les collectifs citoyens de Paris
Le Collectif des citoyens du XIVe est constitué d'un regroupement d'associations et de citoyens du XIVe arrondissement de Paris. Une des préoccupations majeures de ce Collectif est de promouvoir une citoyenneté active et effective pour tous. Dans ce cadre, nous nous sommes particulièrement investis aux cotés des sans-papiers dans la lutte qu'ils ont menée pour faire valoir leurs droits.
Nous avons suivi les dossiers de demande de régularisation de 189 sans-papiers. Cette situation nous a permis d'être des témoins directs de l'opération de « régularisation » engagée par le gouvernement actuel. À l'opposé de l'autosatisfaction affichée par Lionel Jospin, le sentiment d'injustice qui nous a amenés aux côtés des sans-papiers ne s'est pas tari, bien au contraire.
Cette opération nous paraît très contestable tant dans son esprit que dans son application pratique. En effet, contrairement à ce que pourrait laisser paraître une vision superficielle et médiatique du problème, il ne s'agit pas de quelques dysfonctionnements isolés. Le suivi régulier des dossiers nous a permis de constater un nombre d'injustices et d'atteintes aux droits trop systématiques pour n'être que de simples accidents.
Pour ceux qui en douteraient encore, nous présentons ici un dossier comportant un recueil de cas représentatifs de ce que nous avons observé et une analyse en forme de bilan de cette opération de « régularisation ».
Mais, outre l'opération de « régularisation », c'est surtout de la loi du 11 mai 1998 dont il s'agit. À propos de la loi Chevènement, le Secrétaire National du Parti Socialiste ou le Ministre de l'Intérieur n'ont de cesse de présenter les avancées « généreuses » ayant permis de supprimer les « errements législatifs »discriminatoires des textes de loi précédents.
Pourtant, pour les étrangers avec ou sans papiers, peu de choses ont changé. Nous constatons la même précarité, la même permanence du mépris et de l'arbitraire administratif, les mêmes injustices, les mêmes violences policières. Et tout cela, dans le cadre de la loi ! En fin de compte, la seule différence avec les gouvernements de droite, c'est peut-être l'hypocrisie...
Parmi les sans-papiers du Collectif des citoyens du XIVe on constate qu'à la fin 1999, seuls 53% de ceux qui étaient régularisables selon les critères de la circulaire de réexamen ou de la loi Chevènement ont bénéficié d'un titre de séjour.
La police possède désormais un fichier comportant les adresses, des informations sur le lieu de travail et sur la vie privée de 60.000 personnes non régularisées. Ce fichier devient lourd de menaces suite à la circulaire Chevènement du 11 octobre 1999 demandant aux préfectures de faire des contrôles dans les « lieux où se concentrent les clandestins » afin d'intensifier les interpellations et les expulsions...
Le Collectif a observé que, l'opération de « régularisation » se transforme souvent en un véritable piège kafkaïen. Suite à un refus de régularisation pour « défaut de preuves » beaucoup de sans-papiers reçoivent un Arrêté Préfectoral de Reconduite à la Frontière (APRF) qui facilite grandement leur expulsion.
De plus, toute personne à qui a été opposé un refus lors de l'opération de régularisation selon la circulaire de juin 1997 se voit systématiquement exclue ultérieurement lors d'une demande de régularisation au titre de la loi Chevènement. Dans certains cas, le premier rendez-vous qui lui permettrait de présenter cette demande est refusé à priori, sans aucun examen du dossier comportant les documents qui témoignent des dix ans de présence en France.
Stéphane Hessel, du Collège des médiateurs, notait, dans une lettre au journal Le Monde du 31 août 1999, que les préfectures avaient appliqué les « textes » avec des « attitudes de soupçon et de rejet à l'égard de tout étranger dont la couleur de peau ou le maniement de notre langue le (...) fait apparaître d'emblée comme indésirable ».
