COLLÈGE DES MÉDIATEURS POUR LES AFRICAINS DE LA RUE PAJOL | [collège] |
Ayant été sollicités par les Africains d'abord regroupés dans l'église Saint-Ambroise et ensuite dans des locaux de la SNCF situés rue Pajol, d'agir pour eux comme médiateurs auprès des pouvoirs publics, nous avons d'abord tenté d'intervenir afin que soient régularisés tous ceux qui doivent l'être par application de critères conformes au respect rigoureux des droits de l'homme.
Ces démarches commencées il y a plusieurs semaines ont été concomitantes d'une grève de la faim menée par plusieurs dizaines d'entre les intéressés qui a pris fin le 20 mai, puis par une occupation de la Mairie du XVIIIème arrondissement, par des femmes de Pajol. Ces actions ont démontré l'extrême détermination des personnes concernées. Dans son ensemble, le mouvement de ces Africains a témoigné de leur volonté de sortir de situations d'irrégularité.
Notre action auprès du gouvernement a malheureusement mené à un résultat inacceptable, par le très petit nombre de régularisations obtenu.
Pour ceux dont les demandes ont été rejetées, comme pour tous ceux infiniment plus nombreux qui vivent dans notre pays en situation irrégulière, nous nous retrouvons face aux aberrations de la législation en vigueur et au caractère inadmissible de la politique française à l'égard des étrangers.
Soucieux de prendre position en termes généraux, nous avons appelé le gouvernement à ouvrir la voie à une politique de l'immigration et de l'asile totalement renouvelée sur la base du texte suivant.
POUR UN RENOUVELLEMENT COMPLET DE LA POLITIQUE À L'ÉGARD DES ÉTRANGERS
Ainsi un ensemble de textes archaïque et rapiécé, constitué de strates anciennes et de nouvelles mesures toujours plus restrictives, dessine-t-il les contours d'une politique qui exprime une méfiance systématique à l'égard des étrangers. Cette politique entraîne une précarisation de plus en plus grande du processus d'intégration qui était central jusqu'ici dans le système français et en faisait l'originalité.
A la lumière de la crise économique et morale que traversent les sociétés développées, naît et grandit un sentiment de peur irraisonnée qui se traduit par une préoccupante montée du racisme et de la xénophobie. Le spectre de l'invasion et l'idée d'une menace sur des richesses qui seraient "nationales" sont au coeur de l'idéologie des mouvements d'extrême-droite. Les responsables politiques n'osant s'en prendre frontalement à ces idées qui gangrènent peu à peu la conscience nationale, adoptent une attitude défensive qui cautionne la crainte de l'envahisseur à l'extérieur et la chasse au clandestin à l'intérieur. Ainsi législation et pratique administrative se durcissent-elles rapidement avec l'espoir que le visage de la nation ainsi devenu repoussant (au sens propre) contiendra hors des frontières "toute la misère du monde". Et l'immigration est manipulée comme un enjeu dans le combat entre les formations politiques en France comme dans toute l'Europe.
Le nombre de personnes se voyant accorder le droit d'asile a ainsi décru considérablement et le nombre même de demandeurs diminue tant est forte la dissuasion, alors que les situations de violations des droits politiques élémentaires dans l'ensemble des pays du monde n'ont à l'évidence pas diminué, tant s'en faut. La notion d'asile apparaît ainsi détournée arbitrairement. Elle est davantage fondée sur l'intérêt supposé du pays d'accueil que sur la seule réalité de la persécution et de l'intérêt du demandeur. Les accords de Schengen ont exprimé et renforcé la coopération entre pays européens dans leur souci de circonscrire étroitement l'accueil des étrangers persécutés.
Cette même législation fige des irrégularités anciennes ou légères, entravant la régularisation ultérieure. Elle ignore des situations réelles dans les pays d'origine de la migration (enfants recueillis mais non adoptés). Elle engendre la suspicion systématique, notamment en matière de mariage d'un ou d'une national(e) avec un étranger ou une étrangère. Les enfants d'étrangers, lorsqu'ils bénéficient d'une régularisation sont le plus souvent privés d'accès au marché du travail et n'ont qu'un titre étudiant, cependant que la venue d'étudiants étrangers en France pour poursuivre leurs études est rendue chaque jour plus problématique. Cette richesse remarquable que constituait pour l'Université française la présence de nombreux étudiants venus d'ailleurs est en voie de disparition, ce qui assèche notre pays dans ses relations internationales pour de nombreuses années et contribue à la régression de la langue et de la culture françaises dans le monde. Les enfants nés en France de parents étrangers sont souvent dépossédés de la possibilité qui leur est ouverte par la loi de devenir français à leur majorité si leurs parents privés de titre de séjour sont contraints au repli dans leur pays d'origine et n'acceptent pas ou n'ont aucune possibilité de laisser leur enfant en France. Enfin l'absence de droit à régularisation pour les parents étrangers d'enfants français ou les conjoints étrangers de français, combinée à l'impossibilité de leur expulsion, multiplie les situations de précarité absurdes et dangereuses, rendant possibles de graves dérives.
