Commission nationale consultative des droits de l'homme
[qui est concerné ?]

  • 12 septembre 1996 : six critères pour la régularisation

    (avis paru dans le supplément au n°49 du mensuel de la Ligue de l'enseignement Les idées en mouvement)

    Avis de la CNCDH portant sur l'admission au séjour d'étrangers dits « sans papiers » (adopté par l'assemblée plénière du 12 septembre 1996)

    La Commission nationale consultative des droits de l'homme, saisie en urgence à la suite des débats de son assemblée plénière du 4 juillet 1996 :

    1. - Rappelant ses avis des 1er juillet 1988, 6 juin 1991, 25 septembre 1991, 16 janvier 1992, 30 mars 1992, 13 juillet 1995, 19 décembre 1995 et 23 mai 1996, portant sur le statut des étrangers, et la situation des immigrés en France.

    2. - Considérant que les législations successives en la matière ont créé, de par leur complexité même, des conditions très difficiles de mise en oeuvre qui aboutissent parfois à des contradictions ou à des impasses, tant sur le plan juridique que sur le plan humain.

      Tout particulièrement préoccupée du sort de milliers d'étrangers en situation irrégulière, dits « sans papiers », qui pour bon nombre d'entre eux ne peuvent être reconduits à la frontière.

    3. - Estimant que la France se doit de réaffirmer son entier respect des normes constitutionnelles et des engagements internationaux qui sont à la base même de notre droit, en particulier du droit d'asile, du principe de dignité et de la protection de la vie familiale, sans ignorer le problème complexe de la lutte contre l'immigration clandestine qui ne saurait justifier des manquements à ces principes;

      Considérant également la nécessité de pleinement prendre en compte les principes humanitaires, et rappelant que nous sommes redevables d'une dette historique envers les descendants de ceux qui ont donné leur sang pour la France.

    4. - Constatant que, par la jurisprudence et par la pratique administrative, des solutions satisfaisantes peuvent e^tre apportées lors d'un examen individuel de la situation d'étrangers dits « sans papiers », mais que ce traitement à titre humanitaire s'applique sans règles claires et avec des résultats inégaux, de sorte que des mesures différentes et parfois contradictoires sont prises dans un département par rapport à un autre.

    5. - Prenant acte avec satisfaction de la circulaire aux préfets du 9 juillet 1996, relative à l'admission au séjour d'étrangers parents d'enfants français, signée par le ministre du Travail et des affaires sociales, le ministre de l'Intérieur et le ministre de l'Aménagement du Territoire de la Ville et de l'Intégration.

    6. - Encourageant la définition d'une politique commune de l'immigration dans le cadre de l'Union européenne, particulièrement en ce qui concerne les conditions de régularistaion de certaines catégories d'étragers.

    7. - Rappelant que la priorité doit être donnée à une politique d'intégration, et qu'une politique exclusivement répressive est susceptible de jeter la suspicion sur tous les étrangers vivant paisiblement sur le territoire français et dans l'espace européen et d'alimenter les sentiments de xénophobie et de racisme.

    8. - Prenant acte de l'avis du Conseil d'État du 22 août 1996.

    La Commission nationale consultative des droits de l'homme demande au Gouvernement :

    1. - D'édicter des circulaires, à destination des autorités administratives compétentes, accordant la régularisation, dans les meilleurs délais, au séjour d'étrangers faisant partie des catégories suivantes :

      1. Personnes ayant vocation à devenir français : conjoints de français susceptibles d'obtenir leur naturalisation dans le délai prévu par la loi.

      2. Personnes aspirant à une vie familiale normale, droit garanti par l'art 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et reconnu par le Conseil constitutionnel le déduisant du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 intégré à l'actuelle Constitution comme rappelé au 5) de l'Avis du Conseil d'État et, en particulier, les bénéficiaires du regroupement familial;
        • conjoints et enfants d'étrangers en situation régulière en France,
        • parents d'enfants nés en France,
        • personnes ayant un proche parent résidant régulièrement en France (ascendant, enfants).

      3. Personnes dépourvues de titre de séjour, qui en l'absence de trouble à l'ordre public ont une bonne onsertion dans la société française notamment en raison de l'ancienneté du séjour, de la justification du travail et de ressources régulières, d'un domicile, de l'acuittement des impôts et des charges sociales, de la scolarisation des enfants, étant observé, ainsi que le souligne le Conseil d'État que l'art. 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 interdit de prendre une mesure autoritaire d'éloignement à l'égard de ceux résidant habituellement en France depuis plus de 15 ans ou régulirèrement depuis plus de 10 ans.

      4. Personnes déboutées du droit d'asile, dont le retour dans le pays d'origine les exposerait, en raison de la situation politique y régnant, à des risques sérieux, même si ces risques ne sont pas le fait du gouvernement légal du pays, une réflexion devant s'ouvrir sur ce point concernant les modifications législatives nécessaires pour tenir compte de ce type de situation.

      5. Personnes dont le retour dans le pays d'origine interromprait le traitement médical d'une maladie physique ou mentale mettant sérieusement en cause l'état de santé des intéressés.

      6. Étudiant(e) en cours d'études universitaires reconnues.

    2. - Que des instructions précises soient données aux autorités administratives compétentes afin que l'instruction individuelle des demandes d'admission au séjour se déroule dans de bonnes conditions d'accueil et d'examen, égales sur tout le territoire;

      Que soit accordée une carte de séjour portant la mention « salarié », lorsque l'intéressé manifestera l'intention de travailler.

      Dans le cas de rejet de la demande, que les circonstances des refus soient motivés;

    3. - De confier au Médiateur de la République les missions :
      • de suivre en liaison avec les services compétents, l'instruction des demandes de régularisation.
      • de faire des propositions de réforme, eu égard à l'expérience acquise en instruisant les réclamations qui lui sont adressées, et aux compétences qui lui sont conférées par la loi du 3 janvier 1973 modifiée, de « recommander à l'organisme mis en cause toute solution permettant de régler en éuité la situation du rquérant, proposer à l'autorité compétente toutes mesures qu'il estime de nature à y remédier et suggérer les modifications qu'il lui paraît opportun d'apporter à des textes législatifs ou réglementaires. »