Les préfectures, fidèles à leur tradition administrative, considèrent celui qui fait une demande de régularisation comme un fraudeur présumé coupable. Comme le montre le recueil de cas présenté plus bas, tout prétexte peut être retenu contre le demandeur qui doit prouver son « innocence » afin de bénéficier d'un droit théoriquement garanti par les textes. Ainsi, il faut avoir un passé irréprochable et produire un nombre important de documents « fiables ». Beaucoup de documents sont exclus (feuilles de maladie, d'hospitalisation ; bulletins BIAO de virement d'espèces de France vers le Mali, relevés bancaires réguliers, attestations des agences bancaires parisiennes, factures d'achats, enveloppes du courrier reçu à leur nom en France depuis des années, attestations d'hébergement en foyer etc.) et, seuls quelques-uns sont retenus, comme les feuilles de paie ou les rôles d'imposition annuels. Exigences extrêmement restrictives et quasi absurdes quand qu'il s'agit de sans-papiers!
Nous avons constaté que, parmi les sans-papiers, ceux qui n'ont pas de conjoint « légal » ou de parents directs en France, considérés abusivement comme « célibataires sans charge de famille », ont été l'objet d'une discrimination à priori. Ils ont subi tout particulièrement les effets de cette logique du soupçon, et ce, quel que soit leur degré d'intégration à la société française. De nombreux pères de famille contribuent par leur travail à la subsistance des leurs « au pays ». Pourtant, ils sont déclarés « célibataires » et peuvent être expulsés « sans porter une atteinte disproportionnée à leur vie privée et familiale » (sic).
L'essentiel se résume dans le choix du gouvernement d'attribuer la responsabilité des décisions de régularisation aux préfectures en procédant au cas par cas. Des pays tels que l'Espagne, l'Italie ou la Belgique n'ont pas procédé ainsi mais ont régularisé massivement en faisant appel à des commissions indépendantes.
Les fonctionnaires travaillant aux guichets des préfectures ne sont pas entièrement responsables des discriminations observées. Les différentes circulaires du Ministère de l'Intérieur et la hiérarchie préfectorale ont largement donné le ton de la « rigueur policière » (Cf. annexe 3 : Quels droits face aux préfectures de police?).
De plus, la loi donne tout l'arsenal nécessaire aux préfectures pour imposer arbitrairement les refus et les assortir de sanctions (Cf. Annexe1 : Analyse de la CNCDH sur le projet de loi Chevènement). Ainsi, la notion nébuleuse de « trouble à l'ordre public » s'avère redoutable. Elle est systématiquement utilisée pour refuser une régularisation au motif d'un délit passé, même celui-ci est mineur, même si la peine a été purgée, et parfois même le si casier est redevenu vierge. Lors d'interpellations, le délit peut aussi être totalement imaginaire (pied sur une banquette dans un train, traversée de la rue en dehors des passages piétons, papier jeté sur le trottoir...) mais impossible à réfuter face à une déclaration d'agent de police assermenté. Le « trouble à l'ordre public » permet aussi de motiver une expulsion ou une interdiction de territoire.
La Préfecture refuse la régularisation de Mlle F. au motif qu'elle n'a pas de feuilles de paie ni de certificats spécifiques à chaque semestre passé en France.
Monsieur B. fait une demande de régularisation à la Préfecture en vertu de la circulaire de réexamen. Après un refus, Monsieur B. fait une demande selon la loi des « 10 ans ». La demande de régularisation selon la loi est rejetée car la Préfecture considère qu'il s'agit d'un recours gracieux relatif à la première demande sans élément nouveau !
Par la suite, Monsieur B. fait une demande de recours gracieux. Le recours est considéré irrecevable car plus de deux mois sont écoulés depuis le refus de régularisation. Monsieur B. reçoit par la suite un Arrêté Préfectoral de Reconduite à la Frontière (APRF).
Plus tard, Monsieur B. demande un rendez-vous au centre de réception du Commissariat de Gaité pour refaire la demande de régularisation au titre de la loi des dix ans. Le rendez-vous est refusé car le dossier est soi-disant déjà en cours de traitement à la Préfecture.
Comme Monsieur F. est en France depuis plus de dix ans, il présente une demande de régularisation au titre de la loi. Nouveau refus, pour trouble à l'ordre public : les nouvelles preuves apportées (bulletins de paie et attestations) font apparaître qu'il a utilisé une fausse identité.
Lors d'un rendez-vous à la Préfecture, une fonctionnaire chargée de la réception du dossier de Monsieur D. conseille à sa « marraine » du Collectif de signer une attestation d'hébergement. Ce qu'elle fait. Après cette déclaration, la « marraine » de Monsieur D. reçoit un appel téléphonique du Commissariat pour convoquer Monsieur D. sans explication. Elle se rend au rendez-vous et apprend qu'une enquête judiciaire est en cours. Quelques mois plus tard, alors qu'elle était absente de chez elle, cinq policiers en civil se sont rendus dans son immeuble, ont frappé à sa porte et demandé des renseignements sur elle à ses voisins !
Entre temps, Monsieur B.B. a un enfant avec une jeune femme Algérienne en situation régulière et avec qui il vit avec depuis 1993. Il fait donc une nouvelle demande de régularisation au titre de la loi Chevènement en vertu de l'article « vie privée et familiale ». De nombreuses preuves nouvelles sont fournies (déclarations d'impôt, acte de naissance de l'enfant avec reconnaissance de paternité de Monsieur B.B., déclaration d'autorité parentale commune devant le juge des affaires familiales, déclaration de concubinage, compte commun bancaire, déclaration du propriétaire attestant de la vie commune de Monsieur B.B. et de sa concubine, quittances de loyer, d'électricité etc.).
La Préfecture refuse de nouveau de régulariser Monsieur M. et déclare : « Hormis une déclaration de vie matrimoniale du 22 octobre 1999 et une attestation de votre logeur, vous n'avez pu produire des documents probants de l'ancienneté de votre relation de concubinage » (sic).
Suite à cet événement, le Collectif a adressé un courrier au Préfet de Police pour protester. Un an plus tard, Monsieur T. n'a pas été régularisé. Lors d'un entretien téléphonique avec la préfecture de police, il nous a été dit : « L'affaire est traitée directement par le cabinet. Il n'est pas sûr que vous ayez rendu service à cette personne en écrivant au préfet de police. »
Les observations détaillées précédemment ne valent pas uniquement pour l'opération de « régularisation » passée. Nous constatons aujourd'hui que les exigences des préfectures pour obtenir un titre de séjour dans le cadre de la loi Chevènement sont plus sévères encore. Des interprétations très restrictives des textes de loi ont été préconisées dans les circulaires d'application. Réduisant presque à néant les quelques avancées de la loi Chevènement (Cf. Annexe 2 : Refus de régularisations au titre de la loi des « dix ans »).
La loi actuelle sur « l'entrée et le séjour des étrangers » reste une loi policière destinée avant tout à surveiller et punir. Elle attribue un pouvoir arbitraire et démesuré aux préfectures. En conséquence, les droits effectifs des sans-papiers sont presque inexistants face aux décisions préfectorales et aux pratiques policières (Cf. Annexe 3 : Quels droits face aux préfectures de police?).
L'inhumanité des lois Pasqua-Debré-Chevènement est flagrante quand on considère le sort réservé aux Algériens (Cf. Annexe 4 : L'inhumanité de la loi : l'exemple des Algériens) ou d'autres récits de vies détruites.
En Conclusion, il apparaît clairement que, contrairement a ce qui est régulièrement déclaré par le gouvernement Jospin, la loi Chevènement n'a pas supprimé les dispositions discriminatoires et portant atteinte aux droits de l'homme des lois Pasqua-Debré.
Comme le soulignait l'analyse de la Commission Nationale Consultative sur les Droits de l'Homme, l'esprit de la loi Chevènement est le même que celui de ses prédécesseurs (Cf. Annexe 1 : Analyse de la CNCDH sur le projet de loi Chevènement). Les conséquences de la loi actuelle sont aussi les mêmes. Comme en témoignent les données ci-dessous, les expulsions se poursuivent à un rythme soutenu et touchent des personnes intégrées.
La Commission Nationale Consultative sur les Droits de l'Homme (CNCDH) avait alerté les pouvoirs publics sur les dangers du projet de loi Chevènement. En particulier, elle mettait en garde sur différents points :
La CNCDH déplorait l'imprécision des conditions d'obtention de délivrance des titres de séjour. Elle préconisait le rétablissement d'une Commission de séjour indépendante responsable de l'attribution et du renouvellement des titres de séjour.
La CNCDH dénonçait l'inefficacité voire l'absence de procédures de recours garantissant les droits et la protection effective des demandeurs de titre de séjour ainsi que des personnes retenues en zone d'attente ou en centre de rétention. Elle suggérait aussi la généralisation des procédures suspensives et l'instauration d'instance de contrôle systématique (par des juges, des associations ou une commission indépendante)
La CNCDH dénonçait la condamnation pénale au seul motif de séjour irrégulier. Cette mesure est jugée disproportionnée, et inopérante en matière de politique migratoire. De plus, elle contribue à la suroccupation des prisons et a un effet criminogène. Enfin, elle alimente l'amalgame entre étrangers irréguliers et délinquants.
La CNCDH, considérant la gravité des conséquences d'une expulsion. Dénonçant l'utilisation du seul « trouble à l'ordre public. » La CNCDH préconisait que la décision d'une mesure d'expulsion ne soit prise qu'exceptionnellement. Seul le Ministre de l'intérieur aurait le pouvoir de prononcer cette peine en cas de menace grave et actuelle à l'ordre public.
La CNCDH s'élevait aussi contre la pénalisation de l'« aide au séjour irrégulier » sans préciser « dans un but lucratif ».
Enfin, la CNCDH dénonçait de nombreuses atteintes aux libertés (allongement du délai de rétention, confiscation du passeport, certificat d'hébergement, immobilisation de voitures non particulières par la police)
Des mesures contraires à l'Intégration comme l'attribution de cartes d'un an (statut précaire alors que ceux qui en bénéficient ont vocation à poursuivre une vie en France).
Des mesures discriminatoires favorisant la suspicion (limitation des droits garantis par l'assurance maladie pour les retraités étrangers, vérification de la régularité du séjour par les organismes de gestion de la Sécurité sociale soc, mesures de « contrôle » des mariage mixtes).
(extrait du journal Le Monde du 15 novembre 1999)
Le « troisième collectif » de sans-papiers a déposé à la préfecture de Paris 25 « dossiers béton » au titre de la loi des « 10 ans » : tous ont été refusés. 150 dossiers ont été envoyés au médiateur de la République par l'Association des travailleurs turcs (ATT), sans résultat.
Les motifs de refus opposés par les préfectures varient d'un département à l'autre. Première raison invoquée, l'insuffisance des preuves fournies. C'est le motif objecté à ce Malien, entré en France le 21 février 1988, qui a fourni au moins deux preuves par an de sa présence sur le territoire français ; la préfecture de police de Paris explique le rejet de sa demande parce qu'il n'est « pas parvenu à réunir suffisamment de preuves de la réalité de [sa] présence », tout en listant, quelques lignes plus loin, les fameuses preuves présentées : « des enveloppes cachetées à son nom, (...) des factures manuscrites, des versements bancaires en espèces (...) , deux certificats médicaux et un duplicata de feuille de soins ». Ou cet Algérien copropriétaire d'un bar qui, après avoir fourni la photocopie de son acte de propriété du fonds de commerce, ses avis d'imposition, les relevés de banque attestant ses remboursements d'emprunt, se voit opposer « l'insuffisance de preuves ».
L'insuffisance de ressources semble également revenir comme un motif classique de refus alors qu'elle ne figure dans aucun texte. Ainsi M. Whu, jeune Chinois arrivé à l'âge de 16 ans chez ses parents et ses deux frères (tous munis d'une carte de résident), s'est vu reprocher par la préfecture de police l'« absence de ressources régulières ». Il avait pourtant présenté ses bulletins de paye pour les deux années où il était demandeur d'asile, une promesse d'embauche pour 1999, force factures et enveloppes adressées à son nom. « Il est arrivé mineur chez ses parents, toute sa famille est ici. Mais on lui refuse sa carte parce qu'il a des revenus insuffisants ! Son seul tort est d'avoir vingt-six ans », assure Elisabeth Allès, sinologue et animatrice du « troisième collectif ».
Quand certains ont la chance de pouvoir montrer des fiches de paye, elles sont mises en doute : un Malien qui a pu produire des bulletins de salaire pour les années 1988 à 1991 et 1993 à 1997 s'est vu répondre de façon énigmatique qu'ils ne pouvaient être pris en considération, car les entreprises les ayant émis « ne pouvaient employer de la main-d'oeuvre salariée ». D'autres motifs peuvent être sortis du chapeau de l'administration : rejet des relevés sous prétexte que l'intéressé pouvait se trouver à l'étranger, rejet des attestations émanant de personnes privées, rejet des factures non émises par un système informatique... Tous les documents qui ne proviennent pas d'organismes officiels sont ainsi sujets à caution. « La culture préfectorale est toujours d'appliquer les lois dans un sens restrictif et de repérer le fraudeur », explique-t-on au Gisti.
Enfin, l'absence de justification du visa de long séjour revient dans nombre de refus. L'obligation de présenter ce document pour entrer en France figure dans l'ordonnance de 1945. Mais la circulaire d'application a précisé qu'un titre de séjour doit être délivré aux étrangers « dont les conditions d'entrée en France constituent un obstacle à la délivrance d'un titre de séjour, mais qui ont pu tisser des liens personnels du fait de l'ancienneté de leur séjour ». On ne peut donc arguer de l'absence d'un visa de long séjour pour refuser une régularisation par la loi. « C'est un détournement manifeste. Les pratiques de guichet sont tellement restrictives qu'il doit y avoir eu des consignes du ministère », estime Emmanuel Terray , directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), animateur du « troisième collectif » et ancien gréviste de la faim.
Depuis des années, des membres de la CIMADE assistent aux audiences dites « du 35bis », qui se déroulent dans une petite salle du Tribunal de Grande Instance de Paris. Chaque jour, des dizaines d'étrangers sous le coup d'une procédure d'expulsion ou de reconduite à la frontière y comparaissent devant un juge délégué qui décidera s'ils seront ou non maintenus en rétention administrative. Danielle Deriaz nous livre son témoignage sur deux affaires auxquelles elle a assisté.
C'est une jeune femme africaine toute simple qui entre avec le gendarme et son avocat d'office. Elle a été arrêtée - on dit « interpellée » dans le jargon, ca fait mieux - en prenant le « Thalys » pour Bruxelles a la Gare du Nord. Sur elle, son billet d'avion Bruxelles-Yaoundé pour le jour même, « parce que c'etait moins cher par Bruxelles » et ... 135 000 F en liquide. Voilà le délit. J'apprends qu'a l'heure ou les capitaux les plus fous circulent à la vitesse d'Internet sur toute la planète et que l'Union Européenne nous fait croire a la libre circulation des biens et des personnes, aller de France en Belgique avec plus de 50 000 F. en espèces doit toujours faire l'objet d'une déclaration en douane. Qui le sait ? Et qui s'en indigne ? Bien sûr on lui a confisqué cet argent. Elle aurait pu être condamnée à une plus forte amende encore.