Il reste que de nombreux travailleurs étrangers sont maintenus dans l'illégalité alors que notre économie en a besoin. Ils sont désignés au public comme les boucs émissaires des difficultés traversées par la société et certains d'entre eux sont expulsés sous fort projecteur médiatique. Cette situation persiste dès lors que l'administration ne s'est pas dotée d'un dispositif efficace de contrôle et de répression des employeurs clandestins notamment en raison de l'insuffisance du nombre des inspecteurs du travail. Elle n'est pas sans conséquences, à la fois pour les employeurs réguliers qui subissent ainsi une concurrence déloyale et pour les travailleurs dont les conditions de travail sont rendues plus difficiles par l'existence de marchés parallèles.
Il présente deux aspects:
Relevant du Titre VI du traité de Maastricht, c'est-à-dire du pilier intergouvernemental et non du pilier communautaire, la politique d'asile et la politique d'immigration sont considérées comme des questions d'intérêt commun. Le rôle du Parlement européen y est mineur et la compétence de la Cour de justice n'est pas reconnue. Ces carences ouvrent à la France un espace propice à la manifestation de sa force de proposition. Au lieu de participer à un alignement sur des positions communes qui entraîne pour elle une véritable régression, elle doit à sa tradition spécifique de proposer des actions communes novatrices en faveur du respect des droits de l'homme et des droits des réfugiés. Ces actions pourraient prendre la forme de propositions de conventions portant notamment sur des mesures de regroupement familial réellement conformes aux dispositions de la Charte européenne de sauvegarde des droits et des libertés, sur un principe de non-refoulement des demandeurs d'asile dont la requête est en conformité avec la raison d'être du droit d'asile, sur des politiques harmonisées de lutte contre les grands réseaux de recrutement clandestin. Ces conventions devraient prévoir la compétence de la Cour de justice. Enfin dans le cadre du Titre V du traité de Maastricht concernant la politique étrangère, une action commune forte doit être engagée pour mieux définir la politique à mener vis-à-vis des pays d'immigration et rompre avec les méthodes de coopération dans lesquelles la France s'est enlisée depuis des années et dont la preuve est surabondamment apportée qu'elles ne contribuent pas au développement de ces sociétés et ne peuvent donc réduire la demande migratoire.
Enfin, il serait temps de prendre au sérieux les engagements internationaux dans le domaine de la protection des personnes et du respect des droits de l'homme. La France se rassasie d'un discours satisfait sur son rôle spécifique dans ce domaine. Mais les instruments internationaux n'ayant guère de force contraignante et comportant des mécanismes d'application déficients, il est facile de contrevenir par des mesures législatives et encore plus par des pratiques administratives à des engagements qui ne servent que pour la parade verbale. Pourtant, l'Europe se flatte, notamment à travers la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés, de servir de modéle au monde. Elle ne peut plus longtemps contrevenir à l'esprit même des droits de l'homme qui se veut universel, en réservant aux seuls "citoyens" européens le bénéfice de cette convention qui, contrairement aux textes à portée universelle, est assortie d'un mécanisme judiciaire d'application.
L'aide publique au développement est distribuée depuis de nombreuses années, en fonction de critères d'opportunité purement politique et sans souci des conditions du développement humain. L'accroissement de leur dette a conduit certains pays parmi les plus démunis à supporter une charge annuelle d'endettement supérieure à la somme des crédits qui leur sont attribués. Le désordre persistant qui préside au marché des matières premières notamment tropicales, est un facteur aggravant de cet endettement. Les conflits de longue durée qui ravagent souvent les régions les plus pauvres, l'intérêt qu'y prennent les exportateurs d'armes sont indirectement mais largement à l'origine des déplacements durables de population. Les mines antipersonnelles, dont le commerce n'est pas interdit entravent le retour des paysans sur des surfaces considérables de terres agricoles, et donc la reprise de leurs activités, ce qui contribue à l'effondrement de certaines économies en sortie de guerre.
Au terme de ce constat, conscients qu'à travers la dignité des étrangers notre propre dignité nationale se trouve en cause, nous appelons à un bouleversement profond de la politique française pour mettre fin à la déplorable situation présente engendrant misères et injustices, conduisant à la négation des droits humains élémentaires et à un désordre administratif préjudiciable aux intéressés.
Une nouvelle approche de la question des étrangers, claire et lisible pour tous, doit s'exprimer dans une législation totalement renouvelée, coordonnée avec une initiative forte au niveau européen en ce domaine et bien articulée à un véritable renouveau de la politique de coopération avec les pays de migration.
Elle suppose:
Elle doit reposer sur:
Les conséquences doivent en être :
Elle doit comporter: