par Simon Foreman | [débat] |
LA responsabilité d'un gouvernement devrait être de ne pas laisser se développer des crises comme celle des grévistes de la faim de Saint-Bernard, à Paris. Il est proprement stupéfiant qu'un pouvoir laisse des situations dégénérer à ce stade sans avoir de réponse à y apporter. Les dix grévistes de la faim crient l'absurdité qui préside depuis plus de vint ans à la « politique » d'immigration de ce pays. Une politique qui a cru que la démagogie et l'édiction de règles bureaucratiques pouvaient juguler la force de l'action humaine, la force qui pousse des femmes et des hommes à vouloir aller là où la vie est dure mais possible, à vouloir rester là où sont leurs enfants, leurs familles, dans un pays parfois devenu le leur.
On ne gère pas une population humaine comme on gère le commerce extérieur. Il ne suffit pas de décréter la fermeture des frontières pour empêcher des hommes de voyager. Il ne suffit pas de créer des taxes pour empêcher des hommes de travailler, s'ils y sont prêts, pour un demi-SMIC. On ne fait pas disparaître les hommes avec un discours ferme, fût-ce pour envoyer des messages forts.
Il aura fallu cette étonnante conjonction de circonstances du printemps dernier ; le « mouvement des sans-papiers » s'amplifiant, s'étendant dans toute la France, face à des associations largement dépassées, une hiérarchie catholique précipitée dans l'erreur de jugement, une classe politique encore suffisamment confite dans les idées courtes lui tenant lieu de certitudes pour commettre le rapport Sauvaigo ou l'avant-projet de loi Debré, pulvérisant l'un et l'autre les limites du supportable, telles que les avait posées un Le Pen, rejoint dans son extrémisme imbécile.
Les grévistes de Saint-Bernard sont en train de nous montrer que le roi est nu : le genre de vérité que personne ne veut voir, sauf des naïfs aux âmes d'enfants, de ceux qui pensaient qu'après tout la France pouvait peut-être encore une partie de la misère du monde, jusqu'à ce qu'on leur affirme péremptoirement le contraire. Sous le regard impuissant des partis, associations et autres observateurs, il apparaît tout à coup que jamais une loi Pasqua ne pourra canaliser l'énergie du désespoir.
L'appel du collège des médiateurs, dans Le Monde, à une totale redéfinition de la politique d'immigration de ce pays n'a guère semblé impressionner le pouvoir, mais il a manqué un tournant. De grands commis de l'Etat, professeurs, juristes, philosophes, s'étant immergés dans la question, en retiraient cette évidence : ça ne peut plus continuer comme ça.
Va-t-on l'entendre à temps ? L'opposition commence à frémir : le PS ne vient-il pas d'oser imputer aux loi Pasqua (qu'il refusait pourtant de remettre en cause depuis l'élection présidentielle) la responsabilité de ce qui arrive ? Encore un effort et il acceptera sa part de paternité dans la machine à fabriquer l'immigration clandestine ; en prétendant lutter contre, par une confiance excessive dans les vertus d'un discours dur qui dispenserait d'avoir à réfléchir à ce qu'il produit.
Répondre aux grévistes de la faim de Saint-Bernard va exiger du courage. Celui d'affronter les insuffisances de la pensée unique, cette publicité mensongère qui sert de politique à la gauche comme à la droite des années 70 (« insérer les réguliers, chasser les clandestins »), celui d'admettre qu'un clandestin n'est, deux fois sur trois, qu'un régulier passé à la moulinette d'une réglementation kafkaïenne, et celui de tout remettre à plat : qui accepter en France et comment, qui refuser et au nom de quoi ? Le courage est une vertu rare en politique mais que les circonstances peuvent susciter. À ce stade du jeûne, il est encore juste temps d'en prendre conscience et de décider comment l'on veut sortir de la crise&nbbsp;: par le bas ou par le haut.