Elle est triste, sans ostentation, mais profondément. On l'interroge. Oui, elle rentrait chez elle définitivement. Elle ne parle que pour répondre aux questions et peu a peu, sous mes yeux, se reconstitue par bribes tout son malheur passe, présent et à venir. Oui, elle a des enfants au pays. Quatre. Garçons. De 11 a 7 ans. Pour les élever, elle est partie se prostituer en Europe. (Personne ne songe qu'il n'y a pas de génération spontanée et que ces garçons ont AUSSI un père responsable de leur vie). Il y a 4 ans, elle les a laissés à sa mère à Yaoundé. Mais sa mère a été de plus en plus « fatiguée » et elle vient de mourir. J'imagine qu'elle a eu un cancer et qu'elle ne devait pas avoir plus de 50 ans. Les enfants sont seuls dans la ville. Alors Louise S. a rassemblé tout ce qu'elle avait économisé pour réorganiser leur vie a tous cinq au pays : 135 000 F. qu'elle avait gagnés à la « sueur » de son ... « front » (?) dirai-je pour rester décente. Elle etait a 2 h de quitter la France. A quelques-unes de plus pour quitter l'Europe, sans bruit, sans mal pour la République. Fallait-il vraiment que la machine administrative broie cette vie ? Je sais, 5 jours après, elle se sera effectivement retrouvée à Yaoundé. Mais expulsée et sans un sou, avec, toujours, quatre enfants à élever
Voici Simba Tr., Malien, un de ces Africains frêles et doux (...). Il ne sait ni lire ni écrire et ne parle que quelques mots de français usuel. Bien sûr, devant le Juge Délégué, il a un interprète. Et son avocat dépose immédiatement une demande d'annulation de toute la procédure parce qu'il n'en a pas eu pendant sa garde-à-vue, principalement au moment où on lui a signifié sa mise en rétention et les droits qu'il avait à partir de cet instant.
La loi dit « dans une langue qu'il comprend » et toute la bataille se livre habituellement sur ce point : a-t-il compris ? La Représentante du Préfet s'acharne par tous les moyens à prouver que l'étranger est capable de comprendre ce langage, si archaïque, si spécialise, de la Justice et de la Police. Tout d'abord, en s'appuyant « sur ses propres déclarations faites aux policiers ». Or, quand on sait a quel point leurs questions sont directives, puis comment les réponses sont transcrites dans LEUR langage, et enfin combien il est plus facile de donner son nom, son age, sa nationalité que de comprendre ses droits en garde-vue, on comprend qu'il y a un fossé infranchissable pour la plupart des étrangers.
Imaginez la force de caractère qu'il faut, doublée d'une solide connaissance en droit, quand vous ne vous êtes pas encore remis du choc d'avoir été arrêté, cuisine, intimide, parfois rudoyé, souvent paralyse d'impuissance et de peur, pour ne pas signer au bout de plusieurs heures au bas d'une page que vous « avez eu connaissance de vos droits » ?
Simba Tr. n'a pas eu d'interprète, c'est un fait incontesté. Mais la R.P. soutient qu'il a compris ses droits puisqu'il a demandé un médecin « parce qu'il avait mal aux dents ». Le dialogue à voix basse en Soninké dure quelques minutes et l'interprète traduit pour nous : « ce n'est pas lui qui a demandé un médecin, mais les policiers parce qu'il saignait de la bouche. Quand ils l'ont interpellé, ils l'ont menotté dans le dos (1) et pousse dans le fourgon ou ils lui ont mis des coups en pleine figure. Il a saigné. Après, ils ont demandé un docteur ». Personne ne marque la moindre réaction à ce récit, ni la juge, ni l'avocat, ni la R.P. Aussi révoltant que ce soit, j'ai l'habitude qu'il en soit presque toujours ainsi devant « les allégations de mauvais traitements » comme on dit a l'anglo-saxonne à Amnesty International. Tout simplement parce que les policiers, par essence, sont censés ne JAMAIS se livrer a ce genre d'acte, et qu'il faudrait au minimum trois témoins assermentés pour les contredire. Autant dire que c'est impossible. Alors, on poursuit l'audience comme si ca n'existait pas.
Je dois à la vérité de dire que Simba Tr. sera libéré par le juge, à cause de l'absence d'interprète, ce qui constitue un grave manquement aux droits de l'étranger.
