par Madjiguène Cissé | [bok.net/pajol] |
LES hôtes qui nous ont naguère hébergés c'était hier ! - m'ont offert ce lieu pour que je puisse tous vous saluer avant mon départ, pour que nous puissions nous retrouver. Nous tous qui, depuis tant de mois, tant de jours et de nuits, nous battons ensemble, j'aimerais qu'ensemble encore, nous établissions le programme de nos luttes de demain.
Au travail donc, même si c'est dimanche !
Des papiers ! Des papiers pour tous !
Ce mot d'ordre a maintenant une longue histoire. Malgré toutes les tentatives de l'étouffer, il est devenu notre bien commun. Et aujourd'hui, et demain, de Lille à Toulouse, en passant par Clermont-Ferrand, Lyon, le Havre et Paris, Strasbourg, Marseille, il est le défi lancé à l'injustifiable par des milliers de femmes et d'hommes d'honneur.
Il y a toujours des dizaines de milliers de sans-papiers en France et dans toute l'Europe.
Cette réalité est cruelle. Mais ce n'est pas une fatalité.
En sortant de l'ombre, nous avons fait toute la lumière sur la xénophobie d'État.
Nous sommes aujourd'hui sortis de l'ombre : l'injustifiable fait toujours sa loi.
Nous sommes sortis de l'ombre : c'est notre victoire. Mais une victoire fragile qu'on veut sans cesse nous voler.
Déjà en 1996, entre Saint-Ambroise et Saint-Bernard, notre ami et frère Jacques Derrida s'interrogeait : « Commencerions-nous à nous habituer à cette expression «l'être » « sans-papiers » ? à la situation, au statut sans statut du « sans-papiers ? »
Ainsi on pourrait bien s'habituer aux sans-papiers à condition qu'ils ne prennent pas la parole, qu'ils ne dérangent pas outre mesure.
Il nous faut nous battre ensemble
Il nous faut réfléchir encore et toujours ; il nous faut penser à nouveau le combat. Trouver la méthode. Pendant ces années, combien d'heures avons-nous passées à discuter ensemble ? Peu de luttes ont été aussi bavardes : il faut dire qu'entre les occupations, les gardes de nuit et les gardes à vue, nous en avons eu du temps. Ce temps il faut savoir de nouveau le prendre pour faire le bilan et dégager des perspectives.
Il nous faut de nouvelles victoires
Vous, otages de l'Europe forteresse, otages des concessions, des compromis, des consensus, au nom de ce Dieu bizarre qu'on appelle l'argent.
Nous, spoliés de nos richesses et esclaves de vos conforts.
Otages ici, esclaves chez eux, les sans-papiers en lutte incarnent au plus haut point ce qu'est le combat pour la dignité, la liberté.
Consciemment ou intuitivement, des milliers d'hommes et de femmes se sont placés à nos côtés. Ils ne seront pas tous là dimanche, mais c'est aussi cela que je veux fêter : ce pied de nez historique que nous avons fait ensemble à ces images avilies de l'humanité que les faiseurs d'opinion avaient failli nous faire prendre pour vérité.
Aucun pouvoir, si puissant soit-il, ne peut, en nous privant de papiers, décréter, que nous ne sommes rien. Au contraire, nous sommes tout ce que l'humanité peut espérer de meilleur. C'est pour cela que tant de gens se sont reconnus dans notre combat.
Je quitte donc comme disait Fanon « cette Europe qui n'en finit pas de parler de l'homme tout en le massacrant partout où elle le rencontre, à tous les coins de ses propres rues, à tous les coins du monde ». Mais je ne lui tourne pas le dos, puisque vous êtes là.
Paris, le 16 janvier 2000
Madjiguène Cissé
Dimanche 25 juin donc, retrouvons-nous tous à la Cartoucherie
De 12h à 24h
Au Programme: