour eux la joie secrète de la
résurrection citoyenne.
Vous nous avez ranimés, vous avez nourri nos pensées et nos
désirs avec vos jeûnes.
Vous avez fait circuler dans nos veines la chaleur humaine qui tient la
mémoire en vie.
Vous avez fait naître et renaître en nous la pulsion
d'union.
D'un côté nous vous avons apporté notre soutien, notre sympathie, notre amour. Mais de l'autre côté c'est vous qui nous avez apporté votre amour et votre force. Car la faiblesse et la force ne sont pas où l'on croit. Et même si la force brutale et militaire vient s'abattre sur des personnes désarmées et sans violence, elle n'écrase que des apparences. Tout le monde sait déjà ou saura demain que la vraie force, celle des âmes, celle qui émane de votre courage réuni, n'a perdu qu'un petit bout de terrain mais a conquis en réalité la plus grande partie vivante de ce pays, dont le gouvernement vous renie et nous renie avec vous.
Ce gouvernement qui s'est volontairement comporté en ennemi, en
groupe brutal et stupide, est éphémère, il est
déjà virtuellement passé. Sa dureté donne
d'ailleurs la mesure de son sentiment de fragilité.
Par contre vous avez appelé en nous une armée de bonnes
volontés qui ne laisseront pas perdre votre message de
résistance.
Jour après jour, sous votre influence et autour de votre
présence, nous avons vécu plus large. Nous avons
été amenés à traverser nos propres
frontières personnelles, notre égoïsme, notre fatigue, notre
inattention, pour aller avec vous.
Il se trouve que c'est vous, en cette année 1996, qui avez introduit
sur ce territoire une petite mais puissante quantité d'espoir.
Vous avez semé ici, cette année, les germes d'un vingt-et-unième siècle où vous et les vôtres - qui sont aussi les nôtres - ne devront plus être et ne seront plus les prisonniers ou les rejetés d'une République de travers et de mauvais aloi.
Ce que vous avez fait pour nous en crevant le silence et la surdité, nous ne pouvons pas encore aujourd'hui en mesurer toutes les dimensions, nous le verrons mieux dans les temps prochains. Mais déjà nous vous devons, merveilleux paradoxe, la sorte de France dont nous rêvons et à laquelle nous vouons le meilleur de nous-mêmes : celle qui est descendue autour de la petite église Saint-Bernard pour faire à cet asile des ceintures de sacré, celle qui s'est répandue dans les rues pour rappeler qu'elle existe la France qui ne veut pas être la ratatinée et desséchée des ministères, mais la généreuse qui peut encore parler avec la voix de Victor Hugo !
Et pendant qu'on vous embarquait dans des autocars blindés et qu'on
vous enfermait dans des coffres, le juste miracle c'est que votre action
donnait à la liberté des forces renouvelées.
Il faut que ce soit vous, qui êtes issus du berceau de
l'humanité, qui veniez frapper à notre porte (sans la fracasser
à coup de hache !) pour rappeler à ces Français que vous
voulez adopter que l'exclusion exclue l'exclueur autant que l'exclu, et que les
emprisonneurs deviennent les prisonniers des prisonniers.
Votre lutte tenace et digne a fait résonner tant de messages essentiels. Au-delà du combat, parce qu'elle était si belle, elle aura été pour nous tous une leçon de morale et de pensée. Vous nous êtes désormais inoubliables.
Nous pouvons nous réjouir d'avoir vécu et agi et senti ensemble en faveur de temps plus justes.
Merci, très chers amis, d'avoir été plus grands par la confiance que ceux qui vous ont répondu par l'indifférence et le mépris.
A nous, vous avez fait le plus grand bien.
Emmanuelle Béart, Christine Citti, Olivier Guespin, Valérie Lang, Laurent Levy, David Moreau, Stanislas Nordey et Marina Vlady
lu par Christine Citti à la conférence des "sans papiers" de Saint-Bernard, le 26 août 1996, à la Bourse du Travail de Paris
Monsieur Jean-Louis Debré nous avait dit ...
"La loi sera appliquée avec fermeté mais humanité"
La fermeté !
Quelle fermeté y a-t-il à opprimer, brutaliser, expulser,
emprisonner, insulter trois cents hommes, femmes et enfants,
désarmés et démunis ?
Chez nous, cette fermeté porte un nom : Lâcheté !
L'humanité !
Quelle humanité y a-t-il à séparer les blancs des noirs ?
A menacer et terroriser des enfants ou des femmes par la loi de la hache ou de
la matraque ?
A entasser des gens dans des cars pour les conduire dans un lieu où,
pendant de longues heures, ils n'auront ni à manger, ni à boire,
ni autorisation de faire réchauffer les biberons des enfants ?
Cette humanité porte un nom : Racisme !
Nous avons entendu des discours lyriques, nous en avons vu les applications barbares.
Qui sont ces hommes qui nous gouvernent ?
Quelles lois humaines ou divines les poussent à mépriser leur
prochain ?
Dans l'église Saint-Bernard où résidaient trois cents
Africains sans papiers, les femmes lavaient le sol chaque matin... à
l'eau de javel. L'église était propre, respectée,
vivante.
Dans quel état se trouvait-elle après le départ des gardes
mobiles ?
La loi est la loi... Mais si la loi opprime, réprime et avilit, il faut combattre la loi.
Nelson Mandela, après de longues années de réclusion, est
devenu Président de l'Afrique du Sud.
Vaclav Havel, poète, écrivain torturé, emprisonné
dans les geôles de Tchécoslovaquie, est aujourd'hui
Président de la République tchèque.
Parmi les enfants "sans papiers" de l'église Saint-Bernard, il y avait peut-être celle ou celui qui deviendra un jour Président de la République française.
Vendredi matin, au commissariat où les "sympathisants" avaient
été emmenés après la rafle, un policier
français m'a demandé si mes enfants n'avaient pas honte de
moi...
Si un homme se noie devant moi, je me jetterai à l'eau pour le
sauver.
Monsieur le Président, si vous croyez que nous avons eu tort de
défendre les Africains de Saint-Bernard, expliquez-nous pourquoi.
Nous continuerons à combattre toute forme de discrimination sociale,
raciale ou culturelle.
Nous ne voulons pas avoir honte de ceux qui nous gouvernent.
Je lui ai répondu : "Non monsieur, ils sont fiers de moi ! "