(1) Les menottes sont l'objet de profondes polémiques récurrentes. En principe, pour un simple contrôle d'identité aboutissant au constat d'une absence de titre de séjour, on ne devrait les mettre que si l'étranger risque une « tentative de fuite ». Et ne les mettre dans le dos que lorsque l'interpelle a l'air violent, agite, et risque de blesser les policiers - ou lui-même. Dans les faits on les met de plus en plus souvent. Et l'on en revient à la charge de la preuve : qui peut affirmer (3 témoins) que l'homme etait calme ?
Contrôles « au faciès »
A deux reprises, des étrangers sans-papiers ont été contrôlés et arrêtés devant la Préfecture, à Toulouse. Ils venaient pourtant, sur rendez-vous, y déposer un dossier de demande de régularisation.
Les policiers n'avaient par ailleurs aucune réquisition pour effectuer
des contrôles d'identité dans ce périmètre et
à cette heure. Ces failles juridiques ont conduit le Tribunal à
relâcher la personne concernée. Au cours de la 2e audience, les
policiers ont affirmé ne posséder aucune des pièces que
les sans-papiers ont déclaré avoir sur eux au moment de
l'arrestation. Lors de leur séjour au centre de rétention pour
étrangers de Toulouse, ils ont juste dit que leur dossier comportait
leurs justificatifs de domicile, de revenu, leurs pièces
d'identité, leur passeport...
(D'après un Collectif Toulousain.)
Droit des femmes ?
KC est une jeune malienne de 24 ans en situation irrégulière, fragilisée. Après une sortie en boîte, un homme l'embarque chez lui, la bat et la viole. Le lendemain KC est prise en charge dans un hôpital. Un avocat assure qu'il n'y a aucun risque si CK dépose une plainte pour viol.
CK décide de porter plainte et se rend au commissariat central de
Toulouse. A 15h10 KC est amenée seule dans un bureau du commissariat,
dont elle ne ressortira pas car le fonctionnaire de la brigade des moeurs, la
retient en garde-à-vue au motif de sa situation
irrégulière. Au commissariat, on parle de procédure de
reconduction immédiate à la frontière !
(D'après François P.)
Utilisation arbitraire du trouble à l'ordre public et ses conséquences
A Toulouse, un Angolais, concubin d'une congolaise (régularisée au titre de la circulaire de juin 1997), et père d'un enfant (né en France fin 1996). Il a été arrêté à sa sortie de prison, un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF) lui a été notifié et il a été expulsé le 29 novembre 1998.
Pourtant, il etait régularisable au titre de la circulaire de juin 1997. Alors que la peine avait été purgée et qu'aucune juridiction n'avait prononcé une interdiction du territoire, la préfecture a invoqué le « trouble à l'ordre public » et ainsi n'a pas tenu compte de la situation familiale.
Lors d'un jugement rendu au tribunal de grande instance (TGI) qui a eu lieu pendant la durée de la rétention, le juge a pu dire, en lisant les attendus du jugement, qu'il n'y avait pas atteinte à la vie familiale alors même qu'étaient présents dans la salle du tribunal la compagne et l'enfant de la personne retenue!
Le nombre d'Algériens expulsés s'élevait à une trentaine par semaine en 1998. Seuls 6% des Algériens qui ont fait une demande d'Asile Territorial au Ministère de l'Intérieur ont reçu un avis favorable...
Voici des témoignages d'Algériens recueillis en centre de rétention par la CIMADE en février et mars 1998 :
Le père de Monsieur F. est mort dans un attentat dans une mosquée en 1995 parmi une vingtaine d'autres personnes. Quelques temps après il a reçu la visite d'un groupe islamiste suivant un scénario bien connu : le gouvernement algérien est mis en cause dans l'attentat et on lui propose de rejoindre les forces d'opposition contre protection et salaire. Ayant refusé, il a fui le domicile familial et a trouvé un travail au port d'Alger où il déchargeait les marchandises. C'est là aussi qu'il a trouvé refuge et qu'il dormait.
Monsieur G. a vu son père assassiné en 1992 par balle. Ce dernier appartenait au parti de Dieu, parti religieux modéré opposé au FIS. A l'époque Monsieur G. était un enfant. En 1997, le GIA lui a rendu visite accusant le gouvernement d'avoir tué son père. Il s'est vu proposé un salaire en échange d'un travail consistant à surveiller la police. Ayant refusé, il a reçu deux avertissements, le premier lui donnant une semaine pour réfléchir, le second l'avertissant que c'était la mort qui l'attendait. Fuyant son quartier, il a rejoint sur le port son ami et voisin, Monsieur F. C'est alors qu'ils ont décidé de quitter l'Algérie.
Monsieur G. a appelé sa mère du Centre de rétention. Elle lui a dit qu'elle même et sa soeur ont été retenues plusieurs jours, après son départ, les hommes du GIA ne croyant pas qu'il avait réussi à rejoindre la France et pensant que la pression faite sur sa famille le ferait sortir de sa cachette. Elles l'ont supplié de ne pas revenir.
« Je suis né en Algérie en 1963. J'ai été policier de 1988 à 1993. En 1993, me sentant menacé, j'ai voulu démissionner de la police et devenir commerçant. Mais les menaces ont continué contre moi et ma famille. Pour les GIA, être policier c'est être contre eux et tuer des islamistes. Pour cela, je suis condamné à mort. J'ai fui mon pays. Je suis venu en France et j'ai fait une demande auprès de l'OFPRA. Demande rejetée « vous n'êtes pas persécuté par les Autorités de votre pays. » C'était en 1995. Je suis resté en France. J'ai eu des problèmes psychologiques et un suivi médical du fait du traumatisme résultant de ce que j'avais vécu en Algérie. En 1997, j'ai malgré tout été renvoyé au pays. Mon père a immédiatement organisé un nouveau départ car j'étais en danger et en plus ma présence faisait courir un danger à toute ma famille. De retour en France, j'ai été condamné à de la prison et une interdiction du territoire pour séjour irrégulier. Je veux pouvoir rester en France jusqu'à ce que la paix revienne en Algérie. »
Il allait être expulsé. Ayant appris son proche départ, il a tenté de mettre fin à ses jours en se taillant les veines et en avalant une lame de rasoir. Il était à moitié inconscient lorsqu'un incendie s'est déclaré dans sa cellule. Après avoir passé la nuit à l'hôpital, Monsieur D. a été transféré au commissariat, ses jours n'étant plus en danger.
Le centre de rétention a été partiellement détruit, suite à l'incendie. Les personnes maintenues en rétention ont été transférées au commissariat central, dans les cellules de garde-à-vue, avec les conditions de vie que cela implique.
Monsieur D. ne voulait pas rentrer en Algérie.
Monsieur A. explique que plusieurs de ses anciens amis sont aujourd'hui du côté des groupes islamistes, ou dans des bandes armées. Sa mère vivant en Algérie est morte d'une crise cardiaque suite à un attentat par balle contre son frère.
Son deuxième frère suite à cet attentat s'est engagé dans les brigades antiterroristes algériennes. Monsieur A. considère que cet engagement fait peser des risques importants pour sa vie.
Monsieur A. est marié en France depuis 1990 avec une ressortissante algérienne, ancienne directrice d'école qui a fui le pays après des menaces. Il est père d'un enfant né en France. Monsieur A. est conscient que la préfecture de Police de Paris va tenter de le renvoyer vers l'Algérie malgré son séjour en France de plus de vingt ans. Pour lui, il n'est absolument pas question de rentrer en Algérie, il préfère être en prison en France que mort en Algérie.
Malgré sa situation familiale, il n'a jamais réussi à régulariser sa situation administrative. Néanmoins il a toujours travaillé et subvenu aux besoins de sa famille.
Cette semaine Monsieur C. a fait l'objet d'une tentative de renvoi en Algérie certes pays dont il est ressortissant mais où il n'est pas retourné depuis près de 10 ans. Outre le fait que sa reconduite aurait de graves conséquences sur sa vie familiale (et ce d'autant plus que sa conjointe est atteinte d'une pathologie grave et qu'elle a besoin du soutien moral de Monsieur C.).